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Interviews

Eclair, l'un des premiers laboratoires historiques français, a dû récemment abandonner la partie photochimique de son activité mais continue de travailler la post-production de film. Une section dédiée au patrimoine restaure une centaine de films par an depuis 2007. Nous avons eu la chance de visiter leurs locaux, situés au sud de Paris et vous proposons cette longue conversation au cours de laquelle nous explorerons étape par étape le processus de restauration image d'un film. Un parcours parfois un peu technique mais qui vous permettra de replonger dans l'Histoire du cinéma...

Eclair : Quand les clients viennent à nous, nous leur demandons d'abord de faire des recherches pour un inventaire du matériel existant. Il y a trois stocks principaux en France. Les laboratoires ont toujours gardé les éléments. Il y avait trois gros laboratoires de tirage de copies et de travaux de post-production : Eclair (depuis 1907), GTC et LTC. GTC avait déjà été racheté par Eclair en 2008 et LTC a fermé il y a quatre ans maintenant. L’entité LTC est devenue une entité de stockage gérée par une entreprise indépendante qui conserve comme nous des négatifs, essentiellement du film mais aussi des bandes vidéo. Le stock Eclair se compose d'environ 3 millions de bobines, il se situe dans la région d'Auxerre. Vous y trouvez aussi bien les négatifs, les "marrons", les interpositifs, les copies, les sons mais aussi les éléments vidéo.

DVDClassik : Qu'entendez-vous précisément par stocker ?

Eclair : Ce sont des endroits sécurisés, avec des conditions d’hydrométrie et de température contrôlés en fonction des éléments entreposés. On ne stocke pas un négatif acétate de la même manière qu’un élément polyester. Il y a des normes et des contraintes de stockage. Le troisième stock est situé aux Archives Françaises du Film, à Bois d’Arcy. Il comprend des éléments safety mais aussi tout le stock nitrate français.

DVDClassik : Négatifs et copies ?

Eclair : La même chose : ils ont vraiment toutes les déclinaisons du film.

DVDClassik : Peut-on retrouver les mêmes éléments d’un laboratoire à l’autre ? Les inventaires sont-ils précis ?

Eclair : C’est toute la difficulté lorsqu’on commence à travailler sur un film. Certains clients ont des inventaires très précis, comme Pathé ou Gaumont qui sont leurs propres producteurs. Sur le gros de leur catalogue, ils savent exactement ce qu’ils ont dans les mains. Nous avons même, parfois, déjà restauré ces films en SP, en Digit, en HD, maintenant en 2K, en 4K. Selon les jeux de rachats de catalogues, il nous arrive d’être seulement informés du titre du film. A nous d’aller à la pêche aux informations pour savoir où sont stockés les éléments. Quand c’est un élément nitrate, on sait qu'il est forcément aux Archives Françaises du Film car eux seuls peuvent le stocker de manière pérenne. C’est une pellicule inflammable : à cause de sa dangerosité, nous n’accueillons les éléments nitrate que de manière temporaire. Nous n’avons pas le droit de stocker plus d’un certain volume de nitrate sur le site. Il y a un protocole de traitement. C’est un type de pellicule qui a été utilisé jusqu’en 1952. Lorsque la production du nitrate s’est arrêtée, tout a été rapatrié à Bois d’Arcy car les producteurs ne voulaient pas que leurs films en cours de tournage soient stockés à côté de bobines inflammables.

DVDClassik : Sait-on vraiment ce que contiennent ces lieux de stockage ou sont-ils petit à petit inventoriés ?

Eclair : Les bases d’inventaire du CNC sont plutôt précises. Les nôtres également. Pour ce qui est de la partie "film", on a rarement de surprises même si cela arrive parfois d’ouvrir des boîtes de négatif et de découvrir un contretype à l’intérieur. Certains films n’ont pas été sortis depuis l’époque de leur première exploitation en salle. On manque parfois de précision sur les éléments autres que le film (les films-annonces, fonds neutres, des chutes, morceaux de générique, plans coupés, etc.). Dans ce cas-là, nous allons plus systématiquement les ouvrir pour vérifier ce qu’il y a à l’intérieur. Sur les inventaires, ont connait au moins le nombre de bobines...

DVDClassik : Dans ces stocks, il y a le négatif, quelques copies. Y a-t-il aussi des rushes ?

Eclair : Garder les rushes est une décision de producteur. Certains réalisateurs ont expressément demandé à leur producteur de garder les rushes. Mais au fur et à mesure des années de stockage, les rushes ont fait partie des premières choses à être détruites ou recyclées, afin de récupérer chimiquement l’argent de la pellicule. Le stockage faisant implicitement partie de la prestation, on gardait les éléments servant aux tirages et on se débarrassait de tout ce qui ne servait plus. Il faut savoir qu’on peut avoir jusqu’à quatre ou cinq containers de rushes pour un seul film. Quand on voit la place que prend un film uniquement sur les éléments finaux, c’est déjà assez conséquent. Par exemple pour Le Grand bleu de Luc Besson, c’est près de 800 boîtes, un appartement de 20 m2 ! Ce sont des boîtes du film fini, dans ses deux versions, avec les négatifs, les déclinaisons "son" (doublages étrangers). On arrive vite à un certain volume de bobines. D’une manière générale, on ne va donc pas récupérer systématiquement toutes les boîtes mais privilégier les éléments "source" : le négatif caméra, quand il existe. C'est l'élément qui a le plus de piqué, de définition, celui de meilleure facture. Après, selon l’état de conservation, nous sommes amenés à piocher dans d’autres éléments intermédiaires (un interpositif quand les éléments sont couleur ou un "marron" quand c’est en noir et blanc) pour éventuellement compléter notre négatif et avoir le film dans sa version salle, sortie à l’époque. On demande donc un inventaire à notre client. Quand les éléments sont chez nous, cela se trouve facilement. Mais quand il existe des éléments aux Archives, le client les contacte lui-même. Nous n'avons parfois qu'un seul élément de film, qui n’est pas celui d’origine. Nous lui demandons alors où se trouve son négatif ou, tout simplement, regarder le film et voir dans quel laboratoire il a été tiré. Si c’est LTC, on contacte LTC Patrimoine parce qu’ils doivent avoir du matériel. A l'exception des détenteurs de gros catalogues qui savent dès le départ où sont leurs éléments, il peut y avoir tout un travail d’accompagnement en amont. Avec les aides à la numérisation et à la restauration du CNC, nous nous sommes retrouvés avec des clients qui ne possédaient qu’un voire deux films, qui ne savaient pas forcément où étaient les éléments et pour qui les pratiques de restauration était inconnues. Nous les aidons alors à monter le dossier du CNC et faire les recherches des meilleurs éléments. C’est aussi un accompagnement tout au long de la chaîne de restauration.

DVDClassik : Nous avons l’impression que, contrairement aux restaurations d'il y a quelques années (celles pour la vidéo par exemple), on pense désormais à la sauvegarde du film pour les futures générations. Tout est fait, aujourd’hui, pour durer.

