Grave (Julia Ducournau - 2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Anorya
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Grave (Julia Ducournau - 2016)

Message par Anorya »

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Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur ainée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

"Il y a dans GRAVE, un petit côté CARRIE mélangé à une version gore et franco-belge de IT FOLLOWS (bien qu'en fait ça n'ait rien à voir)."
Une amie bloggueuse. :mrgreen:

Est-ce que l'interdiction aux moins de 16 ans liée au film est normale ? Oui.
Est-ce que tout le buzz qu'on voit fleurir un peu partout pour le film est justifié ? Oui.
Et normalement j'avoue grincer un peu des dents sur les films horrifiques français actuels. Je suis souvent tombé sur des films aux points de départs et idées intéressantes mais qui partaient trop souvent vers le n'importe quoi ou le simple film de plus qui ne transcende jamais vraiment son sujet pour ne plus trop me faire d'idées sur les productions francophones (Vinyan fut tellement une douche froide que je revendais le blu-ray quelques semaines après visionnage, c'est dire). Et voilà que déboule Grave, "premier" (en fait son second, le premier étant "Mange", téléfilm de 2012. On sent des thèmes... :fiou: ) film de Julia Ducournau que je n'avais pas vu venir et qui me cueilla littéralement l'an dernier lors de l'étrange festival (tiens faudrait que je donne ma note pour 2017 j'y pense).

Sans trop spoiler, tout s'enchaîne de fort belle manière.
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Ainsi l'étrange séquence d'introduction sur une route départementale prend tout son sens bien plus tard dans le film par exemple.
Récit linéaire mais clair, sans une fioriture de gras, intriguant, et de plus en plus fascinant et passionnant puisque la cinéaste explore plusieurs pistes et assume ses partis-pris jusqu'au bout dans un étrange mélange d'humour noir et de poésie. Difficile d'expliquer sa richesse derrière son apparente simplicité de "film gore" (qui pourtant va bien plus loin que ça), aussi je me bornerais à lancer pêle-mêle des bouts de "la famille c'est difficile", "les prépas vétos c'est hard" (et pour avoir fait des études près de prépas vétos en Picardie à une époque, je peux confirmer que le film tape juste. Il est même un peu plus doux que la réalité par moments je dirais), "est-ce que notre alimentation nous conditionne" et autres "la viande c'est la vie".
Acteurs au diapason qui n'en font jamais trop, mise en scène classique mais soignée, musique au top (bande son électro où perce du clavecin (yeah) et puis le morceau electrochoc de Orties qui claque bien avec son titre-refrain, hum. :mrgreen: ).

Rien à redire de plus (hop, vous aurez la surprise mercredi pour les courageux). J'avais adoré ce film, je vais pouvoir le revoir, voire le rerevoir, qui sait.
Et évidemment j'espère que beaucoup le découvriront et tomberont sous le charme également. :D
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Anorya
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Anorya »

Quelques avis...
Bruce Randylan a écrit :Après avoir fait sensation à Cannes et Toronto, Grave arrive en avant-première avant sa sortie officielle début 2017 et se révèle en effet l'un des grands moments de cette édition et aurait mérité de se trouver dans la compétition. Sans trop chercher à spoiler, c'est une relecture brillante d'un thème fantastique qu'on pensait rabâché mais ramené au roman initiatique en traitant de l'adolescence, de la puberté et des troubles sexuels et identitaires. C'est brillant, drôle, un peu dérangeant pour 2-3 séquences "chocs" très bien amenées dans le scénario qui ne laissent pas indifférents. En même temps, il y a réelle sensibilité et justesse dans le personnage principal sans que le film ne se prennent trop au sérieux (la fin fait même un peu trop blague pour le coup).
Pour un premier film français, ça fait du bien mais ça sera pas pour tous les yeux ! :mrgreen:
Anorya le 19 septembre 2016 a écrit :3 gros coups de coeur en ce milieu de mois :

