Andrzej Wajda (1926-2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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O'Malley
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par O'Malley »

Jeremy Fox a écrit :
O'Malley a écrit : La scène du diner entre Robespierre et Danton reste quand même extraordinaire
... de l'amorce de diner :mrgreen:
En effet... :mrgreen:

En fait, en réfléchissant, je trouve que la mise en scène est finalement aussi raide que le personnage de Robespierre alors que j'aurais préféré quelque chose de plus lyrique, de plus vivant... à l'image de Danton.
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Jeremy Fox
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Jeremy Fox »

D'ailleurs j'hésitais pas plus tard que lundi soir à regarder Les Possédés ; qu'en pensez-vous ? Raide ou lyrique ?
O'Malley
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par O'Malley »

Jeremy Fox a écrit :D'ailleurs j'hésitais pas plus tard que lundi soir à regarder Les Possédés ; qu'en pensez-vous ? Raide ou lyrique ?
Pas vu.
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Demi-Lune
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Demi-Lune »

O'Malley a écrit :Il me semble que le film est un peu à charge et donc un peu lourd. Les personnages restent quand même assez unilatéraux et je ne retrouve pas d'ambivalence finalement sur les situations et sur les personnages, à l'instar du Danton dont le film tait grandement les zones d'ombre (il était quand même un peu corrompu économiquement).
C'est certain que Wajda parle autant de la Révolution française (enfin, de la Terreur) que de la dictature en Pologne. Raison pour laquelle il confie tous les rôles des dantonistes à des Français, là où tous les membres du Comité de salut public sont joués par des Polonais (et ça marche). Il faut se rappeler que c'est bien la France, financièrement, qui permet à Wajda de tourner après que ce dernier ait décidé de fuir son pays. C'est son film suivant après sa Palme d'Or pour L'homme de fer, film dont le cinéaste lui-même dit qu'il a été couronné pas tant pour lui-même, mais pour aider Solidarność. Tout ça n'est donc pas neutre, jusque dans le choix du sujet : car pourquoi un réalisateur polonais en exil adapterait-il l'affaire Danton, un épisode aussi connoté et cocardier de l'Histoire proto-républicaine française, si ce n'est pour en tirer un propos contemporain ? Ainsi, c'est un film dont l'engagement parle en 1983 différemment selon les interlocuteurs, puisque c'est autant un brûlot contre le totalitarisme communiste (la scène dans l'atelier de Jaques-Louis David, où l'on prépare Le Serment du Jeu du Paume et où Robespierre ordonne à l'artiste que l'on enlève des participants du tableau parce qu'ils font partie des purges, est un exemple parmi d'autres sans ambiguïté), qu'un coup de canif dans la politique culturelle mitterrandienne (qui a pourtant permis au film de se faire) qui observe déjà la Révolution comme un horizon fédérateur (l'Opéra Bastille, les commémorations du Bicentenaire), ce que Danton démonte méticuleusement, et qui déplut apparemment tant à Jack Lang lorsqu'il découvrit le film. Évidemment, l'historiographie avait depuis bien longtemps entrepris ce travail, mais je ne suis pas sûr qu'avant Andrzej Wajda, le cinéma ait montré avec autant d'acuité la Révolution sous son jour le plus noir, le plus politicien, le plus machiavélique, le plus destructeur (il y a bien quelques scènes dans le Napoléon de Gance, mais elles ne sont pas le cœur du film). Le film titille l'histoire idéologique de la gauche au sens large (ce qui pourrait expliquer plus profondément pourquoi il a braqué à l'époque le Ministère de la Culture) puisqu'il évoque les dérives du jacobinisme, jacobinisme dont l'historien François Furet redoutait qu'il soit consacré par Mitterrand avec le Bicentenaire. Pour mesurer ce contexte intellectuel, je recommande la lecture de l'article suivant :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le Monde a écrit :Rétrocontroverse : 1989, bicentenaire introuvable ou Révolution terminée

Ce devait être le point d'orgue symbolique de la gauche au pouvoir, ce bicentenaire de la Révolution française. N'avait-il pas pour auspices le second septennat de François Mitterrand ?

