Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Strum
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Strum »

On peut d'ailleurs rappeler deux, trois choses :

- Les écrivains anglais et irlandais sont les inventeurs du discours indirect, en premier lieu Virginia Woolf et James Joyce. Le fameux "stream of consciousness", sans les liaisons explicatives entre la réalité extérieure et les pensées intérieures des personnages.
- De nombreux écrivains américains ont ensuite repris l'idée et la technique du discours indirect.
- Paul Thomas Anderson, depuis plusieurs films, se fait l'interprète des pulsions et du monde intérieur de ses personnages. The Master, c'est un peu 'Le monde selon' le personnage de Phoenix.

Il ne serait donc pas étonnant qu'Inherent Vice montre la vision subjective et intérieure (qui lui est "inhérente" donc) d'un personnage qui a un vice.
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Jack Griffin
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Jack Griffin »

D'accord avec GTO et Strum. C'est un avant tout une odyssée mentale ou tout les personnages serait une sorte de doubles psychiques parsemant la traversée du doc, avec en trois-quatre scènes clés le retour sur le deuil d'un amour perdu et dans la résolution des intrigues un moyen de se racheter (avec un petit détour en enfer).
Il y a constamment une ambiguïté sur la réalité perçue.
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AtCloseRange
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par AtCloseRange »

Strum a écrit :On peut d'ailleurs rappeler deux, trois choses :

- Les écrivains anglais et irlandais sont les inventeurs du discours indirect, en premier lieu Virginia Woolf et James Joyce. Le fameux "stream of consciousness", sans les liaisons explicatives entre la réalité extérieure et les pensées intérieures des personnages.
- De nombreux écrivains américains ont ensuite repris l'idée et la technique du discours indirect.
- Paul Thomas Anderson, depuis plusieurs films, se fait l'interprète des pulsions et du monde intérieur de ses personnages. The Master, c'est un peu 'Le monde selon' le personnage de Phoenix.

Il ne serait donc pas étonnant qu'Inherent Vice montre la vision subjective et intérieure (qui lui est "inhérente" donc) d'un personnage qui a un vice.
Je veux bien admettre cette interprétation sauf que ça ne s'applique qu'à la moitié des scènes, c'est bien ça le problème. Oui, il y a de nombreuses scènes qui soutiennent cette vision enfumée et onirique mais beaucoup d'autres sont relativement quotidiennes (les scènes avec Witherspoon par exemple, celles avec Benicio del Toro).
D'une certaine façon, ça rejoint le reproche que je faisais à Gone Girl qui appliquait l'ironie quand ça l'arrangeait.
Le projet Inherent Vice est de ce point de vue incohérent (je n'aime pas le Kubrick mais au moins dans sa tonalité, il se tient).
Strum
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Strum »

AtCloseRange a écrit :Je veux bien admettre cette interprétation sauf que ça ne s'applique qu'à la moitié des scènes, c'est bien ça le problème.
C'est en effet le principe du "discours indirect" et du "stream of consciousness" tel que l'ont pratiqué pléthore d'écrivains. On passe sans crier gare, sans transition, sans explication, du monde subjectif et "vicié" du personnage principal, au monde réel et extérieur. C'est un peu déroutant et pas toujours agréable - ceux qui ont souffert en lisant Mrs. Dalloway de V. Woolf le savent. Je pense que cela fonctionne en général mieux en littérature qu'au cinéma.
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El Dadal
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par El Dadal »

Strum a écrit :ceux qui ont souffert en lisant Mrs. Dalloway de V. Woolf le savent. Je pense que cela fonctionne en général mieux en littérature qu'au cinéma.
Et ceux qui l'ont étudié un semestre durant, puis l'ont eu en partiel, en ont encore des sueurs froides des années après :mrgreen:
Mais franchement, j'ai trouvé qu'Inherent Vice coulait de source. C'est bien entendu hautement subjectif. Par contre, on est vraiment aidé par le fait que la quasi intégralité du film soit conduite par Doc. La notion de point de vue est quelque chose de tellement débattu, qu'associé aux thèmes et ambiances du film, tout m'a ainsi semblé d'une fluidité exemplaire, un peu comme une illumination: c'était évident.
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Strum »