Avec l’augmentation des résolutions, on est aujourd’hui plus facilement sur du 4K. On a beaucoup plus de matière que quand on faisait des restaurations en HD, en Digit. D’ailleurs, à cette époque, on n’utilisait même pas les négatifs mais des interpositifs qui étaient largement suffisants pour du 625 lignes. Cela fait maintenant une dizaine d’années que nous privilégions les négatifs et notamment les négatifs nitrate car, à l’époque, ils n’avaient pas le droit de rentrer dans les laboratoires. On se contentait des éléments safety intermédiaires, tirés pendant le Plan Nitrate dans les années 80. Aujourd'hui, nous avons de nouveau les autorisations pour faire entrer le nitrate et quand nous récupérons ceux des années 30, par exemple, on se rend compte qu’ils sont juste sublimes car ils ont très peu tourné, puisqu’ils étaient interdits de labo pendant des années. Physiquement, ces négatifs sont plutôt en bon état, mais le problème du nitrate est que la pellicule rétrécit, ce qui la rend plus complexe à numériser. On peut perdre parfois jusqu’à plus d’un ou deux millimètres sur une pellicule. Nous avons donc des systèmes spéciaux pour les numériser. Le nitrate a une fâcheuse tendance à la décomposition. Les éléments photochimiques se dégradent et ils sont inflammables. Ces éléments conservés à Bois d’Arcy sont régulièrement vérifiés. S’ils sont en trop grand état de dangerosité, ils peuvent être amenés à être détruits, avec les accords du producteur, ou ils ne sortent plus. Les éléments qui viennent sur notre site sont exploitables, nous sommes équipés de caissons en plomb, etc. Un film nitrate ne se traite pas comme les autres.

DVDClassik : Même si un élément négatif est unique, vous pouvez vous permettre de le scanner.

Eclair : Oui et, au contraire, c’est même une obligation. Si nous avons plusieurs éléments et que, parmi eux se trouve un nitrate, nous nous rapprocherons de cet élément originel.

DVDClassik : Il n’y a pas de danger de le passer dans un scanner ?

Eclair : Non, aucun. Il y a des étapes de préparation. Avant même de passer sur une quelconque machine, l’élément est non seulement vérifié mais préparé.

DVDClassik : Vous disiez que certains éléments étaient en état de dégradation avancée. Qu’arrive-t-il pour ceux-là ? Y a-t-il un plan de sauvetage, de numérisation d’urgence avant qu’il ne soit trop tard ?

Eclair : Il y a les aides à la restauration du CNC. Enormément d’anciens films y passent. Donc, en plus de la localisation du matériel, nous allons poser tout un tas de questions à notre client : sur le format d’exploitation des films, sa fiche technique, s’ils possèdent des éléments de référence. Ce sera, par exemple, d’aller chercher des copies d’époque quand elles sont encore existantes, comme référence à l’étalonnage et au montage. Nous les numérisons ensuite et les utilisons pour s'assurer que nous possédons bien l’intégralité du film. Car avec tous les tirages qu’ils ont subis, les négatifs et les intermédiaires ont pu être coupés. Parfois, cela nous arrive aussi de trouver des amorces noires dans les négatifs : des photogrammes ont été supprimés mais des espaces vides on été laissés à la place pour garder la synchronisation du son. On va alors chercher dans d’autres éléments s'il est possible de le compléter.

DVDClassik : La copie de référence est-elle validée par le chef opérateur ?

Eclair : Sur les vingt dernières années, les laboratoires possèdent des copies de référence (qu‘on appelait les "copie 0" ou "copie 1") tirées directement de l'internégatif. Pour certains films, on tirait des "copies prestige" à partir du négatif pour être projetées dans des festivals (typiquement à Cannes, par exemple). Plus on recule dans le temps, plus ces copies sont des copies d’exploitation. Nous avons réinstallé une salle de projection dans nos nouveaux locaux pour pouvoir les visionner. Il n’y a pas de souci sur les copies en n&b : elles sont projetables, elles ont très bien vieilli, à l’exception de scotches à refaire, des choses comme ça. Pour les copies couleur, certaines peuvent avoir viré au magenta mais cela aiguille quand même l‘étalonneur sur les ambiances. Il est capable de faire abstraction de trois points de magenta sur sa machine... On se réfère également à d’anciennes restaurations qui ont pu être validées par le réalisateur ou le chef opérateur, à l’époque. On se sert de tous ces éléments pour recomposer l’étalonnage du film...

DVDClassik : ... Quel que soit le type de matériel qui a été utilisé pour la numérisation, sachant qu’il y a 15-20 ans c’était dans le domaine analogique ? Ce matériel peut-il encore être dit "de référence" ?

Eclair : C’est toute la problématique. Une copie 35mm que l’on projette aujourd’hui possède à peu près le même rendu que lorsqu’on la projetait il y a trente ans. En revanche, maintenant que l’on scanne des négatifs en 4K, il y a un plus gros travail. Ces copies étaient étalonnées avec trois couleurs sur des analyseurs. Avec les outils numériques d’aujourd’hui, nous pouvons tout faire : le but est de ne pas tomber dans l’excès, il faut aussi savoir se freiner. On ne va pas s’amuser à faire des masques de beauté sur des films des années 70. Tout le travail de l’étalonneur est, justement, de travailler avec un tableau de bord d’avion de chasse mais en utilisant le minimum de boutons. On fait d’abord les raccords, les carnations, les peaux, puis on utilise les éléments mis à disposition. Lorsqu’on a restauré La Belle et la Bête il y a maintenant cinq ans, nous avons eu à notre disposition le journal de tournage du film dans lequel on pouvait lire les directives d’Henri Alekan pour les rushes. Il "passait ses nerfs" sur le laboratoire parce que ce n’était pas ce qu’il voulait, du coup on sait le rendu qu’il en attendait. Avec toutes ces choses, on arrive à se rapprocher au maximum de ce qui était projeté. Mais on est bien d’accord que cela reste subjectif puisque entre un projecteur à charbon et un projecteur 35mm, il n’y a pas le même candela sur la lampe [NDLR: pas la même intensité lumineuse], pas le même rapport de distance à l’écran. C’est pareil pour le son : les sons numérisés apparaissent aujourd’hui plus aigus parce qu’il n'y avait pas la même gouache dans les outils d’écoute, à l’époque. On a exactement le même problème sur l’étalonnage.


Henri Alekan (à gauche) et Maurice Fellous (près de la caméra)

DVDClassik : Cela vous arrive-t-il souvent d’avoir sous la main des documents, comme ce journal de tournage ?

Eclair : Sur les films plus récents, on a souvent la chance d’avoir la participation du chef opérateur. Lorsque nous avons étalonné les films de Georges Lautner pour Pathé ou Gaumont, nous avons eu la chance de travailler avec Maurice Fellous avant qu’il ne décède, l’année dernière. Il est venu à tous les étalonnages et avait une mémoire parfaite : pourquoi il l’avait fait, comment il l’avait fait, ce que voulait Georges Lautner, etc. Il était capable de nous dire : « Ce plan-là, ce jour-là, je n’avais pas le bon projecteur. » Nous lui avons montré la copie d’exploitation que nous possédions, il a fait : « Ok, c’est bon, on y va. » C’était vraiment un plaisir. Quand ils sont présents, toujours parmi nous, les producteurs les font venir. Même les réalisateurs.

DVDClassik : Comme pour Tess...

Pour Tess, c’est carrément Roman Polanski qui est venu avec son monteur Hervé De Luze. Nous avons aussi travaillé avec du personnel de notre laboratoire qui avait suivi le film à l’époque de sa sortie, c’est l’avantage d’avoir un laboratoire centenaire... L’étalonneur qui se charge des films de patrimoine a juste quarante ans de maison. Il a travaillé à l’époque sur certains films qu’il ré-étalonne aujourd’hui. Quand Claude Lelouch voit le résultat final et qu’il n’a pas le temps de se déplacer, ils s’appellent. Il travaille avec un étalonneur qui connaît son univers, ses films, qui est capable de retranscrire ses volontés artistiques. Andrzej Zulawski est venu quand on a fait Boris Godounov. Il y a cinq ans, lorsque nous avons restauré Les Mariés de l’An II, Jean-Paul Rappeneau est venu assister à tout. Mais quand je vous dis "à tout", c’est à tout ! On lui a montré les scans, il est venu à l’étalonnage, a validé la restauration, l’étalonnage HD, la copie numérique, la copie 35mm... Il a validé l’intégralité des travaux.

DVDClassik : Cela reste-t-il exceptionnel ou est-ce de plus en plus récurrent ?