LE MONDE | 01.08.2007 à 13h26 | Par Nicolas Weill

Ce devait être le point d'orgue symbolique de la gauche au pouvoir, ce bicentenaire de la Révolution française. N'avait-il pas pour auspices le second septennat de François Mitterrand ? Mais le mouvement de l'histoire et de son écriture fit qu'il en alla tout autrement. Bien plus qu'une célébration rituelle des "géants", 1989 a représenté plutôt la mise à bas d'un discours cruellement baptisé de "vulgate lénino-jacobine" par ses adversaires, à commencer par le premier d'entre eux, François Furet (1927-1997). Par là, l'historien entendait stigmatiser l'idée, dépassée selon lui, que l'avènement révolutionnaire installant la démocratie politique (1789) n'avait été qu'une étape "bourgeoise" dont le nécessaire prolongement était une révolution sociale à venir, plus ou moins coulée dans le moule des schémas marxistes. S'il y eut un véritable événement intellectuel cette année-là, ce fut bien le passage dans le passé d'une telle conception, sur fond de perestroïka d'abord puis d'effondrement d'un monde communiste qui, depuis l'"autre" révolution, celle d'octobre 1917, avait fait souvent de la Terreur sa préfiguration.

Le changement de paradigme fut personnifié par l'opposition de deux personnalités éminentes, Michel Vovelle et François Furet. Le premier, directeur du très jacobin Institut d'histoire de la Révolution française de la Sorbonne et successeur d'Albert Soboul, fut chargé de la supervision historique de la commémoration. L'autre, en rupture de communisme depuis les années 1950, avait par son Penser la Révolution (Gallimard, 1978) cherché depuis longtemps à rendre obsolètes toutes les tentatives de célébration béate à bonnet phrygien ou carmagnole, en osant affirmer que "la Révolution française est terminée".

Dès novembre 1983, il lançait, en libéral convaincu et dégrisé, la controverse sur les commémorations de 1789 avec un article consacré à "La Révolution dans l'imaginaire politique français" (Le Débat, no 26). "Derrière la célébration du salut public, avertissait-il, il y a non seulement l'investissement patriotique, et l'amour rétrospectif de la France menacée et sauvée, mais plus simplement le culte de l'Etat, sous toutes ses formes." La démocratie - quitte à mener une réflexion critique sur ses abus - était irréversible et son dépassement n'avait pas à être souhaité dans un quelconque "avenir radieux" qui avait tous les traits du totalitarisme. 1789 oui, mais sans 1793.

Cet affrontement eut un théâtre privilégié en 1989 : Le Monde de la révolution française, un mensuel que Le Monde fit paraître l'année du bicentenaire pour en suivre les aléas, polémiques et rendez-vous.

Dans le premier numéro (janvier 1989), François Furet, évoquant son Dictionnaire critique de la Révolution française codirigé avec Mona Ozouf (Flammarion, 1988), réaffirma ses positions. "Il a été très longtemps d'usage, confiait-il, de faire avant tout de la Révolution un événement lisible et interprétable à travers les stratégies des classes sociales, de la bourgeoisie en premier lieu. Notre ouvrage met au centre (...) l'irruption extraordinairement brutale de l'idée démocratique dans la société française." Avouant être resté un "admirateur du "lever de soleil" de 1789", François Furet inscrivait son interprétation dans le sillage "d'une redécouverte des droits de l'homme, considérés il y a encore dix ou vingt ans par la gauche marxiste comme un déguisement de la société bourgeoise". Par cette interprétation de la Révolution, M. Furet et ses proches cherchaient aussi à rompre avec une histoire dominée par la "longue durée" ou les structures, chères à l'école des annales comme aux sciences sociales, et à rouvrir la voie à l'étude de l'événement et de la politique.