Cochons et cuirassés - Shohei Imamura
Désir meurtrier - Shohei Imamura

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Grave - Julia Ducournau
reuno a écrit : Grave (Julia Ducournau) 4/6
cinephage a écrit :DECEMBRE 2016
Grave, de Julia Ducournau (2016) 8/10 - Un récit bien conduit, une alchimie de casting efficace, quelques séquences d'anthologie (on a eu un malaise dans la salle), une narration qui enchaine réalisme français et film de genre avec brio, Ducournau est une cinéaste prometteuse.
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Demi-Lune
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Demi-Lune »

J'ai hâte.

Gare à toi si tu as menti sur la marchandise. :twisted:
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit :J'ai hâte.

Gare à toi si tu as menti sur la marchandise. :twisted:
Ah, j'ai prévenu, l'interdiction aux moins de 16 ans est assez justifiée.
Après je te connais donc stop, ne nourris pas d'attentes ni rien, tu finis toujours déçu. Vas-y l'esprit vierge. :twisted: :wink:
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Thaddeus
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Thaddeus »

Anorya a écrit :Ah, j'ai prévenu, l'interdiction aux moins de 16 ans est assez justifiée.
C'est bien cela qui m'inquiète. J'ai l'estomac trop fragile pour ce genre de trucs. :cry:
Pourtant ça me branche bien, mais si c'est pour être malade tout du long...
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Alexandre Angel
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit :
Anorya a écrit :Ah, j'ai prévenu, l'interdiction aux moins de 16 ans est assez justifiée.
C'est bien cela qui m'inquiète. J'ai l'estomac trop fragile pour ce genre de trucs. :cry:
Pourtant ça me branche bien, mais si c'est pour être malade tout du long...
Et voilà aussi ce que je crains (que la BA confirme) : je peux tout encaisser avec un film sauf l'écœurement. Là où y a de la gerbe, y a pas de plaisir :?
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par reuno »

Question d'attente certainement, je m'attendais à quelque chose comme Dans ma Peau de Marina de Van et finalement j'ai trouvé le film plus grotesque que perturbant (à l'image de la séquence où le personnage principal goûte pour la première fois la chair humaine). Bon petit film, amusant mais plutôt inoffensif.

Sinon...
Anorya a écrit : "Il y a dans GRAVE, un petit côté CARRIE mélangé à une version gore et franco-belge de IT FOLLOWS (bien qu'en fait ça n'ait rien à voir)."
Une amie bloggueuse. :mrgreen:
Effectivement ça n'a absolument rien à voir avec It Follows. A part peut être qu'il s'agisse deux films d'horreur mettant en scène des personnages disons jeunes. :mrgreen:
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Flol »

Découvert il y a 1 an, donc un peu de mal à en parler en rentrant dans les détails. Mais j'en garde le souvenir d'un film bien foutu, à l'ambiance sonore et visuelle extrêmement travaillée, aux maquillages étonnamment réalistes...et c'est tout. C'est bien, mais c'est tout.
J'étais alors loin de m'imaginer qu'il allait devenir la bête de festival qu'il est aujourd'hui, et j'avoue que le buzz surdimensionné qu'il génère me semble un tantinet exagéré. C'est bien de voir un film de genre français réussi et original, aux références bien digérées (on pense bien sûr à Cronenberg sans que ça vienne gangrené le propos), mais il ne faut pas non plus en attendre monts et merveilles.
Demi-Lune, tu es prévenu. :D
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Anorya »

Ratatouille a écrit : Demi-Lune, tu es prévenu. :D
Non mais bof, je sais déjà que comme 80% des trucs qu'il voit, il va pas trop aimer alors bon. :| :mrgreen:
*sort*
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Profondo Rosso
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Profondo Rosso »