Eclair : Quand ils sont encore là, c’est loin d’être exceptionnel. Ils sont demandeurs et c’est un gage de fidélité pour les cataloguistes. Quand ils ne peuvent pas se déplacer, on leur envoie une copie jpeg. Le problème se pose pour les films antérieurs aux années 60 où il n’y a malheureusement plus personne. Quand on travaille sur des films de Georges Méliès, c’est un petit peu compliqué... On est alors sur un système de travail complètement différent, sur des éléments nitrate qui ne sont pas projetables. Il nous faudrait installer une cabine en plomb si on voulait les projeter dans nos locaux. Un petit peu compliqué... Il existe une de ces cabines à la L. Jeffrey Selznick School of Film Preservation, à New York. C’est très rare. Lorsqu’on travaille sur du Méliès peint au pochoir ou au pinceau, on ne peut pas projeter le nitrate mais on peut le regarder sur une table équipée d'un boitier lumineux. On peut alors voir les teintes, les couleurs. Mais il est clair que, quand on fait ce genre d’étalonnage, on va chercher la neutralité. On va mettre les contrastes, les densités et les fonds en couleur neutre pour faire ressortir les teintes au pochoir. Et on s’arrêtera là. Dans le doute, nous n’irons pas plus loin. De la même manière, lorsque nous avons restauré Fantomas de Louis Feuillade, nous savions que le film était teinté sur les jours, les nuits, certaines scènes d’amour, comme sur à peu près tous les films teintés. Il y avait au moins quatre couleurs dans le film, on le savait. Sauf que seule la teinte "nuit" était explicitement référencée (« teinte Pathé numéro x », par exemple). Cette nuit figure sur le Blu-ray qui est sorti, mais il n’y a pas les autres couleurs, nous ne les avons pas intégrées. On savait qu’il fallait du rose mais nous n’allions pas mettre n’importe lequel. Il y a eu toute une discussion avec Gaumont là-dessus, nous avons préféré nous abstenir plutôt que la mettre. C’est pour cela que Fantômas n’a qu’une seule teinte.


Fantômas de Louis Feuillade (1913)

DVDClassik : Les Feuillade ont-ils été scannés en 4K ?

Eclair : Oui.

DVDClassik : La 4K se justifie-t-elle pour ces sources nitrate ?

Eclair : Oui puisqu'il s'agissait des négatifs. Celui de Fantômas était sublime en terme de définition et de piqué. Le 4K se justifiait amplement. Après, lorsqu’on travaille sur d’autres générations que les générations premières, comme les "marrons" ou contretypes, cela ne va pas forcément se justifier. La seule façon d’être sûr est de faire des tests : un test en 2K, un test en 4K. On va les projeter puisque toutes nos salles sont équipées. C’est ensuite une discussion avec le client pour voir s’il y a une réelle utilité ou non. On ne va pas forcément pousser du 4K si c’est inutile. En revanche, si nous avons des négatifs qui sont un peu en décomposition, comme c’était le cas pour Les Enfants du paradis ou Fantômas, nous privilégierons plutôt le 4K pour récupérer toute l’information nécessaire et faire un "retour au film" derrière (c’est-à-dire qu‘on retire un négatif). Un film comme Fantômas ou Les Vampires de Feuillade ont bénéficié de deux "retours au film" : un pour la version restaurée et un autre du négatif scanné avant tout traitement. On a refait comme une copie sur pellicule. Ce sont des éléments qui vont être amenés à disparaître, qui sont déjà dans un processus de décomposition qu’on ne peut malheureusement pas stopper. On a donc refait un négatif, une photocopie à un instant T en pensant à une restauration future. Cela pérennise l’élément originel sur lequel nous n’avons rien touché. On fait ensuite un "retour au film" de la version restaurée si le client souhaite le déposer au CNC (c’est une obligation lorsqu’ils perçoivent des aides). Ces films-là sont aussi faits pour être vus de temps en temps en 35mm, pas seulement en numérique. Surtout que tous les films ne sont pas à 24 images/seconde, il y a eu tellement de cadences différentes avant que la standardisation n’arrive. On procède donc à un re-cadençage du film pour pouvoir le projeter à 24 i/s en numérique. Pour une copie 35mm, les projecteurs sont déjà équipés pour modifier la cadence de défilement des images.


Fantômas de Louis Feuillade (1913)

DVDClassik : Comment peut-on connaître la cadence d’origine ?

Eclair : Cela fait partie des informations que l’on demande au client au démarrage. Elles sont souvent assez fiables quand ils possèdent les catalogues depuis longtemps. Sinon, une fois l’élément numérisé, on remarque vite si ce n’est pas la bonne cadence, si les mouvements sont trop rapides ou trop lents. Pour ces films, cela dépend beaucoup de la "pêche" de l’opérateur au moment de la prise de vues. Il tournait quand même une manivelle, il ne faut pas l’oublier. Nous ne pouvons pas changer la cadence au milieu d’un film, pallier les variations de l’opérateur au tournage. Nous choisissons donc une cadence qui s’harmonise sur tout le film.

DVDClassik : Cette nouvelle politique de numérisation permet aujourd'hui aux films d'être sauvegardés d'une manière pérenne et sûre.

Eclair : C’est pour que le film soit à nouveau visible par le public. On vient de finir 1974, une partie de campagne de Raymond Depardon, un film qui n’était pas visible depuis des années pour des questions juridiques. De la même manière, certaines restaurations Gaumont ou Pathé permettent de revoir des films qui n’étaient pas visibles depuis bien longtemps.

DVDClassik : Ce sont quand même souvent les mêmes titres qui reviennent.

Eclair : C’est vrai que les gros films ont été restaurés en premier. Quand LCJ s’est mis à la restauration, le premier film qu’ils ont choisi a été Le Vieux fusil de Robert Enrico. Chacun essaye de mettre en avant le film-phare de son catalogue. Après, ce sont des politiques éditoriales dont nous sommes dépendants. Les listes de films arrivent de manière un peu éparse, et désormais de plus en plus en fonction des festivals de restauration, notamment le Festival Lumière à Lyon auquel nous allons participer. Il y a des rétrospectives sur des acteurs, des réalisateurs : cette année c‘est Marcel Carné. Dans la sélection Carné, il y a Les Enfants du paradis, Le Jour se lève, Le Quai des brumes, Trois chambres à Manhattan... D’un seul coup, ces films se mettent en restauration pour ces hommages. Il y a les hommages que la Cinémathèque Française a faits sur Jacques Demy ou Philippe de Broca. Il y en aura un pour Henri-Georges Clouzot l’année prochaine. On a du Clouzot à tous les étages de la maison...

DVDClassik : Est-ce que le documentaire de Bertrand Tavernier sur le cinéma français a enclenché les restaurations de titres peu connus ?

Eclair : Il a été fait ici en utilisant les masters restaurés quand ils existaient, sinon ce sont des extraits d’anciennes restaurations. Mais je pense que cela risque de débloquer certaines restaurations. En plus, Tavernier a une telle manière d’en parler que cela donne juste envie de tout revoir. Si ça peut donner des idées...

DVDClassik : Est-ce qu’on peut être optimiste et penser, qu’à terme, l’intégralité du patrimoine français sera restauré ? Ou certains films resteront-ils forcément sur le bord de la route ?

Eclair : Nous en avons la capacité. Après... ce sont les choix des producteurs. On pourra parfois les prévenir sur des hommages à venir mais nous sommes vraiment dépendants de nos clients. Certains d’entre eux sont entrés dans des plans de restauration, comme Gaumont, parce qu’ils savent que leur catalogue est au cœur de leur entreprise. Le catalogue Gaumont continue d’être restauré.

DVDClassik : Les autres majors françaises sont-elles dans la même logique ?