Michel Vovelle répliqua en se refusant au rôle de ""Dukakis" de François Furet" (allusion désabusée au rival malheureux de George Bush père à l'élection présidentielle américaine de 1988). Tout en revendiquant son appartenance au PCF, il rejeta l'opposition entre "une historiographie "libérale" toute-puissante et une historiographie "jacobine" agonisante". Pour lui, la leçon de la "galaxie Furet" se limitait à une frilosité "franco-française". Ce spécialiste des mentalités se risqua même à faire sien le propos de l'historien Alphonse Aulard (1849-1928), "la Révolution française, pour la comprendre il faut l'aimer". "On peut parfaitement comprendre un événement ou une époque sans l'aimer", répondit François Furet en ajoutant dans ce style souverain, un tantinet méprisant, qui avait le don de braquer ses adversaires : "La dernière expression de l'historiographie communiste qui se défait est le soupir de la belle âme..."

Curieusement, ce sont certains historiens anglais ou américains qui regretteront avec le plus de vigueur la mise en échec relatif du culte de la Révolution version sans-culotte. Ainsi l'Américain Steven Kaplan s'en prendra-t-il carrément, dans son monumental livre-bilan des cérémonies du bicentenaire, Adieu 89 (Fayard, 1993), au "révisionnisme furetien", reprochant à l'opinion française sa tiédeur vis-à-vis de cette mémoire. Plus tard, dans deux longs articles critiques sur la pensée française actuelle parus dans la London Review of Books (septembre 2004) - rassemblés dans La Pensée tiède, Seuil, 2005) -, le Britannique Perry Anderson verra en François Furet le joueur de flûte intellectuel qui aurait converti l'intelligentsia hexagonale au libéral-capitalisme et, par là, affadi la culture française. "Furet craignait que (le bicentenaire) ne fût une occasion pour le gouvernement Mitterrand, dans lequel siégeaient encore des ministres communistes, d'organiser la consécration officielle des mythologies du jacobinisme et de l'an II de la République", explique-t-il en faisant du Dictionnaire critique une arme idéologique pour cette guerre-là. Sans doute un regain antilibéral dans la vie intellectuelle et médiatique, observable depuis le milieu des années 1990, a-t-il rendu moins déchiffrable l'interprétation "furétienne" de la Révolution qui triompha à l'époque du bicentenaire. A-t-elle été pour autant invalidée ?

Nicolas Weill
L'habileté de Wajda à évoluer entre ces trois strates (le grand récit historique documenté, la charge contre le totalitarisme, la participation au débat historiographique sur l'héritage et/ou la récupération politique de la Révolution française) élève selon moi très largement son Danton au-dessus du strict film "militant", terme qui cache parfois un propos des plus convenus.
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Demi-Lune
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Demi-Lune »

Et pour en revenir sur les personnages, Robespierre a quand même beaucoup de relief justement parce que le film s'attache à son déchirement permanent. Il essaie de sauver Danton, il essaie de sauver Desmoulins... mais il veut sauver l'idéal de la Révolution dans le même temps. Il y a une phrase dans le film qui résume tout : "Tu vois, l'affaire Danton c'est un dilemme. Si nous perdons le procès, toute la Révolution est détruite. Si nous le gagnons, il est probable que ce soit la même chose!... Mais ça, je ne devrais pas le dire." Le film s'appelle Danton pour la valeur idéalistique qu'il évoque, mais c'est vraiment le récit de la tragédie de Robespierre, à laquelle il participe aux premières loges en vertu de principes viciés de sauvegarde de la Révolution (cf. son pétage de plombs avec Fouquier-Tinville lorsque lui-même se met à douter: "Tu es un bourreau !!! A mon service, non, mais au service du peuple !! Tu es le bourreau que la Justice réclame ! Nous te livrons les ennemis de notre République ! Tu as le devoir non de les juger, mais de les éliminer !!! - Oui. Mais le droit n'est plus avec vous. - Quand il s'agit du bien de la République, n'oublie pas, n'oublie jamais que nous avons tous les droits."), et dont il mesurera à la fin du film, dans un accès de lucidité, tout ce qu'ils ont de pernicieux puisqu'ils précipitent le mouvement tout droit vers la dictature, donc vers la négation de l'exercice du pouvoir par le peuple. Par ailleurs, personnages unidimensionnels, non, lorsque les dantonistes apparaissent bien divisés et bien apeurés dès lors que leur chef est emprisonné (ce qui vaudra un retournement de veste éhonté à la Convention), ou lorsque Fouquier-Tinville, en service commandé, montre quelques libertés avec le Comité de salut public. Et si le fait de ne pas évoquer la corruption de Danton et son ambiguïté sur l'échiquier politique (à la Mirabeau) permet effectivement d'appuyer le caractère sacrificiel du personnage, il est quand même montré tout le mépris qu'il inspire à un député comme Philippeaux et l'instrumentalisation de ses amis (ce pauvre Desmoulins notamment) dans son jeu avec Robespierre. Lorsqu'il hurle, possédé, "je suis immortel, car je suis le peuple", on voit autant le tribun qu'un populiste peut-être aussi dangereux, dans un autre genre, que Robespierre.
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Thaddeus
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Thaddeus »

