Rouben Mamoulian (Rushes inédits de 1965- A.S. Labarthe) 110 min
Lors de leur voyage aux USA, l'équipe de Labarthe profite du déplacement pour filmer d'autres cinéastes. Ces rushes de Mamoulian n'ont jamais été montés ni diffusés. C'est donc un matériel brut qui est montré tel que. On s'aperçoit donc là des maladresses de l'équipe qui se retrouve à court de pellicule en fin de bobine et continue à enregistrer le son. On demande aussi à Mamoulian de faire une entrée ou d'allumer un cigare et il accepte même de refaire les prises.
En tous cas, cette interview permet de se familiariser avec ce merveilleux metteur en scène. Il parle un français vraiment excellent, avec des anglicismes ça et là. On sent un personnage sympathique, cultivé (peut-être trop pour Hollywood!) et élégant. On ne trouve pas trace de rancoeur dans ses propos et pourtant... Sa fin de carrière a été extrêmement pénible. Il s'est fait renvoyer par plusieurs producteurs.
Mamoulian parle d'abord de sa jeunesse. Son français parfait est dû au fait qu'il a passé une partie de son enfance à Paris avec sa famille. Il a même fréquenté le Lycée Montaigne. Orignaire de Tiflis en Georgie, il part à l'âge de 20 ans à Londres pour rejoindre sa soeur qui y habite. Il réussit à se faire embaucher comme metteur en scène pour une revue musicale et de fil en aiguille, on lui demande de mettre en scène une pièce au prestigieux Saint James Theatre. Il se fait chambrer par les acteurs anglais chevronnés qu'il a face à lui. Il n'a que 23 ans et une commande de l'anglais encore superficielle. On lui propose ensuite de travailler à Paris au Théâtre des Champs-Elysées. Il est intéressé, mais, finalement il reçoit une offre très alléchante de George Eastman, à Rochester (USA) pour y diriger des opéras. Il part pour les USA. Il est fier de ses réussites dans le théâtre musical. Que ce soit pour
Porgy and Bess ou sur
Oklahoma, il a réussi à fusionner le chant, la danse et l'art dramatique pour en faire un tout. Ses mises en scène ont profondemment modifié le théâtre musical américain.
Son premier film,
Applause (1929), a été tourné aux Studios Astoria de NY de la Paramount. On voulait faire de lui un 'dialog director', mais il a refusé. Il voulait pouvoir tout contrôler. Il passe 5 semaines au studio pour apprendre le métier et se lance. Il insiste pour utiliser deux micros lors d'une scène et demande le mixage des deux bandes sons, une idée révolutionnaire à l'époque. Il fait aussi réaliser des travellings avec la cabine insonorisée dans laquelle se trouve la caméra. Il parle aussi de ses innovations avec le son sur
City Streets (1931) où la bande-son reflète la pensée de Sylvia Sidney. L'idée paraît saugrenue à tout le monde, même à son assistant. Puis, il utilise la caméra subjective sur
Dr Jekyll and Mr Hyde (1931). Il applique sa théorie du spectacle musical au film avec
Love Me Tonight (1932) et offre à Myrna Loy pour la première fois un rôle qui la fait sortir de son 'type-casting' de créature orientale. C'est dommage que son travail sur la couleur dans
Becky Sharp (1935) ait à peine été abordé. Mais, il pense avoir réussi son meilleur film en couleurs avec
Blood and Sand (1941) où la couleur est le reflet de la psychologie des personnages. Quant à la direction d'acteurs, il pense qu'il faut s'adapter à chaque acteur. Avec Garbo, il fallait être simple et suggérer. C'était une actrice intuitive et n'avait pas besoin de longs discours.
Ses impressions sur le cinéma contemporain sont mitigées. Il aime Fellini (
La Strada et
8 1/2). Il pense que le renouvellement avec la Nouvelle Vague était inévitable et probablement nécessaire pour se débarrasser des vieilles habitudes. Mais, il pense aussi que le nouveau cinéma n'a pas encore réussi à reconstruire un nouveau schéma. Il reste trop personnel et égocentré. Il a toujours envie de faire du cinéma et il voudrait tourner une version de
Carmen. (Hélas, il ne tournera plus rien.) Il vient juste de terminer de réécrire une version d'
Hamlet en anglais moderne (en respectant la scansion des vers de Shakespeare) pour que tout un chacun puisse le lire sans dictionnaire.
Au total, c'est un portrait émouvant de cet artiste, sous forme d'ébauche.
Si la plupart des documentaires de la série sont indisponibles en DVD et le resteront (et c'est pour cela que j'ai fait ces chroniques détaillées), ces rushes sont disponibles en DVD en supplément sur le livre
Cinéastes de Notre Temps d'A.S. Labarthe (Ed; Capricci).