Falstaff (Orson Welles - 1965)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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xave44
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

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Thaddeus
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par Thaddeus »

Film assez gargantuesque que ce projet chéri et mûri par Orson Welles pendant vingt-cinq ans. Pourquoi une gestation aussi longue et aussi attentive ? Tout simplement parce que Falstaff c’est Welles lui-même, il n’y a aucun doute là-dessus, et que cet être généralement considéré comme un bouffon, un ivrogne et un lâche est à ses yeux le meilleur homme du monde, le plus humain, le plus sage et le plus assoiffé d’idéal. Grand buveur, grand bavard, grand menteur, grand coureur, il semble être le réceptacle de tous les vices, l’artisan de toutes les débauches : c’est qu’à travers ce désordre, il cherche le chemin de vertus difficiles, l’amitié, la confiance, la fidélité, et lorsqu’il sera gravement déçu et trahi par le futur roi Henry V, dont il provoqué et partagé la jeunesse folle, il mourra de chagrin et de désespoir, touché au cœur par une blessure qu’on eût cru incapable de l’atteindre. Avec cette lecture qui a dû faire bondir les bondir les spécialistes, le cinéaste livre un Shakespeare wellesisé, lavé du vernis académique de l’Old Vic Theatre, cureté jusqu’à l’os. Bien sûr, un tourbillon digne de l’auteur du Roi Lear emporte l’artiste, brassant le tragique et le bouffon, le terrible et le suave. Il n’y a pas seulement à admirer le montage-choc, le choix des cadrages, la variété des angles, l’univers comme éclaté à travers les objectifs à deux foyers et la distorsion de l’image. Il n’y pas juste à saluer la beauté des noirs, des gris foncés, des blancs, des contre-plongées qui dégagent le ciel et surtout les nuages et exaltent un héros tout de même écrasé par un décor auquel est conféré une densité, un poids, une présence. Il y a surtout à apprécier cette volonté de l’auteur qui cherche à s’étourdir, à retarder le moment où il se retrouvera seul avec lui-même. Par des temps de pause, quelques haltes, un certain vertige, Welles descend de son piédestal et se mêle à nous.

Pour raconter cette histoire douloureuse dont la gravité se drape de truculence, l’artiste recourt à une photographie traitée dans un style d’eau-forte à la fois durement contrasté et plein de subtils clairs-obscurs (on pense à Callot, à Rembrandt). Dépassant de loin le charme désuet d’une tapisserie sur le bon vieux temps, le film, comme La Splendeur des Amberson, évoque l’écroulement d’un monde, la décadence d’une société sur le déclin. Deux styles de vie : la taverne, le château. L’une, grouillante de la vie de Londres populaire, au lourd fumet de ripailles et de bombances, avec ses escaliers, ses loggias de confidence, ses portes, ses balustres, pleine de traines-savates, de vide-goussets et de ribaudes ; l’autre, cour austère mais pleine d’allure, stricte, sobre, où un monarque autoritaire n’en finit pas d’agoniser. D’un côté le règne du bois, matériau chaud, vivant, gai, de l’autre celui de la pierre, triste, glacée, incorruptible, symbole du pouvoir et de la mort. Creuset, charnière entre ces deux mondes, la bataille de Shrewsbury est un morceau d’anthologie qui charpente remarquablement le film, l’anime d’un ample mouvement rythmique, alternant les plans d’ensemble où se heurtent les masses d’infanterie et de cavalerie et les plans de détail où l’on reçoit de plein fouet l’atrocité du combat. Dès les préparatifs alternant piques, étendards, machines de guerre, cottes de maille, armures, blasons, vent, ciel, brume, chevaliers que l’on pend pour les jucher sur leurs chevaux ou qui s’enferment dans le métal comme dans un suaire, Welles rassemble les données d’une page mémorable. Et dans le chaos sanglant de la mêlée, le gros Falstaff carapaçonné d’acier tente d’échapper aux mauvais coups et s’attribue cyniquement la mort de Percy tué en combat singulier par le Prince de Galles. Visuellement les déplacements de Falstaff s’opposent en contrepoint à ceux des autres belligérants et ses fuites de plus en plus rapides, grosse boule métallique déployant des trésors d’agilité, sont d’une cocasse drôlerie. Pendant qu’il joue à faire le mort, il témoigne encore un temps de cet amour rabelaisien de la vie, cette vie qu’il a bue avec délices et à longs traits, qui marque d’un sceau indélébile le personnage et en fait l’un des plus vulnérables et les plus attachants de toute l’œuvre de Welles.
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Demi-Lune
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par Demi-Lune »

