Sorti en 1981, le film tourne le dos à l'esthétique des survivals crades des années 70 et inaugure ce qui est à mon sens la meilleure quinzaine d'années du cinéma de Wes Craven (même si elle comporte aussi son lot de choses... hm... d'un moins bon niveau).
Le film s'ouvre en nous présentant la vie d'un gentil petit couple de fermiers, Jim et Martha Schmidt, quelque part dans l'Amérique profonde, devant cohabiter avec une communauté religieuse traditionaliste et fanatique à faire passer les Amish pour des noceurs: les "Hittites". On apprend vite que Jim (Douglas Barr, futur sidekick de L'Homme qui tombe à pic) n'est autre qu'un des fils du leader de la communauté hittite (Ernest Borgnine, affligé d'une barbe si ostensiblement fausse qu'elle a dû coûter son job à l'accessoiriste), communauté au ban de laquelle il s'est retrouvé mis après avoir cédé aux sirènes de sa jolie citadine, du confort moderne et de valeurs un peu plus actuelles (sans jeu de mot). Histoire de bien planter le décor sur ce que l’on peut attendre des Hittites, le premier que l'on rencontre dans le film est joué par Michael Berryman, le Pluto de La Colline a des yeux: ambiance. Entre deux travaux des champs, les Schmidt passent donc leur temps à se faire insulter par leur parentèle, sans autre voisinage à qui faire la causette qu'une mère et sa fille, les Stohler, qui elles-mêmes, si elles ne partagent pas le fanatisme et le passéisme des Hittites, ne donnent pas vraiment pour autant l'impression de respirer la santé mentale la plus assurée... Cela, jusqu'au soir fatal où Jim est retrouvé sous les roues de son tracteur John Deere, symbole rutilant de sa conversion à la modernité.
Têtue (et enceinte), Martha (Maren Jensen dans son dernier rôle à l'écran avant que la maladie n'interrompe sa carrière) choisit néanmoins de rester sur place, où elle est rejointe par deux copines venues de L.A. lui tenir compagnie quelques temps. Ce petit cénacle féminin, complètement déplacé dans le contexte, s'attire évidemment hostilité et imprécations, mais suscite aussi quelque concupiscence chez certains des tradis... qui, il faut être franc, peut d'autant mieux se comprendre que le trio passe une bonne partie de son temps à chiller en nuisettes (chacun sa façon de faire son deuil, ne jugeons pas), et intègre une Sharon Stone de 22 ans — dans son premier rôle majeur au cinéma (après avoir fait de la figuration chez Allen et Lelouch).
Malheureusement, c'est à partir de là que Craven semble ne plus trop savoir quel film il veut réaliser. Si on ne saurait lui dénier l'instillation d’une ambiance anxiogène assez efficace — malgré quelques facilités dans le comportement (pas toujours des plus réalistes ou cohérents) des personnages pour justifier leur sort —, le réalisateur semble avoir le postérieur entre deux chaises sur son propos, ce qui est rendu particulièrement visible par le dénouement du film, deux twists finaux venant, hélas, quelque peu ruiner le métrage. C'est qu'il y a pour ainsi dire deux films potentiels dans Deadly Blessing, et Craven ne mène aucun des deux à terme de façon pleinement satisfaisante.
Deadly Blessing aurait ainsi pu être une étude sur ce groupe de simili-Amish, avec une approche flirtant plus ou moins avec une dimension ethnologique à la manière de ce que Craven fera pour le vaudou sept ans plus tard dans L'Empire des Ténèbres/The Serpent and the Rainbow. La juxtaposition de cette société patriarcale passéiste, où on ne parle que de damnation, avec le petite groupe moderne et intégralement féminin formé par Martha, ses amis et ses voisines, offrait un certain potentiel. Le film aurait ainsi pu marcher en tant que thriller avec peu voire pas du tout de surnaturel avéré, la tension née du caractère de groupe quasi littéralement assiégé dans lequel se retrouve plus ou moins les personnages pouvant expliquer la "contagion" de l'irrationnel. Le fait que le frère de Jim, John (Jeff East, le jeune Clark Kent du Superman de 78!), reproduise au passage avec l'une des invitées de sa belle-sœur, Vicki (Susan Bruckner, ex-pom-pom-girl de Grease et... c'est à peu près tout pour sa carrière sur grand écran), le même parcours que son aîné, menant de la séduction à l'excommunication puis à une mort violente, fonctionne également plutôt bien sous ce rapport.
