Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang - 1922)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Shagmir
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Message par Shagmir »

Cinzano a écrit :Je me souviens que lors de ses diffusions au Cinéma de Minuit, Dr. Mabuse, der Spieler était accompagné d'une musique de jazz qui correspondait très bien à l'atmosphère de l'Allemagne weimarienne. Cette musique est-elle présente sur le DVD, en plus du nouvel accompagnement ?
Je me souviens très bien de cette musique, de très loin la meilleure chose que j'aie entendu dans un film muet durant ma courte existence… :D

Si ma mémoire ne me trompe pas, il s'agit d'une partition qui avait été commandée par Fritz Lang au moment où il a supervisé un nouveau montage du film (environ 2 x 90 min), dans les années cinquante ou soixante. J'écris tout cela avec prudence car je n'ai jamais retrouvé trace de cette information sur le web, ni dans les livres consacrés à Lang que j'ai pu consulter — je ne connais donc même pas le nom du compositeur. Mais je pourrais vous siffloter le thème principal, sans problème… et pourtant cela remonte à la diffusion du film au Cinéma de minuit début 1991.

Cette musique passe évidemment à la trappe dès lors qu'on restaure la durée originelle du film… C'est infiniment regrettable.
Cinzano
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Message par Cinzano »

Shagmir a écrit :
Cinzano a écrit :Je me souviens que lors de ses diffusions au Cinéma de Minuit, Dr. Mabuse, der Spieler était accompagné d'une musique de jazz qui correspondait très bien à l'atmosphère de l'Allemagne weimarienne. Cette musique est-elle présente sur le DVD, en plus du nouvel accompagnement ?
Je me souviens très bien de cette musique, de très loin la meilleure chose que j'aie entendu dans un film muet durant ma courte existence… :D

Si ma mémoire ne me trompe pas, il s'agit d'une partition qui avait été commandée par Fritz Lang au moment où il a supervisé un nouveau montage du film (environ 2 x 90 min), dans les années cinquante ou soixante. J'écris tout cela avec prudence car je n'ai jamais retrouvé trace de cette information sur le web, ni dans les livres consacrés à Lang que j'ai pu consulter — je ne connais donc même pas le nom du compositeur. Mais je pourrais vous siffloter le thème principal, sans problème… et pourtant cela remonte à la diffusion du film au Cinéma de minuit début 1991.

Cette musique passe évidemment à la trappe dès lors qu'on restaure la durée originelle du film… C'est infiniment regrettable.
C'est exactement ça : le film avait été diffusé en 1991 en deux parties ("Docteur Mabuse, le Joueur" et "Docteur Mabuse, le Démon du crime").

J'ignorais en revanche que cette musique avait été commandée par Lang lui-même.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Projeté ce soir en deux parties à la cinémathèque...Demain, conférence de Raymond Bellour sur le film.

http://www.cinematheque.fr/fr/nosactivi ... z-lang.htm
Tuck pendleton
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Message par Tuck pendleton »

Elle est vraiment chouette la chronique d'Alex et pour ce que j'ai lu des commentaires d'Eisner et écouté de l'analyse du film par Bellour hier soir, cerne très bien les différents éléments d'un film très riche sur le plan thématique et formel. Comme Roy, sur les presque 4h30 du film j'ai ressenti quelques longueurs vers la fin du premier volet et au début du deuxième mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier le spectacle. Il y a vraiment des moments assez impressionants comme lorsque Wenk est hypnotisé pour la première fois par Mabuse : Les lettres Tsi NAn fu qui se dessinent sur les cartes et la table de jeu, le travelling avant sur le carton "Sie Nehmen" et l'incroyable plan où seul la tête de Mabuse est éclairé et envahit peu à peu tout l'écran. Le jeu de Rudolf Klein-Rogge est extraordinaire et plus nuancé qu'il n'y parait.
Cela fait longtemps que je n'ai pas vu le testament mais il me semble qu'il y avait une extravagance plus poussée.
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AlexRow
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Message par AlexRow »

Merci Tuck. Je dois avouer avoir ressenti aussi quelques petites longueurs sur la fin du 1er volet la première fois. En revanche, quand j'ai revu le film pour la chronique, tout cela s'est envolé et je suis resté simplement subjugué par la beauté des tableaux.
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Message par Tuck pendleton »

oui je pense que c'est simplement dû à mon manque d'attention. Comme presque dans tout grand film, Mabuse doit dévoiler toute ses richesses au fur et à mesure des visions. Dans les différents extraits présentés par Bellour hier soir, plein de détails géniaux m'avaient échappé.