Comme je disais ailleurs, à mon grand regret, j'ai eu beaucoup de mal à m'intéresser à ce Welles qui est pourtant souvent présenté comme un de ses meilleurs accomplissements. La truculence du personnage de Falstaff et la façon dont Welles se projette corps et âme à travers lui ne suffit pas pour moi à contrebalancer de vrais problèmes de rythme et d'implication. Et où est passée l'épiphanie formelle du cinéaste, qui transcende tout ? La mise en scène exceptionnellement plus posée rigidifie le texte et le rend ennuyeux. Quand l'heure de la disgrâce arrive pour Falstaff, cela fait longtemps que le cinéaste m'a perdu.
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Thaddeus
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par Thaddeus »

Demi-Lune a écrit :Et où est passée l'épiphanie formelle du cinéaste, qui transcende tout ?
Outre que je ne le trouve absolument pas déficient sur le plan de la création formelle, bien au contraire, j'aime le film justement parce qu'au souffle de la frénésie élisabethaine, au tumulte du bouillonnement wellesien, l'auteur ajoute quelque chose de bourru, de tristement humain, de pudiquement fraternel. Parce qu'il n'a pas craint de substituer à un vieux fou à barbe blanche un vieil homme digne plein d'épaisseur et de chaleur, autour duquel il organise un decrescendo de lumière, passant du blanc le plus vif au gris qui se fonce et au noir de la mort, comme si les ténèbres déjà embrumaient lentement ses derniers instants de lucidité, comme si baissait par degrés, jusqu'à la nuit, la lampe à huile de sa conscience. L'âme et le coeur du film, ils sont là pour moi. Ceci étant, je lui préfère également, et d'assez loin, ces monuments que sont Kane, La Soif du Mal ou les Amberson.
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Watkinssien
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par Watkinssien »

Demi-Lune a écrit : Et où est passée l'épiphanie formelle du cinéaste, qui transcende tout ?
De la première à la dernière seconde, pourquoi? :mrgreen:
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tenia
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Re: RE: Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par tenia »

xave44 a écrit :https://www.amazon.com/Chimes-Midnight- ... son+Welles

Vite ! l'édition UK !

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C'est déjà chez Mr Bongo, dans une copie beaucoup trop claire.
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Re: RE: Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par xave44 »

tenia a écrit :
xave44 a écrit :https://www.amazon.com/Chimes-Midnight- ... son+Welles

Vite ! l'édition UK !

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C'est déjà chez Mr Bongo, dans une copie beaucoup trop claire.
Oui. Et sans sta si je ne m'abuse :?:
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par xave44 »

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Thaddeus a écrit :Film assez gargantuesque que ce projet chéri et mûri par Orson Welles pendant vingt-cinq ans. Pourquoi une gestation aussi longue et aussi attentive ? Tout simplement parce que Falstaff c’est Welles lui-même, il n’y a aucun doute là-dessus, et que cet être généralement considéré comme un bouffon, un ivrogne et un lâche est à ses yeux le meilleur homme du monde, le plus humain, le plus sage et le plus assoiffé d’idéal. Grand buveur, grand bavard, grand menteur, grand coureur, il semble être le réceptacle de tous les vices, l’artisan de toutes les débauches : c’est qu’à travers ce désordre, il cherche le chemin de vertus difficiles, l’amitié, la confiance, la fidélité, et lorsqu’il sera gravement déçu et trahi par le futur roi Henry V, dont il provoqué et partagé la jeunesse folle, il mourra de chagrin et de désespoir, touché au cœur par une blessure qu’on eût cru incapable de l’atteindre. Avec cette lecture qui a dû faire bondir les bondir les spécialistes, le cinéaste livre un Shakespeare wellesisé, lavé du vernis académique de l’Old Vic Theatre, cureté jusqu’à l’os. Bien sûr, un tourbillon digne de l’auteur du Roi Lear emporte l’artiste, brassant le tragique et le bouffon, le terrible et le suave. Il n’y a pas seulement à admirer le montage-choc, le choix des cadrages, la variété des angles, l’univers comme éclaté à travers les objectifs à deux foyers et la distorsion de l’image. Il n’y pas juste à saluer la beauté des noirs, des gris foncés, des blancs, des contre-plongées qui dégagent le ciel et surtout les nuages et exaltent un héros tout de même écrasé par un décor auquel est conféré une densité, un poids, une présence. Il y a surtout à apprécier cette volonté de l’auteur qui cherche à s’étourdir, à retarder le moment où il se retrouvera seul avec lui-même. Par des temps de pause, quelques haltes, un certain vertige, Welles descend de son piédestal et se mêle à nous.