Eclair : Pas toutes. Mais toutes ne travaillent pas avec nous. Certaines restaurent dans d’autres laboratoires mais à moins grande échelle. C’est vrai que Gaumont a été le précurseur d’une idée de la restauration intégrale de catalogue.

Eclair : Nous arrivons dans le service de la remise en état mécanique des éléments. Patricia Bonafos va vérifier l'intégrité physique de la pellicule, l'état des collures : avec le temps, celles-ci peuvent se décoller. Elle va préparer tout le film et s'arrêter à chaque collure pour vérifier qu'il pourra passer mécaniquement chaque étape de la numérisation. Si elles lâchent, nous réparerons ces collures en utilisant les mêmes outils qu'il y a 30 ans, lorsqu'on montait les films, à savoir avec de la bande adhésive. Nous ne retirons pas forcément l'ancien adhésif pour de ne pas enlever l'émulsion avec, on se contentera de consolider la collure. Nous allons également vérifier qu'il n'y a pas de cassures sur plusieurs images successives, si les perforations ne sont pas abimées. Car lorsque nous allons les tirer sur le "griffe à griffe" du scanner, nous risquons de déchirer le négatif. Selon l'état de l'élément, cela peut représenter jusqu'à plusieurs jours pour travailler un négatif de cinq bobines.

Les films peuvent aussi contenir des grandes plages de noir, où il manque des photogrammes. On essaiera tout de suite de récupérer d'autres éléments existants pour les compléter. Mais on ne retouchera jamais une bobine pour remonter le film : s'il y a nécessité de faire un remontage, il s'effectuera dans le domaine numérique. A la fin de ce travail, un rapport sera rédigé avec de multiples indications comme la durée du métrage ou, par exemple, si le son a la même durée que l'image. Car nous sommes parfois en possession d'éléments de différentes versions, par exemple l'image de la version italienne avec la bande sonore française. Il faut que nous puissions revenir rapidement vers le client pour savoir quelle version restaurer. Il peut aussi y avoir des scènes manquantes. Lorsque nous avons restauré French Cancan, nous avons récupéré le négatif qui était parti aux Etats Unis. Là-bas, ils avaient fait des coupes pour éviter des problèmes avec la censure, à cause des scènes de nudité, ou parce que l'acteur de music-hall Philippe Clay n'était pas assez connu : tous ses passages chantés avaient été supprimés. Lorsque nous nous sommes aperçus de ces coupes, nous nous sommes reportés sur le "marron" trichrome qui, lui, était beaucoup plus long. Nous avons pu reconstruire le négatif qui était amputé d'une bonne dizaine de minutes.

Nos scanners sont de plus en plus sollicités pour travailler sur le patrimoine. Un seul ne suffisait plus : nous avons maintenant trois scanners Arriscan, plus un scanner de développement interne pour les films à cas particulier. Nous privilégions le scan dit "à sec" et, quand cela s'avère nécessaire, nous partons sur le scan en immersion. Sur nos trois Arriscan, deux sont équipés en immersion. Pour les problématiques de patrimoine liées aux fines rayures, décompositions et moisissures, les constructeurs ont commencé à proposer le principe de wetgate : on immerge le film dans des produits spéciaux, il est scanné à ce moment-là. Par des jeux de réfraction de la lumière, l’immersion permet d’atténuer en partie certains défauts, voire de les faire disparaître. On a ainsi de fines rayures qui peuvent disparaître au moment du scan. L’atténuation obtenue ici évitera des traitements numériques derrière. C’est une chaîne naturelle pour le film sans dégrader la qualité. Je n’en sais pas plus sur les produits utilisés, mes notions en chimie sont très lointaines, mais je peux vous envoyer la documentation ! (Rires) Un film, c’est de la pellicule, de la gélatine, 60 % d’eau : on ne peut donc pas faire n’importe quoi. Ce sont des produits homologués pour pouvoir entrer en contact avec la pellicule et dont on sait qu’ils ne provoqueront pas d’effets négatifs sur les éléments. Chaque élément scanné sera ensuite essuyé. Le scan par immersion se rapproche d’une machine de tirage de l’époque, ce procédé nous évite de trop pousser le traitement numérique.

Patricia alertera le responsable sur l’état physique de l’élément. Typiquement, les éléments nitrate qui ont rétréci vont être scannés dans une configuration qu’on appelle "mode archive" qui est encore plus lente : on va adapter la vitesse de scan à l’état de l’élément. Et s’il se passe quoi que ce soit, les scans s’éteignent. Certaines technologies de scan vont continuer à tirer la pellicule, ceux que nous possédons sont étudiés pour se mettre en off à la moindre accroche.

DVDClassik : La pellicule est-elle rétro-éclairée par une lampe à LED ?

Eclair : Nous travaillons avec Arriscan qui utilise un système de flashes. La pellicule est flashée par en-dessous, avec un capteur CMOS qui analyse.

Nous n'avons pas parlé des différents formats : tous les films ne sont pas en 35mm. My Dinner with André de Louis Malle, que nous sommes en train de faire, est par exemple tourné en 16mm. Le patrimoine arrivant en force, on a eu des films beaucoup plus abîmés. Les technologies avançant, on a pu restaurer des films de plus en plus vieux. On parlait tout à l’heure des Méliès, il est clair qu’on ne va pas les mettre sur un Arriscan parce que certaines pellicules n’ont carrément plus de perforations ou peuvent être "exotiques" à cause des débuts du cinéma (perforations en carré ou en triangle, par exemple). On en a une collection impressionnante ! Nous avons dû développer en interne un scanner spécial pour les formats autres que le 16mm et le 35mm, que ne prenaient pas en charge les machines du constructeur. Notre Nitroscan fonctionne par un système de captation caméra et peut gérer tous les formats du 7mm au 70mm. Cette machine ne fonctionne pas du tout avec un griffe à griffe, comme le scan habituel, mais avec un cabestan qui va faire une traction très lente en fonction du poids des bobines. C’est une autre technologie, beaucoup plus manuelle, qui ressemble plus à une machine de tirage d’époque. C’est un peu le système de la dernière chance sur certains films : Les Vampires, dont on parlait tout à l’heure, a par exemple été scanné sur cette machine parce que l’élément était si fragile qu’on ne pouvait pas le passer sur un Arri, même dans le "mode archive".

DVDClassik : Est-ce que vous l’utilisez souvent ?

Eclair : Assez régulièrement mais pas forcément sur l'intégralité des films. Sur quelques bobines plus abîmées, par exemple.

DVDClassik : Restaurez-vous autre chose que des fictions ?

Eclair : Nous faisons du documentaire, les catalogues ne contiennent pas que des films de fiction. Nous avons restauré La Fête sauvage de Frédéric Rossif. On peut aussi avoir des séries d’animation comme Arago X-001 qui était en 35mm et que nous avons donc pu restaurer. On a eu des demandes pour des clips et des films expérimentaux. Et dans ce cas précis, on prévient tout le monde chez Eclair car certains nous appellent en disant : « Il y a de l’amorce partout ! » Et on leur répond : « Non non, c’est normal... » (Rires) Mais c’est vrai que quand on déroule une bobine et qu’on voit autant d’amorces sur les ¾ du film, on est en droit de se poser des questions.

DVDClassik : Vous utilisez une caméra sur votre Nitroscan. Quelle est la différence exacte avec le Arriscan ?