Hé bien... Tu donnerais presque envie de le voir, ce film (de le revoir, dans mon cas, mais je l'ai tellement oublié que ce sera comme une découverte).
O'Malley
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par O'Malley »

Merci pour ces développements Demi-Lune qui remettent bien en perspective les différentes lectures du film. Je le reverrai sûrement une nouvelle fois même si je pense que, malgré tout, il y a de fortes chances que le film me plaise à nouveau sans m'emballer (sûrement pour une question de sensibilité).
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Alexandre Angel
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

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Demi-Lune a écrit : Évidemment, l'historiographie avait depuis bien longtemps entrepris ce travail, mais je ne suis pas sûr qu'avant Andrzej Wajda, le cinéma ait montré avec autant d'acuité la Révolution sous son jour le plus noir, le plus politicien, le plus machiavélique, le plus destructeur (il y a bien quelques scènes dans le Napoléon de Gance, mais elles ne sont pas le cœur du film).
Il y aurait peut-être, à sa manière, Le Livre noir d'Anthony Mann, que je trouve excellent.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par O'Malley »

Alexandre Angel a écrit :
Demi-Lune a écrit : Évidemment, l'historiographie avait depuis bien longtemps entrepris ce travail, mais je ne suis pas sûr qu'avant Andrzej Wajda, le cinéma ait montré avec autant d'acuité la Révolution sous son jour le plus noir, le plus politicien, le plus machiavélique, le plus destructeur (il y a bien quelques scènes dans le Napoléon de Gance, mais elles ne sont pas le cœur du film).
Il y aurait peut-être, à sa manière, Le Livre noir d'Anthony Mann, que je trouve excellent.
Je suis pas sûr que le cinéma français ait eu une vision essentiellement positive de la Révolution... A part La marseillaise de Renoir et les images d'Epinal chez Guitry (toujours pas vu le Napoléon de Gance)...
Déjà Les mariés de l'an II de Rappeneau, ce n'était pas très reluisant. L'Anglaise et le Duc montrait toute l'horreur qu'à inspirée cette période chez Rohmer. Chouans de De Broca prenait fait et cause pour les royalistes. Le dyptique de 1989, La révolution française, essayait d'en donner une vision pesant le pour et le contre (la seconde partie était quand même assez cauchemardesque selon mes souvenirs, après le lyrisme de la première)... Je n'ai pas encore vu La nuit de Varennes d'Ettore Scola.
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Demi-Lune
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Demi-Lune »