SPOILERS à tous les étages

Les passages de l’enfance à l’adolescence pour les jeunes filles, puis de l’adolescente à la femme auront souvent inspirés les cinéastes pour y scruter la mue physique et les tourments psychologiques qui en découlent. C’est particulièrement vrai dans le cinéma d’horreur qui permet d’adopter une vision exacerbée et intime de cette période complexe à travers des œuvres comme Répulsion de Roman Polanski (1965), Carrie de Brian de Palma (1976) ou plus récemment Black Swan de Darren Aronofsky (2010). C’est une question qui obsède Julia Ducornau dès son court-métrage Junior (2011) et prolongée dans Grave dont il constitue une forme de suite où l’on retrouve la jeune actrice Garance Marillier. Devenir une femme et grandir, c’est à la fois s’opposer et/ou se fondre dans le regard des autres et ainsi se révéler à soi-même par la force et la singularité du reflet donné. Justine (Garance Marillier) va en faire l’expérience dans un cheminement où Julia Ducornau va lui faire subir tous les troubles attendus dans la construction d’une jeune femme. Le changement est brutal pour Justine qui quitte le cocon familial pour vivre en internat dans une école vétérinaire. Tout le début du film la voit subir ce bouleversement, par un effet de vide ou d’envahissement. Le vide, c’est la solitude à laquelle elle est confrontée - dès son arrivée où sa sœur ne viendra même pas la rejoindre - dans ses premiers pas au sein de l’école. L’envahissement existe par le bizutage où l’espace de sa chambre est investi par les étudiants seniors, où sa silhouette frêle se perd dans une l’extraordinaire plan-séquence d’une tapageuse fête étudiante improvisée et peuplée de corps dénudé.

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L’image de première de la classe rattachée à son image d’adolescente ne suffit pas pour exister dans ce nouveau monde - la douloureuse entrevue avec un professeur - et cette notion de vide/envahissement va passer de son environnement géographique - le matelas jeté de la fenêtre de sa chambre et livré en pâtures au passant, l’intimidation d’une senior dans un couloir – va passer à celui plus corporel. Ainsi le sentiment de creux et transparence de Justine va se trouver comblé par l’abus d’un énième bizutage où on l’obligera à manger cru un rein de lapin. Le « vide » intérieur est rempli par un « envahissement » physique pour lui révéler sa nature cannibale.L’éveil et l’émancipation fonctionne également par la bravade de l’interdit, représentée ici par la tradition végétarienne de Justine et sa famille appuyée dès l’ouverture avec la réaction véhémente de sa mère pour une boulette de viande glissée par erreur dans une purée. Si Julia Ducornau se réclame de l’influence de David Cronenberg, elle inverse le processus de mutation du réalisateur canadien. Quand chez Cronenberg la mue physique suit le dérèglement de la psyché, Julia Ducorneau altère le corps de son héroïne de maux plus - crise d’urticaire et d’eczéma violentes, démangeaison – ou moins – amaigrissement, vomissement et boulimie – voyants pour introduire un changement d’attitude qui s’amorce par une soudaine curiosité à manger de la viande. Le film est en constant équilibre bestialité crue et stylisation plus marquée pour évoquer les questionnements de Justine.