Eclair : Le Arriscan fonctionne par un système de flashes à trois couleurs alors qu’ici une lumière éclaire par en dessous pendant qu’on filme la pellicule par au-dessus. Cela ne donne pas tout à fait les mêmes images. Le rendu caméra est un scan qui peut monter jusqu’au 5K en terme de résolution (le Arri va jusqu’à 6K). Il nous permet de scanner l’intégralité du film, manchette incluse, ce qui intéresse beaucoup de nos clients institutionnels comme la Cinémathèque Française. Sur la pellicule, il y a le photogramme au milieu, les quatre perforations de chaque côté, et de chaque côté des perforations il y a un petit bout de pellicule de 3-4mm qu’on appelle les manchettes. Sur les films muets, comme il n’y avait pas de key code à l’époque, des informations étaient inscrites sur les manchettes : les numéros de plans, d’images, ou les teintes utilisées, par exemple. Ces éléments en lente dégradation (et ces informations inscrites sur les manchettes) sont donc numérisés pour les bandes d’archive de la Cinémathèque Française. Il n’y a aucun intérêt à scanner un film plus récent avec les manchettes, Sauf s’il est dans un format exotique comme du 8mm. Du coup, on va scanner trois photogrammes par trois photogrammes puis on redécoupera ensuite en restauration numérique.

DVDClassik : La Belle et la Bête de Jean Cocteau a-t-il été scanné sur cette machine ?

Eclair : Oui, nous avons mis le négatif sur ce Nitroscan.

DVDClassik : Les films édités par SNC ont souvent les coins du cadre arrondis...

Eclair : Oui, c’est un choix éditorial. Après, il faut vraiment faire la différence. Il y a deux finalités sur une restauration : la diffusion et la préservation. Certains défauts ne seront pas traités pour la préservation mais corrigés pour la diffusion. L’élément de conservation (le "retour au film") ne subira pas de modifications. Je prends un exemple rapide : Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat. Il y a eu, à l’époque, un problème de développement des rushes : le film a été monté avec un plan complètement peigné, rayé, bleu. Pialat étant Pialat, il a monté ce plan tel quel dans son film. Vous avez donc un plan de dix secondes complètement bleu et rayé. On a l’impression de prendre une douche. Nous avons eu une grande discussion avec Gaumont pour savoir ce qu’il fallait faire. Le film a toujours été montré comme ça. La décision a été prise de le retoucher pour la diffusion, le Blu-ray, parce que le public se serait interrogé de voir un film restauré présenté avec dix secondes rayées en plein milieu. En revanche, l’élément 35mm que l’on a recréé contient toujours les rayures. On dissocie la finalité des éléments. Et comme nous travaillons aussi beaucoup sur la réversibilité des traitements, nous nous laissons aussi une marge. Peut-être que ce défaut sera traitable dans plusieurs années. Il fait partie de l’histoire technique et financière du film, le réalisateur gère aussi des aléas techniques. Qu’aurait voulu faire Maurice Pialat ? Le laisser ? L’enlever ? Nous avons eu à peu près la même discussion sur le son car on entendait des bruits de moteur de caméra. Doit-on les enlever ? Les laisser ? L.E. Diapason a eu une grosse discussion avec Gaumont, de la même manière, pour savoir jusqu’où aller.


Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat, édité par Gaumont

DVDClassik : C’est toute la subtilité de votre travail d’optimiser le rendu grâce aux techniques actuelles tout en respectant l’œuvre telle qu’elle a été créée.

Eclair : Nous sommes censés représenter le film au public tel qu’il a été vu à l’époque. C’est le postulat de base. Après, nous nous posons des questions à chaque étape. On sait que nous n'avons plus les équipements pour projeter le film comme à l’époque donc ce postulat est un peu faussé dès le départ. L’idée est de ne pas montrer qu’on a fait une restauration. Comme il y a désormais des "retours au film" sur tous les films, on se laisse la latitude de ne pas forcément tout restaurer. Cela englobe les poils caméra, les lense flare, etc. Il y a des détails pour lesquels nous sommes tous d’accord : dans La Guerre des boutons d'Yves Robert, on voit un fil de trucage d’une cage d’oiseau qui s’ouvre. Nous l'avons laissé. Est-ce qu’on enlève le poil caméra qui descend jusqu’au visage de l’actrice principale ? C’est le cas sur le Blu-ray mais pas pour le "retour au film".

DVDClassik : Comment réglez-vous vos scanners ?

Eclair : Ce sont des calibrations manuelles faites par un technicien. Vous n’avez pas la même émulsion sur tout le film et certaines différences, certaines subtilités ne sont pas forcément enregistrées dans les machines. Le générique est un élément truqué, son émulsion ne sera pas la même que sur le reste du film. Il ne va pas se comporter de la même manière au scan. Il suffit qu’il y ait des trucages ou, je ne sais pas, un problème de tournage, la pellicule est passée sur une autre émulsion. Certains films mélangent des pellicules Fuji, Kodak, des intermédiaires. Les techniciens vont constamment au contrôle qualité vérifier que les calibrations sont bonnes. On s'assure de laisser toute latitude à l’étalonneur sans exploser les blancs, boucher les noirs, pour lui fournir une base la plus linéaire possible, qu’il puisse retravailler derrière. C'est ensuite une vérification purement technique : s’assurer qu’une poussière ne s’est pas glissée dans le scan (on se retrouverait avec des traces qui ne sont pas sur le film à l’origine), des choses comme ça.

Le film part ensuite dans quatre ateliers simultanément. Tout le monde travaille sur les fichiers qui sont sortis du scan. L’étalonneur va faire sa première "passe" d’étalonnage sur les fichiers bruts. En parallèle, nous allons effectuer la restauration numérique proprement dite. L’étalonneur relira ensuite son étalonnage en intégrant les données de la restauration numérique. C’est un travail de discussion entre les deux postes afin d'appréhender la méthodologie la plus adaptée à certains types de défauts. C’est la réversibilité dont on parlait tout à l’heure : tant que ce n’est pas fini, tant que le client n’a pas validé, rien ne sera appliqué de manière définitive, on peut toujours revenir en arrière. Parallèlement, le son est envoyé sous format basse résolution pour restauration afin de vérifier si on a bien les mêmes longueurs au son et à l’image. Le quatrième atelier est dédié au sous-titrage, partiel en cas de double langage, anglais lorsque les films vont à Cannes. Et en contrepartie des aides à la numérisation du CNC, les producteurs ont des obligations à l’accessibilité : création d’audiodescription, sous-titrage pour les sourds et malentendants. Une audio description, c’est presque quatre semaines de travail.

DVDClassik : Tout faire en même temps accélère le délai...

Eclair : Oui mais une restauration peut prendre de trois mois à un an selon les films, leur complexité de restauration ou leur longueur. Fantômas fait 5h30, ce n’est pas Ascenseur pour l’échaufaud qui fait 1h40. Nous préférons tout lancer en parallèle pour ne pas avoir à attendre certaines étapes. Nous fonctionnons beaucoup avec les line-up Blu-ray. La plupart du temps, les clients qui viennent nous voir ont des films déjà prévus dans des festivals. Typiquement, Trois chambres à Manhattan de Marcel Carné est projeté le 9 octobre au Festival Lumière, à Lyon : Gaumont est arrivé au mois de mai. Il y a aussi des projections pour des hommages. Généralement, les films en restauration ont déjà une vente ou une projection de prévue.

DVDClassik : Quand vous avez une deadline, terminez-vous dans les temps, en avance, en retard ?

Eclair : Tout dépend du temps qu’ils nous ont laissé. La restauration de Trois chambres à Manhattan a été terminée début septembre, la copie numérique début octobre. La plupart des clients savent qu’on ne peut pas restaurer "comme ça". On a eu quelques frayeurs il y a 5-6 ans au démarrage de Cannes Classics, quand les clients nous appelaient au mois de mars (Cannes se déroule en mai) ou en plein mois d’août pour le Festival Lumière de Lyon (qui se passe au mois d’octobre). Nous avons restauré ces films en doublant nos équipes, en trois huit, sept jours sur sept, en leur expliquant toutefois que certains films seraient projetés à temps mais que la restauration pouvait se terminer plus tard, que nous n'aurions pas forcément le temps de tout faire. Ils savent désormais qu’il nous faut une marge d’au moins quatre mois. Les festivals programment aujourd’hui un peu plus en amont et nos clients apportent de plus en plus des idées de films à ces festivals. Il y aura par exemple plusieurs manifestations autour d'Henri-Georges Clouzot l'année prochaine. Nous travaillons déjà sur certains de ses films mais nous avons largement le temps, nous serons même prêts six mois avant la date. Ce genre d’évènement peut permettre de sortir le Blu-ray en même temps que la sortie salle : c’est quatre mois de fabrication pour un Blu-ray, parfois plus longtemps qu’une restauration de film.