Sinon Bellour a choisi de commenter les moments les plus marquant du film :

- L'intro
- La première hypnose de Wenk
- Le moment où le comte Told demande à Mabuse ce qu'il pense de l'expressionnisme
- La folie de Mabuse à la fin chez les aveugles

et pour compléter

La séance de spiritisme dans Ministry of Fear (1944) qui fait écho à celle de mabuse et une scène du Montreur d'ombre (1923) d'Arthur Robinson.
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AlexRow
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Message par AlexRow »

Très bon choix. Je regrette de n'avoir pas pu venir.
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Message par kontarkh »

le testament passe en ce moment sur arte.
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Message par Tarkus1975 »

kontarkh a écrit :le testament passe en ce moment sur arte.
Je l'enregistre en ce moment. J'ai remarqué qu'au début du film il y avait écrit DEUTSCHE UNIVERSAL. C'était donc une production de la filiale Allemande de l'Universal de l'époque ?
Strum
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Message par Strum »

Et bien, il m'aura fallu plus d'un an pour me décider à le voir ce Mabuse, Le Joueur. Mon avis ci-dessous.

J'ai toujours eu un faible pour ce que j'appelle les "films monde", les films où le réalisateur se fait démiurge et invente un monde entièrement clos et cohérent où pénètre le spectateur. Parmi ces films, figurent en bonne place Le Guépard, Colonel Blimp, L'Homme qui tua Liberty Valance, Andreï Roublev et quelques autres encore, comme Le Docteur Mabuse, Le Joueur.

Qu'est-ce qu'un film monde ? C'est un film, où le monde vient en premier et où les personnages ne sont qu'une projection de ce monde. Il en va ainsi du Docteur Mabuse. Lui et le procureur Von Wenk sont l'expression de leur époque, ils en sont comme l'esprit marchant au soleil. Chez Mabuse, cette personnification coule de source. Mabuse est multiple, il est tous les personnages qu'il incarne, autant d'hommes que l'on retrouve au sein de toutes les strates sociales de l'Allemagne de l'après première-guerre mondiale : le boursier, l'homme d'affaire, le psychanalyste, l'homme de la rue, le marchand. Von Wenk, le procureur est presque un autre Mabuse: homme de déguisement lui aussi, brutal et obsessionel.

Mais pour que les personnages apparaissent comme l'expression de leur époque, tout cinéaste créateur d'un film monde, doit d'abord trouver les moyens de rendre ce monde vivant. Dans Docteur Mabuse, le joueur, Lang y parvient en cernant deux des principales caractéristiques de l'Allemagne des années 20: (i) le "tout est permis" hérité de Dostoïevski et de Nietzsche qui devient chez Lang "tout est jeu" et (ii) la vitesse. A cet égard, aucune des péripéties narratives du film n'est vaine, elles ont toute pour fonction de donner corps à ce "tout est jeu". La bourse, la psychanalyse, le spiritisme, les fortunes vites faites, ne sont pas les prétextes de vignettes narratives, mais autant de moyens pour Lang de décrire son époque, de nous dire que les règles de l'ancien monde sont mortes selon lesquelles le bien et le mal, les nantis et les pauvres étaient également répartis de par le monde. Le doute venu quant à la validité de ces règles, il n'y a plus lieu d'hésiter ou de théoriser, c'est au plus rapide, au plus en phase avec son temps accéléré, aux Mabuse et aux Von Wenk, de remporter la mise. Lang rend admirablement bien compte de la rapidité d'exécution de Mabuse en ayant recours à un principe simple - faire en sorte que Mabuse ait toujours un temps d'avance sur le spectateur (il n'est jamais là où on l'attend) - et en multipliant les ellipses, les sauts temporelles et les surimpressions de manière à dynamiser son récit. Quant à la très riche palette picturale du film, qui confère à chaque lieu son identité en seulement deux-trois plans, elle est fort bien décrite par Alex Row dans son excellente chronique.