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Ainsi chaque bascule carnivore puis cannibale est frontale, tant dans le filmage direct de Julia Ducornau (plan fixe et cadrage simple dénué du moindre effet appuyé lorsque Justine dévore de la viande crue au petit matin) que par le jeu de Garance Marillier, tout en visage mutique et posture/attitude animale quand elle s’acharne sur une viande animale ou ce moment clé où elle dévore un doigt humain. Au contraire les afféteries visuelles sont nombreuses pour évoquer le point de vue transformé de Justine, convoquant le giallo avec ce corridor baignée d’éclairages rouges, l’esthétique pop lors de la splendide scène où Justine danse devant son miroir, enfin à l’aise dans son corps et lascive. Le réalisme et la cohérence s’estompent dans la photo de Ruben Impens dont les choix chromatiques font basculer la force évocatrice d’un décor, parfois dans la même scène pour littéralement nous plonger dans l’esprit changeant de Justine. Le point fondamental de ses différents partis prix réside dans l’interaction de Justine avec les autres personnages. La jeune fille en plein doute partage ainsi sa chambre avec Adrien (Rabah Naït Oufella), jeune homme gay ayant appris à assumer sa différence (et la revendique dès leur première rencontre) pour une très attachante relation d’amitié. Ce sera plus complexe avec sa sœur Alexia (Ella Rumpf) plus assurée dans son tempérament exubérant. Par sa timidité Justine semble être un fardeau pour son aînée, la violence verbale et mentale (Alexia lui forçant la main lors du fameux bizutage au rein de lapin) alternant avec la complicité et promiscuité fraternelle inaltérable. En plus des autres maux de la jeune fille en construction s’ajoute ainsi la distance et rivalité fraternelle que le cannibalisme va également résoudre. On retrouve presque la symbolique du fameux Vorace (1999) de Antonia Bird où en mangeant le doigt de sa sœur, Justine en absorbe l’énergie et finit par la supplanter.

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Ce gout pour la chair humaine les rapproche mais inverse le rapport de force : quand Justine maîtrise la « faim », Alexia est incapable de contenir ses instincts cannibales. Là aussi chaos et stylisation s’opposent dans l’expression de leur nature. Justine bousculée et souillée en début de film devient la dominante : au rouge souillant son visage et ses vêtements malgré elle (ce sang renversé sur les bizuts en début de film) succède la peinture inondant son corps nu qu’elle va mélanger à celui d’un autre étudiant avant de lui mordre profondément la lèvre. Elle devient prédatrice et ne subit plus les évènements, au point d’inverser la nature humiliante du rite étudiant. L’innocence et la peur du sexe de départ laisse place à une scène de dépucelage d’une stupéfiante animalité, bien aidé par l’incroyable langage corporel de Garance Marillier. Justine se reconstruit ainsi en acceptant et ciblant ces élans cannibales quand Alexia les laisse parler au hasard et ne le contrôle pas. Julia Ducornau façonne donc un puissant récit d’apprentissage où l’horreur, le teen movie et la psychanalyse s’entremêlent joyeusement - à l’image d’un final où la comédie noire révèle néanmoins que le mal trouve avant tout ses origines en nous. Une réalisatrice prometteuse et une grande actrice sont nées. 5/6
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Harkento »

wontolla a écrit :
Anorya a écrit : La toute dernière scène, tu veux parler de...
Spoiler (cliquez pour afficher)
La discussion au petit déjeuner entre le père et sa fille ?
J'aime bien, c'est le petit clin d'oeil de pur série B totalement assumé pour ma part. :D
J'ai aimé également ce que j'ai traduit dans ma critique de cette façon qui j'espère ne spoile pas de trop...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Comment partager l’amour avec une soeur et comment gérer une histoire de sang, qui se transmet, pourrait-on dire : par le sang depuis des générations ?
SPOIL
Oui Wontolla, j'ai bien compris le sujet et le coeur même du film, mais je n'ai pas aimé la manière dont c'était amené. Je trouve qu'il y a une ambiguïté, une finesse dans le traitement et la construction scénaristique. Donc son final explicite dénote avec les scènes d'avant je trouve. Les ellipses intrigantes et brutales ainsi que les ambiances et cadrages anxiogènes à souhait, donnent un vrai charme singulier à ce film. C'est vraiment par palier que nous découvrons l'univers viscéral et aliénant du film, ainsi que ces thématiques véritables : j'ai ressentit un grand trouble pendant la séance et j'ai aimé ça ! La fin très premier degrés qui révèle enfin la raison de tout cela aurait pu être effleuré (ou découvert par le personnage elle-même), mais non amené par le personnage du père qui m'a plus embêté qu'autre chose : c'est pour ça Anorya que j'ai pas aimé ce clin d'oeil un peu lourd (si s'en ai vraiment un...). Mais sinon, j'ai adoré hein ! :D Les deux soeurs sont époustouflantes, on y croit à fond à leur relation, elles sont parfaitement dirigées et jouent leurs personnages à 1000 % ; c'est d'ailleurs ça qui donne une vraie intensité dramatique à ce film, au delà de ses qualités esthétiques évidentes je veux dire qui contribuent à l'immersion.
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par LordAsriel »