DVDClassik : Vous fabriquez un fichier jpeg2000 pour le DCP (pour la projection en salle). Faites-vous un fichier différent pour le Blu-ray ?

Eclair : Pour l’instant, la plupart de nos clients demandent un master HDCam SR en 4:4:4 pour les films en couleur. C’est le fichier HD le moins compressé possible. Après, selon l’entreprise d’authoring avec qui ils travaillent, nous pouvons faire des déclinaisons.

Nous passons dans une salle d'étalonnage et visionnons plusieurs extraits "avant et après restauration", de projets récents comme La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer ou La Chamade d'Alain Cavalier.

DVDClassik : Est-ce à l’étape de l’étalonnage que vous stabilisez la dérive chromatique ?

Eclair : Cette dérive chromatique est un défaut de moisissures. Il a été traité avec un outil qui s’appelle le Noise.

DVDClassik : Avez-vous des logiciels qui peuvent compenser les pulsations de contraste ou de couleurs ?

Eclair : Tout à fait. Nous traitons le pompage chromatique et densitométrique. Les images sont ensuite stabilisées car, quand on reçoit les images, il y a les instabilités de la pellicule et l’instabilité du scanner. Quand vous scannez en "mode archive", comme il n’y a plus le système de "griffe à griffe", le film est très instable. Après cette correction, les images sont filtrées : on utilise des algorithmes semi-automatiques qui vont enlever les petites poussières. Une étape assez délicate car il ne faut pas aller trop loin, éviter que le logiciel ne confonde un débris avec un bouton de manchette qui brille, ou enlève des oiseaux qui passent dans le ciel, ce genre de choses. Le négatif de La Passion de Jeanne d’Arc n’existe plus. Seuls deux contretypes étaient disponibles. Gaumont en possédait un, l’autre était en Suède ou au Danemark, je ne sais plus. C’est un film très abîmé au départ. Mais, bien que ce soit un contretype, l’image est très belle, il y a un piqué impressionnant. C’est un film sur lequel il restera encore des défauts parce que si on veut garder la texture particulière de la photographie, on ne doit pas aller trop loin. Les "rayures peignées" que vous pouvez voir, ce genre de choses, sont des défauts qu’on ne va pas attaquer car les limitations techniques endommageraient le grain. Vu le rendu des peaux ici, il est hors de question de javelliser le film. Il y a aussi des défauts comme des poinçons de douane qui sont sur plusieurs images. C’est très dur à corriger. Il faut être hyper méticuleux et délicat.

DVDClassik : Nous avons remarqué deux caractéristiques récurrentes en Blu-ray. D’abord sur le contraste : ce que nous voyons dans votre salle d’étalonnage est très bien géré, les noirs sont parfaitement équilibrés. Je remarque que ces restaurations n’ont pas le même rapport de contraste lorsqu'elles sont vues sur une dalle, en Blu-ray...

Eclair : Vous voyez actuellement le film étalonné pour le projecteur DLP. Quand le film est préparé pour la HD, l’étalonneur va utiliser la base qu’il a faite ici et va l’adapter pour le rendu LCD puisque c’est la majorité de ce qui existe aujourd’hui. Nous verrons si le OLED ou le HDR se généralisent. Nous utilisons des écrans de monitoring professionnels calibrés ou des écrans grand public pour nous donner une idée du rendu domestique.

DVDClassik : On voit parfois, au milieu d’une scène à l’étalonnage régulier, un plan au contraste très différent par rapport au reste de la scène.

Eclair : Si le négatif est incomplet, on récupère ces parties dans un élément de deuxième génération. Cet élément-là, en terme de contraste et de densité, et éventuellement de tirage, n’a pas forcément la même matière, la même texture pour l’étalonnage. L’étalonneur va essayer de faire un raccord, de l’homogénéiser.

DVDClassik : Nous pensions que vous respectiez en fait l’étalonnage d’origine, tel qu’il a été projeté à l'époque, avec ses défauts éventuels. Donc vous n’hésitez pas à retoucher le contraste de certains plans si vous le jugez nécessaire...

Eclair : Si nous remontons un film à partir de plusieurs sources, les noirs et les blancs ne sont pas du tout positionnés aux mêmes endroits sur un "marron". Cela peut jouer. Cela fait partie des discussions que l’on peut avoir. Par exemple, nous avons un plan tronqué de quelques secondes, en plein milieu : va t-on remplacer l'intégralité du plan avec les éléments intermédiaires ou n’utiliser ces éléments intermédiaires que sur les images gênantes ou manquantes ? Cela se verra moins s’il est remplacé sur la séquence entière.


Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, édité par Gaumont

DVDClassik : Un autre débat agite régulièrement notre forum. Avec les scans récents, on redécouvre les teintes du film, complètement différentes de ce qu’on voyait auparavant en vidéo, ces masters DVD anciens avec des peaux rosées...

Eclair : Il y a eu dans les années 70 et 80 la grande mode des carnations rouges. Il fallait que tout le monde soit en bonne santé. Les premières restaurations numériques, il y a une dizaine d’années, n’étaient pas forcément faites avec les négatifs mais plutôt avec des interpositifs. On n’avait pas la même matière, les éléments étaient déjà travaillés. Nous partons maintenant des négatifs. C’est pour cela que nous nous référons aux copies 35mm qui, elles, ne sont pas forcément magenta. Si on prend le dernier master de La Chèvre, il est beaucoup plus cohérent puisque reparti du négatif, avec en référence une copie 35mm "sortie salle". Effectivement, la restauration qui avait été faite en Digit il y a quelques années, à partir de l’interpositif, était beaucoup plus saturée dans les carnations.

DVDClassik : C’était aussi une époque où l'on poussait facilement les réglages pour avoir une image clinquante...

Eclair : On n’était pas du tout sur les mêmes technologies. C'était des écrans à tube qui obligeaient à booster le signal pour récupérer un peu de brillance. Chose que nous n'avons plus à faire maintenant.

DVDClassik : Parce que nous sommes moins dans le bidouillage...

Eclair : Nous remettons davantage les choses comme elles auraient dû l'être.

DVDClassik : Nous avons constaté une relative uniformité dans la photographie des films français des années 70, avec un univers colorimétrique commun. Cela a parfois surpris les lecteurs de notre forum. Cela ne nous choque pas spécialement au visionnage, puisque cela paraît plutôt cohérent, mais on pourrait se dire que tous les directeurs photo faisaient un peu la même chose.

Eclair : Nous sommes davantage cohérents avec ce qui se faisait à l’époque. En voyant les films des années 70-80, on se rend compte, quand les copies ne sont pas virées, qu’on n’était pas sur des choses très contraste. Il y avait un goût. Les goûts d’étalonnage changent d’une décennie à l’autre...

DVDClassik : Est-ce qu’il n’y avait pas également un rapport avec les types de pellicule, certaines marques ?

Eclair : Je pense que c’est surtout ça. Et à cette époque, on n’était pas encore passé sur des pellicule à grain fin. En terme d’éclairage, ils se mettaient en conformation avec les possibilités de la pellicule qu’ils avaient sous la main.

DVDClassik : Quand vous scannez le négatif du film, le rendu colorimétrique est a priori très fidèle.