El Dadal a écrit :Et ceux qui l'ont étudié un semestre durant, puis l'ont eu en partiel, en ont encore des sueurs froides des années après :mrgreen:
L'horreur, je compatis. :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Strum a écrit :
El Dadal a écrit :Et ceux qui l'ont étudié un semestre durant, puis l'ont eu en partiel, en ont encore des sueurs froides des années après :mrgreen:
L'horreur, je compatis. :mrgreen:

Bizarre ; j'ai toujours trouvé tous les romans de Virginia Woolf d'une parfaite limpidité.
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par A serious man »

Strum a écrit :On peut d'ailleurs rappeler deux, trois choses :

- Les écrivains anglais et irlandais sont les inventeurs du discours indirect, en premier lieu Virginia Woolf et James Joyce. Le fameux "stream of consciousness", sans les liaisons explicatives entre la réalité extérieure et les pensées intérieures des personnages.
- De nombreux écrivains américains ont ensuite repris l'idée et la technique du discours indirect...
le stream of consciousness tel qu'il est pratiqué par Joyce ou pour prendre un écrivain américain qui en a fait un usage spectaculaire: Faulkner peut-il vraiment être qualifié d'indirect (n'ayant pas encore lu Virginia Woolf je ne peux pas dire comment ça fonctionne), il me semble que dans ces livres comme on est au contact direct avec les pensée d'un personnage donc a la première personne dans les même moment ou nous passons dans leur pensées (aprés ma lecture de Joyce remonte un peu). Il me semble Pynchon a souvent été rapproché de Joyce par contre


En tout cas l’intermittence du procédé est effectivement une de ces caractéristiques, et d’après moi ça fonctionne très bien dans Inherent vice
"Il ne faut pas être timide avec la caméra. Il faut lui faire violence, la pousser jusque dans ses derniers retranchements, parce qu'elle est une vile mécanique. Ce qui compte, c'est la poésie."

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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Strum »

A serious man a écrit :le stream of consciousness tel qu'il est pratiqué par Joyce ou pour prendre un écrivain américain qui en a fait un usage spectaculaire: Faulkner peut-il vraiment être qualifié d'indirect (n'ayant pas encore lu Virginia Woolf je ne peux pas dire comment ça fonctionne), il me semble que dans ces livres comme on est au contact direct avec les pensée d'un personnage donc a la première personne dans les même moment ou nous passons dans leur pensées (aprés ma lecture de Joyce remonte un peu). Il me semble Pynchon a souvent été rapproché de Joyce par contre

En tout cas l’intermittence du procédé est effectivement une de ces caractéristiques, et d’après moi ça fonctionne très bien dans Inherent vice
Je n'ai pas fait d'études de littérature universitaires, et je ne suis donc pas le mieux placé pour te répondre sur l'équivalent français correct de "stream of consciousness". Il me semble que l'on parle généralement tout simplement de "flux de conscience" ou de "monologue intérieur".

En donnant l'impression que stream of consciousness et discours indirect étaient des termes équivalents, je n'ai effectivement pas été très rigoureux. Car le terme stream of consciousness ne désigne que le monologue intérieur du personnage et non pas le procédé narratif consistant à passer sans transition de ce monologue intérieur (les pensées ou les visions du personnage) au monde réel (décrit par le narrateur), et vice-versa. Je crois que le terme généralement utilisé pour ce procédé est "discours indirect libre", le mot libre étant censé désigner l'absence de transition ou d'avertissement au lecteur entre la vision subjective du personnage (l'auteur n'écrit pas "il pensa que") et la description du monde réel, si bien qu'il n'est pas facile de dire si ce que l'auteur écrit (ou le cinéaste montre) fait partie du monologue intérieur ou d'une description du monde réel par le narrateur. C'est ce qui rend les livres de Woolf et les derniers livres de Joyce (personnellement, je n'ai jamais réussi à terminer Ulysse et Finnegans Wake, que je ne suis pas loin de considérer comme illisibles) si difficiles à lire. En comparaison, Faulkner est plus facile.
Jeremy Fox a écrit :Bizarre ; j'ai toujours trouvé tous les romans de Virginia Woolf d'une parfaite limpidité.
Oui, mais cela fait longtemps qu'on sait que tu es plein de contradictions. :mrgreen:
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par A serious man »

