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Critique de film
Le film
Affiche du film

Du sang sur la neige

(Northern Pursuit)

L'histoire

En 1941, au Canada, un groupe de saboteurs nazis débarque d’un sous-marin, mais est bientôt décimé par une avalanche. Le colonel Keller est le seul survivant. Blessé, il est pris en charge par deux agents de la police montée qui décident de le remettre aux autorités...

Analyse et critique

Fin 1943 arrive un nouveau film d’aventure fonceur pour Errol Flynn, dirigé pour la quatrième fois par son ami Raoul Walsh. Leur précédente aventure commune ne nous a donné rien de moins que l’un des plus importants films du cinéma hollywoodien des années 1940 : le monumental Gentleman Jim. Cependant, Du sang sur la neige sera l’occasion de revenir au soutien à l’effort de guerre. Et si ce film permet de renouer avec le discours antinazi, Walsh donne une nouvelle fois l’occasion à Flynn de changer de personnalité. Quoique moralement assez proche de son personnage de Sabotage à Berlin, et tout aussi aventureux, il s’en démarque en étant un peu plus ambigu et prudent. Et après la considérable maturité (à tout point de vue) apportée par L’Ange des ténèbres, Du sang sur la neige fait figure de film bien plus mineur, certes, mais s’affirmant comme une géniale récréation. Le style Walsh est en marche, ce qui veut dire que l’on ne risque pas de s’ennuyer : il s’agit alors de bien s’accrocher !

L’acteur est ici un espion canadien au service des Alliés. Et dans cette histoire d’infiltration allemande au Canada, avec sous-marin, paysages montagneux et évasion nocturnes, il faudra tout le courage de cet homme pour résoudre le mystère et sauver la situation. Le scénario est en définitive assez simple, mais il possède deux sérieux atouts. Tout d’abord, il réserve une ambiance mystérieuse qui fait régulièrement effet. Qui est vraiment Flynn ? Quel est le but de ce commando allemand au Canada ? Qui donc manœuvre qui ? Ensuite, il fonctionne sur un principe assez simple, mais redoutable, de rebondissements à répétition et parfois inattendus. Entre de brusques retournements de situations et un héros de plus en plus solitaire, le spectateur n’a guère le temps de réfléchir. Tant mieux, puisque le but de Raoul Walsh est, tout comme dans Sabotage à Berlin, de construire une succession ininterrompue de scènes de bravoure afin de faire oublier les invraisemblances du script, tout en resserrant l’intrigue de plus en plus. Le métier du cinéaste est effarant d’habileté. Le moindre plan, le moindre mouvement de caméra est virtuose. Car l’une des grandes forces de Walsh, c’est aussi de ne pas compter uniquement sur le montage pour donner du souffle à son film. Il multiplie ainsi les panoramiques et sa caméra est souple, suivant l’action pas à pas. On ne note pas une seule faute de goût, jusque dans la photographie, toujours subtile, et le montage, jamais morne. Parmi les scènes inoubliables, on citera la remontée du sous-marin perçant la banquise, l’avalanche en haute montagne meurtrière pour le premier groupe allemand (dotée d’excellents effets spéciaux qui n’ont pas pris une ride), une scène de train très agréable, une poursuite à skis préfigurant le « style James Bond » (les similitudes avec le chef-d’œuvre Au service secret de Sa Majesté, sixième épisode de la saga bondienne réalisé par Peter Hunt en 1969, sont à ce titre assez constantes), sans oublier toute la dernière séquence dans le tunnel et en avion. Sans aucune prétention, et avec une dextérité avant-gardiste, Raoul Walsh fabrique un film de guerre et d’espionnage qui n’a pas beaucoup d’équivalents à cette époque de l’âge d’or hollywoodien. A défaut d’être un film majeur dans sa filmographie, c’est au bas mot un solide et réjouissant exercice qui, tout comme Sabotage à Berlin, s’avère très réussi dans sa forme.

Pour le reste, les paysages montagneux produisent beaucoup d’effets, et les scènes de nuit entretiennent une atmosphère à la fois lugubre et séduisante, surtout quand l’éclairage est tamisé. La galerie d’acteurs est appropriée, avec des caractères bien définis. Au sein du lot, on remarquera la présence de Julie Bishop, habituelle figure féminine sans réelle envergure croisée dans certaines productions très connues (le passionnant Chat noir d’Edgar G. Ulmer en 1934, le très honorable Convoi vers la Russie de Lloyd Bacon en 1943, ou bien encore le très beau Iwo Jima d’Allan Dwan en 1949). Sortant parfois des ornières de la série B l’espace de quelques films, elle joue ici les utilités, comme bien souvent. Ensuite, déjà présent dans L’Ange des ténèbres, l’acteur Helmut Dantine incarne encore l’officier allemand pronazi accroché coûte que coûte à sa mission. Il continue à être très convaincant, peu de choses distinguant cette performance de sa contribution précédente. Pour finir, Errol Flynn est de nouveau dans la peau d’un homme d’action très professionnel. Il défend les dialogues et les scènes d’action avec la même assurance, occupant l’écran de son insatiable charisme. Chose originale, il est dans ce film (tout au moins dans la première partie) un homme accusé de sympathies nazies. Quand on sait que Flynn a réellement été accusé à posteriori de ce genre de crime (1), cette trouvaille scénaristique prend un tour singulier. Quoi qu’il en soit, l’ensemble fonctionne et le spectateur ressort du film le sourire aux lèvres.

De leurs sept films communs, Du sang sur la neige ne restera pas la meilleure collaboration Walsh / Flynn. On peut d’ailleurs honnêtement penser qu’il s’agit de leur produit le plus anodin, situé juste en dessous de Sabotage à Berlin. Quoi qu’il en soit, ce thriller en haute montagne est un très bon divertissement, mêlant espionnage et péripéties avec un grand sens du rythme, en partie grâce à la réalisation exigeante et racée de Raoul Walsh. Cependant, concernant le cinéma de guerre engagé, le réalisateur ne va pas tarder à donner enfin le meilleur de lui-même, permettant de nouveau à Errol Flynn d’infléchir son interprétation vers quelque-chose de plus sombre et de plus mémorable.

(1) En 1980, bien après la mort de Flynn, la biographie très controversée écrite par Charles Higham, Errol Flynn, l’histoire secrète, a révélé que l’acteur avait été espion pour le compte des Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Toutes les autres biographies ont cependant largement démenti ces rumeurs. En effet, les opinions politiques de Flynn semblent plutôt avoir penché à gauche (notamment quand il défendit la République espagnole pendant la guerre d’Espagne, ou qu’il soutint Fidel Castro pendant la Révolution cubaine, bien avant que le régime ne devienne ce qu’il est devenu par la suite). Entre accusations de viol, de sympathies fascistes, et même d’homosexualité (ce dont l’acteur parle dans son autobiographie, Mes 400 coups), Errol Flynn a souvent affronté les affres de la médisance. Si ces allégations ont pu être portées sur lui, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui on sait que ce n’était pas le cas, toutes ces assertions ayant été démenties par un grand nombre de personnes, dont lui-même (qui semble suffisamment conscient de sa personne, avec tous ses défauts, pour qu’on le croit). Cela dit, les tumultes entourant la vie de Flynn, y compris pour ces trois éléments, rehaussent l’impression d’une personnalité insaisissable et, par ce biais, servent encore plus la légende qui l’entoure.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 15 janvier 2011