Eclair : On le numérise pour laisser la latitude à l’étalonneur d’appliquer l’étalonnage. On ne va pas aller boucher les noirs ou exploser les blancs. C’est la même chose pour les films en noir et blanc. Dans certaines restaurations passées, les noirs et les blancs étaient beaucoup trop contrastés par rapport aux goûts de l’époque. Quand nous avons commencé à ressortir les copies nitrate ou safety, nous nous sommes rendus compte que ces films-là (comme Le Jour se lève ou Le Quai des brumes) exploraient toute la plage de gris, ce n’était pas seulement du blanc et du noir.

DVDClassik : Par rapport à La Chamade d'Alain Cavalier, dont nous sommes en train de voir des extraits, si vous regardiez le film à la télévision dans les années 80, vous aviez l’impression que la colorimétrie était neutre. Alors qu’aujourd’hui, on sent au contraire une grande subtilité : les ambiances sont différentes selon les moments de la journée, le matin est un peu plus froid, un coucher de soleil est un peu plus chaud. Les gens ont perdu ce ressenti, ils sont surpris...

Eclair : On a eu l’avantage d’être assistés par Alain Cavalier et Pierre Lhomme pour la restauration. Vous voyez vraiment ce qu’ils ont voulu faire. En plus, Pierre Lhomme est vraiment quelqu’un de méticuleux, il est revenu plusieurs fois travailler sur ce film.


L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, éclairé par Pierre Lhomme (photo : Paul Grandsard)

DVDClassik : Il fait cela souvent, notamment sur L’Armée des ombres.

Eclair : C’est quelqu’un qu’on voit très souvent au laboratoire. Tout le monde l’appelle, il est très demandeur et nous sommes très demandeurs de ses conseils, également. Pour un étalonneur, c’est toujours agréable de discuter avec quelqu’un qui parle le même langage. Nous avons restauré La Chamade en 4K.

DVDClassik : Le capteur de l’Arriscan est un 3K, vous passez donc deux fois et vous redescendez ? Ou est-il réellement un 4K ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Eclair : C'est un système de balayage qui passe deux fois. On vous parle de restauration 4K mais ce qu’il faut voir c’est qu’on scanne aussi le vignettage. On scanne systématiquement l’intégralité de l’image sur laquelle on appliquera ensuite le cadre d’exploitation de l’époque. L’entièreté du photogramme, c’est plus que 4K.

DVDClassik : Gardez-vous ces fichiers de base pour des restaurations futures ?

Eclair : Oui, c’est ce dont nous parlions tout à l’heure, à propos de Fantômas : ces fichiers de base ont été remis sur pellicule puisque le négatif était dans un état qui justifiait sa conservation, comme une photocopie. Autrement, ce sont des contrats d’archivage numérique. Eclair a récemment ouvert une division, Eclair préservation, spécialisée dans le stockage 35mm et la conservation numérique, avec des possibilités de migration régulières, annuelle ou biannuelle, et vérification intégrale des données...

DVDClassik : Parce que nous ne pouvons pas savoir combien de temps durera ce support.

Eclair : Oui, cela reste du numérique.

DVDClassik : Le format d'image de La Chamade est le 1.66. Les caches 1.66 sont-ils présents sur le négatif ou est-ce vous qui les rajoutez ?

Eclair : C’est la fenêtre d’impression. Sauf exception, les fenêtres d’impression sont au format du film en France. Contrairement aux Etats-Unis où ils tournent full frame et mettent les caches après.

DVDClassik : Et c’est la confusion parce qu’on ne sait plus à quel format le film a été tourné...

Eclair : En France, on a cette fenêtre d’impression. Du coup apparaissent des poils qu’ils n’ont pas. Ce n’est pas le cas du format Super 35 qui est une image full frame. Une mire de cadre faite au tournage était utilisée pour scanner les copies. Mais le négatif restait, lui, plein cadre. Il ne retrouvait un cadre d’exploitation qu’au moment du tirage des éléments intermédiaires.

DVDClassik : Cela rappelle certains films de Claude Lelouch tournés dans les années 90 qui était projetés en 2.35 en salle et qu’on retrouvait en vidéo ou en diffusion TV aux formats 1.77 ou 1.33. Et donc sans véritable perte au final.

Eclair : Maintenant c’est plus rare, les chaînes respectent le format. Comme quoi tout le monde y arrive. Dans le cas de La Chamade, l’étalonneur a travaillé avec Pierre Lhomme et Alain Cavalier sur les scans bruts. Nous leur avons ensuite proposé une séance de relecture de l’étalonnage avec la restauration. Ils ont pu faire certaines petites corrections éventuelles car ils s’étaient laissés de la latitude au moment de l’étalonnage des scans. Ce sont typiquement des éléments qui présentent un pompage colorimétrique, il faut alors savoir dans quel sens arrêter ce pompage.

DVDClassik : Est-ce qu’un film comme celui-là pourra être vu prochainement avec la nouvelle norme HDR (High Dynamic Range) ou est-ce inenvisageable ? Avez-vous fait des études sur cette norme ? Avez-vous déjà des demandes de clients ?

Eclair : Le HDR vise pour l’instant les films récents mais nous sommes en cours de test pour les films de patrimoine. Sur La Chamade, nous sommes techniquement sur de la 4K mais le HDR pourrait tout à fait s’y prêter. Cela dépendra aussi des films. Nous n’avons pas encore poussé les tests, pas encore vu ce qu’il pourrait se passer notamment sur des films en noir et blanc, avec un peu de grain. Mais la demande va forcément arriver, il faudra qu’on puisse éventuellement y répondre. On systématise la numérisation 4K, mais les restaurations peuvent être faites uniquement en 2K pour des histoires de coût. Et donc tous les films n’étant pas restaurés en 2K pour l’instant, le problème se posera aussi.

DVDClassik : A propos des coûts, justement, est-ce que vous sentez que les ayants droit ont des difficultés à financer les restaurations ? Est-ce qu’ils se conforment à vos tarifs ?

Eclair : Pour tout devis, c’est amené à discussion. Mais c’est vrai que les aides du CNC permettent cela à des ayants droit très ponctuels. Sans aide du CNC, les films de Chris Marker ou Raymond Depardon ne seraient pas restaurés. Ou on ne les aurait pas traités en 2K ou 4K, mais simplement en filière HD.

DVDClassik : Cela reste un investissement qui n'est pas forcément rentable pour ces petites structures.

Eclair : Oui, tout le monde n’est pas l’Institut Lumière qui a vendu plus de 100 000 Blu-ray des films Lumière restaurés dans le monde. Ils atteignent des summums.


DVDClassik : Avez-vous des rapports avec vos confrères français et internationaux comme L’Immagine Ritrovata par exemple ? Est-ce que vous dialoguez entre vous ?

Eclair : On a travaillé en collaboration avec eux sur les films Lumière, justement. Ils se sont occupés de la numérisation et nous de la restauration. Soyons honnêtes, nous faisons le même métier, nous sommes tous techniciens. Donc quand on se croise pendant les festivals, on parle chiffons ! (Rires) Mais nous sommes des laboratoires concurrents, il est donc bien évident qu’on ne se divulgue pas non petites recettes internes et nos devis clients.

DVDClassik : Existe-t-il une sorte de lobbying commun pour faire avancer les choses concernant la restauration ?

Eclair : La plupart des représentants des laboratoires français sont à la Commission Supérieure Technique. C’est un lieu de rencontre technique parce qu’il faut que tous les laboratoires parlent des problèmes de qualité, de diffusion, de choses comme ça. En festival, nous sommes amenés à voir des restaurations venant de l’étranger. On est parfois surpris de certains partis pris...

DVDClassik : Tous ne sont pas aussi respectueux, par exemple ?