La présence du démon de la vitesse qui préside au destin de Mabuse est patente si l'on compare Mabuse, le joueur, au plus grand roman allemand des années 20 : La Montagne Magique de Thomas Mann, qui se veut, comme Mabuse, le reflet d'une époque. Dans la Montagne magique, Hans Castorp, esprit faible mais curieux, s'initie au spiritisme, à la psychanalyse, à la politique, aux nouvelles techniques, à l'amour, à tout ce qui fait l'Europe du début du siècle. Seulement, là où le monde de la Montagne Magique est comme frappé d'immobilisme, tétanisé devant le dérèglement des valeurs d'antan, incapable d'agir, le monde de Mabuse est devenu celui de l'action, de l'exploration des nouvelles sciences aux fins de manipuler les masses. La première guerre mondiale, qui sépare les deux récits, est passée par là et a réveillé la vieille Europe, entrée dans l'ère de l'action et de la vitesse, et tombée selon Lang aux mains de joueurs sans scrupules. Ces joueurs ont fait des nouvelles découvertes de l'esprit humain les instruments de leurs desseins de domination. Là où la psychanalyse ou l'occultisme font figure d'aimables et joyeuses diversions dans La Montagne Magique propres à contenter la curiosité de Hans Castorp, ils sont devenus chez Lang les instruments des sinistres projets de Mabuse, reflets d'une vision infiniment plus pessimiste de la modernité.

Schopenhauer, Nietzsche et Freud sont les grands ordonnateurs de l'expression du "doute" (quant à la validité de l'ordre ancien où Dieu réconfortait les hommes) dans la pensée européenne et Docteur Mabuse, le joueur, déploie ses vastes ailes sous leur égide. Mabuse veut plier le monde à sa volonté, et ses diatribes sur la volonté de puissance citent expressément Nietzsche. A cet égard, la traduction des sous-titres français du film est trompeuse, qui traduit "Macht" par "pouvoir" au lieu de "puissance" comme chez les traducteurs de Nietzsche. Comme le surhomme de Nietzsche, Mabuse est tendu vers son devenir, et plus l'adversité représentée par Von Wenk s'accroît, plus sa volonté de puissance et, partant, les risques qu'il prend, sont grands. Le Docteur Mabuse, dans le Joueur, est donc bien davantage une incarnation métaphysique qu'une incarnation politique, ce que Lang a toujours reconnu. C'est seulement dans Le testament du docteur Mabuse, suite et "film personnages" à l'envergure réduite, qui jamais n'a le pouvoir de fascination de l'original, que Mabuse devenu homme et apprenti dictateur préfigure les nazis.

L'expression de l'amour chez Mabuse doit quant à elle beaucoup à Freud. Mabuse n'aime pas, il désire. C'est un amour possessif et narcissique, à l'opposé de celui, pur et mal payé en retour, que lui voue la Carozza. Freud, dont l'ombre tutélaire s'étend sur tout le film. Il faut s'imaginer pour le comprendre ce qu'a été la révolution de la psychanalyse au début du siècle, terreau de tous les fantasmes. Soudain, un pan entier de l'âme humaine s'ouvrait aux explorateurs de l'inconscient. D'aucuns pensaient que toutes les maladies nerveuses pourraient être guéries. Ce n'est qu'un peu plus tard que certains durent rabattre de leurs prétentions quant au pouvoir réel de la psychanalyse, au moment même, étrange paradoxe, où Freud écrivait son livre le plus extraordinaire, Le Malaise dans la culture en 1929, expression la plus achevée du pessimisme de sa dernière période.