O'Malley a écrit :Déjà Les mariés de l'an II de Rappeneau, ce n'était pas très reluisant. L'Anglaise et le Duc montrait toute l'horreur qu'à inspirée cette période chez Rohmer. Chouans de De Broca prenait fait et cause pour les royalistes. Le dyptique de 1989, La révolution française, essayait d'en donner une vision pesant le pour et le contre (la seconde partie était quand même assez cauchemardesque selon mes souvenirs, après le lyrisme de la première)...
Ce sont quasiment tous des films postérieurs à celui de Wajda. Le Rappeneau est une comédie. Je n'ai pas souvenir d'un film glauque chez Rohmer. Et si le diptyque de 1989 se construit effectivement selon une dialectique les années lumière/les années terribles qui ne cache rien des horreurs de la Révolution, c'est le grand projet de fresque cinématographique qui accompagne les commémorations du Bicentenaire, il y a une dimension de film "officiel" (ce qui ne l'empêche pas d'être remarquable et probablement unique dans son ampleur historique) qui tend vers un discours et un bilan tacitement fédérateurs (cf. la fin du film, avec la tirade en off de Danton, qui est choisi à dessein comme étant la Voix de ces pères fondateurs, "nous avons donné la liberté", etc). J'ai vraiment l'impression que Danton est le premier à mettre les pieds dans le plat par rapport à l'Histoire politique de la Révolution, et le fait que ce soit un étranger qui s'y soit attelé rejoint mes réflexions sur le fait que les films les plus pointus sur l'Histoire de France et les hommes qui l'ont faite (pas des micro-épisodes où on prend les choses par le bout de la lorgnette, chose dans laquelle se sont spécialisés les Français) sont paradoxalement souvent l’œuvre de cinéastes qui ne sont pas Français - La mort de Louis XIV d'Albert Serra en étant apparemment une nouvelle et prochaine démonstration.
Faudrait que je mate moi aussi La nuit de Varennes de Scola.
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Alexandre Angel
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Alexandre Angel »

Demi-Lune a écrit :Je n'ai pas souvenir d'un film glauque chez Rohmer.
Glauque, je ne sais, mais il y a un climat de violence très inhabituel chez Rohmer (forcément :mrgreen: ) surtout dans son premier tiers avec des têtes coupées qui surgissent au bout de piques brandies par des révolutionnaires patibulaires. Ce qui intéressait Rohmer, et c'est assez réussi de ce point de vue, c'est l'angoisse des aristos, pour lesquels tout bascule. Le climat d'insécurité est bien rendu même si il y a quelque chose de réac dans la vision rohmerienne.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Demi-Lune »

Puisqu'on parle des films évoquant cette période déterminante et fascinante, juste un mot pour recommander (sans en faire non plus un grand accomplissement) un de ces projets mis en œuvre pendant le Bicentenaire : L'Autrichienne de Pierre Granier-Deferre, aujourd'hui tombé dans l'oubli, qui relate de façon intimiste l'emprisonnement et le procès de Marie-Antoinette. Le scénario est écrit par l'historien Alain Decaux et André Castelot à partir des minutes du procès, donc d'archives de première main. Pour l'anecdote, Fouquier-Tinville y est ici campé par Daniel Mesguich, acteur qui est le sosie de Bonaparte. Bien avant Sofia Coppola, le film accompagne le travail de réhabilitation historiographique autour de la "poulle d'autry/uche" et laisse voir là encore l'effrayante machine administrative révolutionnaire. Dans mes souvenirs, la complexité du "cas" Marie-Antoinette est plutôt bien mise en lumière, même si l'empathie se porte irrésistiblement vers elle, grâce au contraste (déjà attesté par les contemporains) entre sa dignité et les humiliantes accusations qui sont proférées par le Tribunal révolutionnaire (notamment la célèbre accusation d'inceste avec son enfant). Quelques images (comme Marie-Antoinette obligée de pisser devant tout le monde, et perdant du sang à cause des mauvais traitements) restent en mémoire.
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Jack Griffin »

Demi-Lune a écrit :J'ai vraiment l'impression que Danton est le premier à mettre les pieds dans le plat par rapport à l'Histoire politique de la Révolution
Il faut rappeler que Danton est l'adaptation de la pièce relativement connue de Büchner, La mort de Danton écrite en 1835. Et le déroulement du film est assez fidèle à celui de la pièce.
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par bruce randylan »

Il y avait ces derniers jours un festival de films polonais, avec une sélection de films contemporains, de classiques et d'un petit hommage consacré à Wajda avec tout est à vendre (tourné en 1967 et sorti 1969) et Afterimage son ultime réalisation.
J'aurais bien voulu voir les classiques d'autant qu'ils sont signés par des noms peu connus chez nous (Feliks Falk, Kazimierz Kutz et Janusz Majewski) mais j'ai pas réussi à trouver le temps. J'ai seulement pu voir Tout est à vendre qui est un film pour le moins atypique
Image

C'est une oeuvre qui repose sur une démarche très autobiographique à savoir la mort accidentelle de l'acteur culte Zbigniew Cybulski avec qui Wajda devait tourner rapidement. Ce dernier se tua en cherchant à grimper dans un train et Wajda, profondément bouleversé, se demanda comment en faire le deuil.