Pour raconter cette histoire douloureuse dont la gravité se drape de truculence, l’artiste recourt à une photographie traitée dans un style d’eau-forte à la fois durement contrasté et plein de subtils clairs-obscurs (on pense à Callot, à Rembrandt). Dépassant de loin le charme désuet d’une tapisserie sur le bon vieux temps, le film, comme La Splendeur des Amberson, évoque l’écroulement d’un monde, la décadence d’une société sur le déclin. Deux styles de vie : la taverne, le château. L’une, grouillante de la vie de Londres populaire, au lourd fumet de ripailles et de bombances, avec ses escaliers, ses loggias de confidence, ses portes, ses balustres, pleine de traines-savates, de vide-goussets et de ribaudes ; l’autre, cour austère mais pleine d’allure, stricte, sobre, où un monarque autoritaire n’en finit pas d’agoniser. D’un côté le règne du bois, matériau chaud, vivant, gai, de l’autre celui de la pierre, triste, glacée, incorruptible, symbole du pouvoir et de la mort. Creuset, charnière entre ces deux mondes, la bataille de Shrewsbury est un morceau d’anthologie qui charpente remarquablement le film, l’anime d’un ample mouvement rythmique, alternant les plans d’ensemble où se heurtent les masses d’infanterie et de cavalerie et les plans de détail où l’on reçoit de plein fouet l’atrocité du combat. Dès les préparatifs alternant piques, étendards, machines de guerre, cottes de maille, armures, blasons, vent, ciel, brume, chevaliers que l’on pend pour les jucher sur leurs chevaux ou qui s’enferment dans le métal comme dans un suaire, Welles rassemble les données d’une page mémorable. Et dans le chaos sanglant de la mêlée, le gros Falstaff carapaçonné d’acier tente d’échapper aux mauvais coups et s’attribue cyniquement la mort de Percy tué en combat singulier par le Prince de Galles. Visuellement les déplacements de Falstaff s’opposent en contrepoint à ceux des autres belligérants et ses fuites de plus en plus rapides, grosse boule métallique déployant des trésors d’agilité, sont d’une cocasse drôlerie. Pendant qu’il joue à faire le mort, il témoigne encore un temps de cet amour rabelaisien de la vie, cette vie qu’il a bue avec délices et à longs traits, qui marque d’un sceau indélébile le personnage et en fait l’un des plus vulnérables et les plus attachants de toute l’œuvre de Welles.
Texte magnifique Thaddeus.
Je n'ai pas vu le film, je ne veux pas acheter le dvd et préfère attendre le BR.
Mais la bande-annonce de Criterion laisse présager le meilleur.
A propos de La Splendeur des Amberson, il serait grand temps qu'une édition BD arrive...
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Watkinssien
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par Watkinssien »

xave44 a écrit : A propos de La Splendeur des Amberson, il serait grand temps qu'une édition BD arrive...
Je me souviendrai toujours recevant le Blu-Ray de Citizen Kane, avec comme "bonus" dans le coffret, le DVD de La splendeur des Amberson. C'était assez pathétique.
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

Message par xave44 »

Watkinssien a écrit :
xave44 a écrit : A propos de La Splendeur des Amberson, il serait grand temps qu'une édition BD arrive...
Je me souviendrai toujours recevant le Blu-Ray de Citizen Kane, avec comme "bonus" dans le coffret, le DVD de La splendeur des Amberson. C'était assez pathétique.
J'ai l'édition Montparnasse basique ; si c'est celle-ci, je compatis...
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Jeremy Fox
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Re: Falstaff (Orson Welles - 1965)

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