Eclair : Disons que certaines libertés sont prises, des choses sont un peu trop poussées. Nous avons eu des discussions avec des laboratoires des pays de l’Est. On leur disait : « Si le réalisateur avait eu la 3D, il aurait fait le film en 3D, sauf que ce film-là est en n&b. » Et ils répondaient : « Oui mais vous, les Français, vous restaurez sans restaurer. » Le film est parfois passé à la moulinette...

DVDClassik : Est-ce qu'ils enlèvent le grain ?

Eclair : Ah, ils enlèvent tout ! Il n’y a plus de brillances. On a un peu l’impression que le film a été tourné la veille sur une mauvaise caméra HD, sans définition. En tout cas, nous comparons un peu ce qui se fait, nous voyons certaines grosses restaurations américaines dont nous n'avons pas à rougir. Les laboratoires français et européens sont quand même de qualité.

DVDClassik : C’est clair qu’il y a un vrai savoir-faire. Dialoguez-vous avec les Américains ?

Eclair : Nous dialoguons avec eux pour la recherche de matériel. Cela s’arrête là. Après, nous participons tous à des conférences, des symposiums. Nous intervenons beaucoup dans les festivals comme le Arri Workshop de Munich, ou à Los Angeles cet été. Nous faisons des master class sur notre savoir-faire. A partir du moment où on nous invite et que nous ne sommes pas hués à la fin de la présentation, on se dit qu’on est à peu près dans la bonne lignée. Et ils sont presque "jaloux" de certains films que nous pouvons traiter. Nous étions à Los Angeles pour présenter le coffret des Documents Cinématographiques consacré à Louis Delluc. Il y avait beaucoup de cinémathèques américaines, on sentait une certaine attente de leur part. Ils voulaient savoir comment se gérait le teintage, le re-cadençage, la restauration de ce film dont il n’existait plus qu’un élément 16mm et qu’on voyait depuis des années dans une qualité très pauvre. Il y a des attentes sur des réalisateurs et des œuvres françaises. Nous constatons aussi que nous sommes confrontés aux mêmes problèmes, ce qui est plutôt rassurant. A Los Angeles, beaucoup de personnes nous ont parlé de La Belle et la Bête de Cocteau. C’était, pour eux, très attendu et on a eu beaucoup de très bons retours sur notre restauration.



Restauration des Enfants du paradis de Marcel Carné, pour Pathé

DVDClassik : La définition est magnifique sur le Blu-ray. C’est effectivement très beau...

Eclair : Je ne vous cache pas que, pour nous, c’est un plaisir de travailler sur ces films-là. On attend certains films...

Nous sommes maintenant dans l'une des salles de restauration numérique où un infographiste travaille sur sa palette graphique.

Eclair : Nous avons ici une machine qui traite les points de glace [NDLR : les points blancs] sur les restaurations de films anciens, mais aussi les pixels morts sur les films frais : il y a souvent des problèmes de ce type sur les capteurs des caméras numériques. Sur un très grand écran en projection, le pixel mort ne se remarquera pas forcément s'il se trouve à un endroit de l'image où le regard du spectateur n'est pas sollicité par l'action. Par contre, sur un écran HD plus petit, il se remarquera davantage car le spectateur à un angle de vision moins large. L'opérateur travaille actuellement sur Péchés de jeunesse de Maurice Tourneur. Il va traiter tous les défauts que les autres machines n'ont pas réussi à traiter. Des problèmes ponctuels comme des rayures, des cassures, des poinçons. Parfois des défauts plus en longueur, comme les poils.

DVDClassik : L'opérateur a sous les yeux un rapport, un listing des défauts à traiter.

Eclair : Oui. Par exemple ce matin, un opérateur à travaillé sur Le Mystère Picasso. Il a relevé tous les défauts qui ont échappé aux phases précédentes et qui doivent être traités ici, avec la palette. A la base, ces stations sont des machines créées pour traiter les effets spéciaux. Elles ont été détournées de leur usage pour faire ces travaux de restauration de film de patrimoine. Elles permettent aussi de corriger le flicker (variation de luminosité et de contraste d'une image à l'autre) : l'opérateur va prendre une image en référence, la moins affectée par le phénomène, et essayer d'uniformiser le contraste pour faire disparaitre ce flicker à condition qu'il ne soit pas trop important. L'étalonneur reprendra ensuite les éléments corrigés pour vérifier que cette correction reste cohérente avec les intentions artistiques connues (d'après la copie de référence). Nous pouvons avoir à effectuer des corrections inhabituelles. Sur Le Jour se lève, par exemple, nous avons récupéré un plan, censuré à l'époque, sur une copie sous-titrée en allemand. Pour réintégrer ce plan, nous avons donc dû enlever un par un, avec la palette graphique, tous les sous-titres incrustés.


French Cancan de Jean Renoir, édité par Gaumont

Nous passons maintenant dans une salle où est diffusé, sur un dalle grand public de marque LG, un extrait des Amants de Louis Malle.

Eclair : Vous êtes maintenant dans la salle de vérification et de présentation HD. Nous utilisons des moniteurs professionnels et des écrans grand public, calibrés au préalable avec une sonde. Sur un écran plus petit, la résolution est différente : certains défauts moins gênants en diffusion 2K ou 4K peuvent apparaître en HD. Dans une salle de cinéma, l'oeil humain n'a pas du tout le même rapport à l’écran, il ne peut regarder partout. En HD, la taille plus réduite de l’écran fait que votre œil voit l’intégralité de l’image en même temps : quelques points de restauration peuvent donc encore être peaufinés. Ici, c’est vraiment la phase finale de la restauration. Une fois qu'elle est validée par le client, nous fabriquons à leur demande un master HDCAM SR avec le son qui a été recouché sur le master HD. C’est la dernière étape avant l'exploitation et la fabrication d’un master TV ou Blu-ray/DVD.

DVDClassik : Sur l'appareil de mesure et à l'image, nous constatons que le niveau de noir n'est pas au niveau le plus bas permis en vidéo.

Eclair : Le master HD est un dérivé du master DCP. Les niveaux de gris d'un master DCP représentent des densités d'une pellicule positive. Le noir projeté à l'écran est plus ou moins opaque, ce qui confère une certaine douceur à l'image. Lors de la génération du master HD, nous partons du master DCP et l'adaptons au monde vidéo. Notre choix artistique est de proposer au client des noirs plus doux afin de reproduire la même sensation de noir que celle du master DCP. Néanmoins techniquement, nous pouvons coller les noirs. Ce qu'il faut bien retenir, c'est que nous sommes ici dans une phase de fabrication où le client voit le master finalisé. Il le valide et s'assure que ce master HD est conforme à ce que nous avons fait pour le DCP 2K ou 4K. Ce qu'il se passe ensuite, à l'authoring d'un Blu-ray par exemple, est une autre étape que nous ne maîtrisons pas, puisque confiée à un autre prestataire. Nous allons maintenant vous montrer des extraits de La Chamade en HD ProRes. Il s'agit d'un fichier compressé que nos clients nous demandent parfois en remplacement du HDCAM SR qui, lui, est très peu compressé. Cela vous permettra de voir la différence avec ce que vous avez vu auparavant en projection 4K.

DVDClassik : Lors de la fabrication du Blu-ray, est ce que l'authoreur peut changer les caractéristiques du contraste par exemple ?

Eclair : L'authoreur est censé maîtriser sa chaîne de fabrication. Le deuxième aspect, c'est le réglage des écrans grand public qui peut être différent d'un écran à l'autre. Mais en théorie, on ne devrait pas en être trop éloigné.

Entretien réalisé le 6 octobre 2016. Tous nos remerciements à Audrey BIRRIEN, Rodolphe BERTRAND et Didier RETAILLEAU et aux équipes d'Eclair pour leur accueil, leur disponibilité et leur enthousiasme.

Par Stéphane Beauchet et Jean-Marc Oudry - le 28 novembre 2016