Pour la première fois de sa carrière, il écrivit donc seul un scénario où une équipe de cinéma est paralysé par l'absence d'un comédien qui doit jouer une scène où il se tue en grimpant dans un train. C'est le réalisateur du film qui prend sa place tandis qu'on se demande les heures suivantes où a bien pu passer la vedette. La réponse viendra le lendemain : il s'est tué justement de la même manière que dans le film. Le cinéaste essaye donc de finir son film en questionnant l'absence de son acteur.
Beaucoup d'acteurs de Tout est à vendre joue leur propre rôle dans le film, et certaines images du vrai enterrement de Zbigniew Cybulski sont intégrées le temps d'une séquence. En revanche, Wajda n'a pas poussé le concept jusqu'à jouer lui-même son propre rôle qui est tenu par le comédien Andrzej Lapicki.

Peut-être fallait-il savoir ça avant de se lancer dans le film car sans ces clés de repères, il n'est pas évident de comprendre la finalité d'une œuvre volontairement très décousue et déconstruite pour une approche non narrative. La première partie alterne régulièrement de la fiction filmée au rapports entre les membres de l'équipes pour des glissements plus ou moins visibles. Dans certains cas, l'effet est prévisible (la tentative de suicide) tandis que d'autres sont plus troublants comme lorsque de Beata Tyszkiewicz lance un regard caméra en demandant à une personne hors-champ (ou au réalisateur lui-même) si tout le monde va l'abandonner.

La seconde partie traite de l'égarement des proches du comédiens qui essaient de trouver un sens à sa mort, à son absence et comment y pallier. Là, j'ai vraiment eu l'impression de quelques chose m'échappait comme si Tout est à vendre faisait référence à certains aspects de la vie de Zbigniew Cybulski connu des polonais de l'époque. Quel est par exemple le rôle de cette tasse métallique ? Sans oublier les seconds rôles dont je ne savais pas s'il était de simples créations ou de vrais comédiens dans leurs propres rôles.
Pas évident de rentrer dans le film qui est de toute façon extrêmement fuyant et abstrait avec une démarche très spécifique.
Difficile en revanche de lui enlever son originalité, la radicalité de l'entreprise, une approche très personnelle qui recoupe des préoccupations du cinéaste (la mémoire, le besoin de témoigner) mais sans recouper l'Histoire de son pays. Et quelques séquences sont également assez fortes : l'ouverture avec la chute sur le quai de la gare, la séquence surprenante du manège, les réactions de l'équipe du film après la première projection du film inachevé et la conclusion avec la course des chevaux.

L'équipe du festival a eu l'excellente idée de joindre à ce film de Wajda le court-métrage Sur le tournage de Jerzy Ziarnik qui suit Wajda sur quelques scènes de son film. C'est assez passionnant car on le voit vraiment douter à quelques reprises sur le plateau. Cherchant à trouver de l'authenticité à chaque séquence mais ne sachant comment la trouver et la reproduire à l'écran. On le voit aussi, un peu désemparé, se confier à Beata Tyszkiewicz (son épouse à la ville) en lui disant qu'il sent le projet lui glisser des mains, qu'il avait au début du tournage une idée précise du projet avant de se rendre compte jour après jours que son concept lui paraissait de plus en plus flou et insaisissable. Et on peut dire en effet qu'on ressent lors du visionnage du film fini cette difficulté à rendre palpable ce portrait en creux d'un artiste, au cœur de toute les conversations, mais qu'on ne verra jamais comme s'il était déjà trop tard pour comprendre son destin et ce qui le définissait.

Voilà, bien le genre de film qui mérite le qualificatif de "grand film malade".
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Jeremy Fox
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Re: Andrzej Wajda (1926-2016)

Message par Jeremy Fox »

Ressortie en salles cette semaine de Cendres et diamants, film chroniqué par Anne Sivan
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