Strum a écrit :
A serious man a écrit :le stream of consciousness tel qu'il est pratiqué par Joyce ou pour prendre un écrivain américain qui en a fait un usage spectaculaire: Faulkner peut-il vraiment être qualifié d'indirect (n'ayant pas encore lu Virginia Woolf je ne peux pas dire comment ça fonctionne), il me semble que dans ces livres comme on est au contact direct avec les pensée d'un personnage donc a la première personne dans les même moment ou nous passons dans leur pensées (aprés ma lecture de Joyce remonte un peu). Il me semble Pynchon a souvent été rapproché de Joyce par contre

En tout cas l’intermittence du procédé est effectivement une de ces caractéristiques, et d’après moi ça fonctionne très bien dans Inherent vice
Je n'ai pas fait d'études de littérature universitaires, et je ne suis donc pas le mieux placé pour te répondre sur l'équivalent français correct de "stream of consciousness". Il me semble que l'on parle généralement tout simplement de "flux de conscience" ou de "monologue intérieur".

En donnant l'impression que stream of consciousness et discours indirect étaient des termes équivalents, je n'ai effectivement pas été très rigoureux. Car le terme stream of consciousness ne désigne que le monologue intérieur du personnage et non pas le procédé narratif consistant à passer sans transition de ce monologue intérieur (les pensées ou les visions du personnage) au monde réel (décrit par le narrateur), et vice-versa. Je crois que le terme généralement utilisé pour ce procédé est "discours indirect libre", le mot libre étant censé désigner l'absence de transition ou d'avertissement au lecteur entre la vision subjective du personnage (l'auteur n'écrit pas "il pensa que") et la description du monde réel, si bien qu'il n'est pas facile de dire si ce que l'auteur écrit (ou le cinéaste montre) fait partie du monologue intérieur ou d'une description du monde réel par le narrateur. C'est ce qui rend les livres de Woolf et les derniers livres de Joyce (personnellement, je n'ai jamais réussi à terminer Ulysse et Finnegans Wake, que je ne suis pas loin de considérer comme illisibles) si difficiles à lire. En comparaison, Faulkner est plus facile.
Aprés vérification le discours indirect libre serait plutot la reproduction des pensées (ou même d'une ligne de dialogue) du personnage a la troisiéme personne (indirect donc) sans effectivement marquer la transition entre la description objective extérieur et ce basculement dans l’intériorité du personnages (libre donc), en France Madame Bovary semble être une mine d'exemple, tandis qu'en anglais ça serait plutot les romans de Jane Austen. Le flux de conscience correspondrait plutôt a une forme très particulière de discours direct maintenant effectivement peut être que dans un sens élargie peut être l'utilise-t'on aussi a propos du passage au monologue intérieur.

Par contre autant je te comprend pour finnegan's Wake, autant je ne te suis pas sur l'extraordinaire Ulysse!
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par El Dadal »

C'est extraordinaire, Inherent Vice est en passe de devenir un de mes films de chevet, en seulement deux visionnages. Je n'avais pas ressenti autant d'affection pour un film depuis tellement longtemps. Confirmation donc.