Protée à l'identité incertaine, surhomme nietzschéen, esprit d'une époque, Mabuse est tout cela à la fois. Mais, comme le dit la Carozza, le personnage le plus lucide de ce bal de damnés, il n'est plus un homme. Mabuse n'est plus qu'une volonté, qu'un mécano qui travaille sur la machine emballée qu'est devenue la société berlinoise. "Tout est jeu" signifie aussi que 'tout est rouages'. Pour Mabuse, vivre, c'est manipuler et soumettre d'autres hommes. Autour de lui, les hommes et les femmes ne sont que les instruments futurs de sa volonté de puissance. Puisqu'il n'est plus un homme, Mabuse commet une erreur fatale à la fin du film en tentant de redevenir homme, c'est-à-dire en révélant par défi sa véritable identité à Von Wenk. Prisonnier d'une seule identité, car privé de ses masques, Mabuse devient dès lors prisonnier de son monde intérieur, de son inconscient fait de machines et de rouages. C'est alors que sa conscience d'homme, opprimée quand il était multiple, resurgit sous la forme d'un passé hanté par des fantomes et d'un présent de machines (extraordinaire scène que nous donne à voir Lang où le mobilier se transforme en machines). C'est alors que le monde intérieur de Mabuse se substitut au monde extérieur. La volonté de puissance n'est plus. Ne demeure qu'un inconscient incontrôlable qui emprisonne Mabuse dans les rêts de la folie.
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Ouf Je Respire
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Message par Ouf Je Respire »

Très intéressant. :D
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homerwell
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Message par homerwell »

Je suis en train de visionner la série Berlin Alexanderplatz de Rainer Werner Fassbinder j'en suis au 8 éme épisode). Il ya peut être des parrallèles à faire avec le Docteur Mabuse le Joueur. Même époque, même exploration des bas fonds, même ville...
Shagmir
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Re:

Message par Shagmir »

Cinzano a écrit :Je me souviens que lors de ses diffusions au Cinéma de Minuit, Dr. Mabuse, der Spieler était accompagné d'une musique de jazz qui correspondait très bien à l'atmosphère de l'Allemagne weimarienne. Cette musique est-elle présente sur le DVD, en plus du nouvel accompagnement ?
Après une longue recherche, j'ai fait un point sur cette fameuse musique et les circonstances dans lesquelles elle a été écrite. Pour les curieux, ou tout simplement les fans de Fritz Lang qui veulent tout savoir, c'est ICI.
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Re: Re:

Message par Federico »

Shagmir a écrit :
Cinzano a écrit :Je me souviens que lors de ses diffusions au Cinéma de Minuit, Dr. Mabuse, der Spieler était accompagné d'une musique de jazz qui correspondait très bien à l'atmosphère de l'Allemagne weimarienne. Cette musique est-elle présente sur le DVD, en plus du nouvel accompagnement ?
Après une longue recherche, j'ai fait un point sur cette fameuse musique et les circonstances dans lesquelles elle a été écrite. Pour les curieux, ou tout simplement les fans de Fritz Lang qui veulent tout savoir, c'est ICI.
Merci pour ce lien. :)
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Tommy Udo
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Re: Re:

Message par Tommy Udo »

Shagmir a écrit :
Cinzano a écrit :Je me souviens que lors de ses diffusions au Cinéma de Minuit, Dr. Mabuse, der Spieler était accompagné d'une musique de jazz qui correspondait très bien à l'atmosphère de l'Allemagne weimarienne. Cette musique est-elle présente sur le DVD, en plus du nouvel accompagnement ?
Après une longue recherche, j'ai fait un point sur cette fameuse musique et les circonstances dans lesquelles elle a été écrite. Pour les curieux, ou tout simplement les fans de Fritz Lang qui veulent tout savoir, c'est ICI.
Un article on ne peut plus passionnant !
Merci Shagmir :wink:
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