Une autre piste possible est le film de folk horror que semble, de fait, vendre la bande-annonce d'époque, reposant sur le ressort de la confrontation entre des citadin(e)s modernes et une communauté rurale inquiétante mais gardienne d'un lourd-secret-enfoui que les moins de 200 ans ne peuvent pas comprendre et que s'appelorio quezac. Le fait que, dans cette approche, ladite communauté soit décrite de façon, disons, ambivalente, n'est pas nécessairement un problème, voire peut se révéler une approche particulièrement féconde... à condition que les choses soient bien faites.
La menace non-surnaturelle venait en fait des Strohler, dont la fille Faith (Lisa Hartman), s'avère en fait un travesti (ou un hermaphrodite, ce n’est pas très clair...? évidemment on ne parlait guère d' "identité non-binaire" à l’époque), élevé-e dans la haine des hommes par sa mère psychotique (Lois Nettleton). Les motivations des Strohler ne sont pas très claires: le dialogue laisse entendre que Faith zigouille tous ceux qu'il/elle imagine soupçonner la vérité et se moquer de lui/elle; la mise en scène fait plutôt penser que Fait est obsédé-e par Martha et tue la "compétition"; et aucune des deux options n'explique que le couple Vicki et John ait fini en brochettes barbecue. Au moins cette révélation ne sort-elle pas de nulle part, plusieurs scènes malaisantes ayant déjà fait sentir auparavant que tout ne tournait pas rond du côté des "gentilles voisines"; mais on peut regretter qu'on ait affaire une fois de plus au trope usé jusqu'à la corde (ou jusqu'à La Corde?) du monstre/vilain/assassin/psychopathe queer (trope toujours existant, mais particulièrement illustré en ces débuts d’années 80, rappelons notamment qu'un an plus tôt sortaient La Chasse/Crusing de Friedkin et Pulsions/Dressed to Kill de De Palma).
Mais ce n'est pas tout car la menace surnaturelle est également validée dans le tout dernier plan du film, au moment où tout semble rentrer dans l'ordre et où on ne s'y attend pas: le fameux "incube", le démon dont ne cessaient de parler les Hittites, surgit soudain de sous le plancher pour s'emparer de la malheureuse Martha. Ce twist me semble assez mal emmené, notamment en ce qu'il porte soudain, sans préavis et au dernier moment, l'existence du surnaturel à un tout autre niveau que ce que l'on a vu précédemment dans le film, et aussi parce qu'on se demande bien pourquoi ledit incube décide soudain d'emporter notre héroïne en enfer, alors qu'il avait plutôt passé les nuits précédentes à hanter les rêves de sa copine Sharon Stone (là encore, on ne saurait trop lui jeter la pierre, mais bon). Cerise sur le gâteau, ce dernier twist vient de fait légitimer le point de vue des fanatiques religieux, ce qui, associé à l'identité queer du tueur par ailleurs, fait un peu beaucoup à avaler d'un coup quand on découvre le film quatre décennies plus tard. La pilule serait peut-être mieux passée si Craven, comme je le disais plus haut, avait décrit cette communauté de façon un peu plus ambivalente au cours du film; mais il n'en donne guère à en voir que fanatisme, autoritarisme, brimades, frustrations sexuelles, emprise sur les consciences et rejet de tout ce qui ne se conforme pas... Qu'un groupe décrit de façon si uniment antipathique soit présenté in fine comme le dépositaire de la vérité interroge quelque peu; alors on pourrait dire que Craven joue sur l'ambiguïté en laissant le spectateur face à ses propres pensées sur ce paradoxe apparent, mais vu un certain nombre des faiblesses du métrage par ailleurs (qui charrie tout de même son lot de clichés), ça me semble quand même une interprétation fort généreuse, et je crains que la chose n'ait guère été pensée au-delà d'un pur but de shock value.