Si fort, si cohérent, si évident et pourtant tout en convolutions. En refusant l'hystérie, la facilité, et en laissant le fil se dérouler principalement par l'usage d'un dialogue constamment savoureux, Anderson fait une déclaration d'intention. Mais parce que chaque moment interpelle l'œil, l'oreille ou le cerveau, le réalisateur joue constamment sur les deux niveaux intellectuels et sensoriels. Il n'y a pas de scène dédiée à l'un ou l'autre. Tout avance au même rythme, tout va de pair. Le niveau de production est phénoménal (l'attention dans le moindre détail), la photographie mérite 12 Oscars, la bande-son est hypnotique, les performances automatiquement gravées dans le marbre. L'humour n'est jamais lourd, et Anderson ne s'attarde que sur les émotions qui poussent Doc à agir.
Pourquoi donc tout risquer pour ce saxophoniste infiltré, aux bottes des forces anti-subversives? Parce qu'il entrevoit dans cette quête ce que lui-même n'a jamais pu accomplir. Une déclaration aux pouvoirs en place, lui qui s'est conformé (voir l'admirable scène avec l'avocat incarné par Martin Donovan, qui lui rétorque "Vous avez perdu mon respect le jour où vous commencé à payer un loyer") et qui a perdu ses illusions (le mirage Shasta Fay). En accomplissant un acte réellement héroïque (que Bigfoot, lui le refoulé, lui jalouse dans sa dernière, bouleversante et hilarante, scène?), il devient de facto le récipiendaire de cette génération, dans un dernier acte d'insurrection avant de quitter le navire, avant de se fondre dans le brouillard, seul, ou accompagné (de son rêve, de son passé).

Joanna Newsom, Sacrilège à la voix enchanteresse, compas moral et chœur de récit.

Michael Kenneth Williams, qui sort de prison mais ne retrouve tellement rien de son ancien quartier qu'il refait le tour en voiture une deuxième fois pour s'en assurer.

Bigfoot, dépressif qui a perdu son meilleur ami et s'est construit une carapace, qui prend Doc à témoin et bouffe sa weed à la fois dans un acte de contrition et dans une inversion de leurs valeurs.

Eric Wolfmann Roberts, poussé à réintégrer sa classe et les valeurs qui la structurent, après avoir rêvé de s'en libérer en offrant ses possessions matérielles.

Shasta Fay, l'élément moteur. La femme qui pousse les hommes à agir. Qui force Doc à sortir de sa zone de confort. Celle qui n'offre qu'un moment éphémère, mais qu'on chérira plus que tout au monde. Parce qu'il n'existe rien de mieux au monde. Simple comme bonjour.

Et puis Doc, le Buster Keaton (la gestuelle de Joaquin Phoenix pourrait faire l'objet d'études approfondies!) des détectives. Celui qui nous fait entrevoir un avenir parallèle. Bigfoot s'autoproclamait "Renaissance cop" au début du film. Mais dans son jeu de miroir, le film désigne Doc, trublion malgré lui, comme agent actif, révélateur des passions enfouies, humaniste aux talents multiples, parfois cachés, mais bien réels. Dommage que tout n'ait qu'un temps.

J'y vais fort, mais ça reste si exceptionnel qu'il fallait que ça sorte.
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par AtCloseRange »

Je ne suis vraiment pas d'accord avec mon ancien avatar.
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Gounou »

J'avoue que son enflammade me donne enfin envie de revenir vers ce qui reste ma grosse déception de l'année.
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par AtCloseRange »

ouais, enfin il avait déjà complètement adoré la 1ère fois. Il adore juste un peu plus :mrgreen:
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Re: Inherent vice (Paul Thomas Anderson - 2014)

Message par Gounou »

AtCloseRange a écrit :ouais, enfin il avait déjà complètement adoré la 1ère fois. Il adore juste un peu plus :mrgreen:
Oui, eh bien pour les sentiments un peu "vacillants" comme le mien, ce genre de témoignage passionné ne laisse pas de marbre... :mrgreen:
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