LordAsriel a écrit :Grave, Julia Ducournau, France, Belgique : 6/10
Compliqué d'évaluer un film comme celui-ci. J'adhère complètement à l'atmosphère, à la direction artistique en général, et il me semble que l'oeuvre révèle de vrais talents tant devant que derrière la caméra. J'aime bien aussi toute la dimension "fable" du film, et son auscultation de tout un ensemble de violences intégrées dans les rapports du monde contemporain : à la fois violences sociales et violences au sein de la famille. Je suis moins fan du caractère un peu lâche de l'écriture sur certaines séquences : le manque de vraisemblance du parcours des deux sœurs (
Spoiler (cliquez pour afficher)
aucun suivi, une prise en charge extrêmement tardive de leurs actes par les autres... la scène de l'accident de voiture provoqué qui ne provoque aucun questionnement moral chez Justine, au-delà du fait qu'un tel événement devrait conduire à une enquête qu'on ne voit pas...
) m'a un peu fait sortir du film par moments. C'est dommage parce qu'il y a vraiment des choses intéressantes par ailleurs.
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Thaddeus
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Thaddeus »

Edit : dois-je préciser que ce message est potentiellement spoilerisant ?


Comment peut-on mesurer et reconnaître la fièvre, l'appétit, l'identité d'un(e) cinéaste ? Réponse hypothétique : à sa façon de filmer les scènes de fête. Au bout d'une quinzaine de minutes de Grave, Julia Ducournau lâche les chiens : le plan saisissant de la promotion des bizuts, progressant en rangs d'oignon et à quatre pattes dans la nuit vers une source floue de lumières et de sons étouffés, débouche sur une séquence orgiaque, défoncée à la sueur, à la musique, à l'ivresse, à une libération sensuelle qui fascine en même temps qu'elle écoeure sa jeune héroïne. Par leur dimension très physique, leur alliage de stylisation assumée et de naturalisme brut, ces quelques minutes donnent parfaitement le pouls de ce premier long-métrage absolument épatant qui m'a enthousiasmé de bout en bout. La réalisatrice y assume une littéralité réjouissante qui désamorce toutes les lourdeurs théoriques, trouve une voie propre au-delà des citations (Cronenberg évidemment, mais aussi Carrie et son sang de porc, ou plus près de nous le Trouble Every Day de Claire Denis, auquel on pense régulièrement), témoigne d'une confiance totale dans tous les départements (l'image, la musique, le montage) sans que jamais cet aplomb ne paraisse injustifié. Parce qu'il y a, pour sous-tendre tout cela et en assurer la cimentation, une sincérité bute qui se devine à chaque seconde, une faculté de projection dans l'expérience singulière de sa Justine (vraie révélation que Garance Marillier) qui maintient un degré d'intensité organique tout au long de la narration. Grave est bel et bien le film prenant et intense que l'on nous vend depuis quelque mois, éprouvant sans doute (quoi que tout à fait supportable, avis à Alexandre) mais aussi singulièrement émouvant, tant dans ce qu'il crée entre les personnages (la relation d'amitié, de confidence, de désir avec Adrien ; celle plus problématique, faite d'envie et de rivalité sororale, avec Alex) que dans la prise de conscience douloureuse de sa protagoniste, sa lutte pour assumer cette découverte, ses difficultés toujours surmontées à contenir ses pulsions. Lorsque, couchant pour la première fois avec un garçon, Justine canalise la fringale qu'elle éprouve et redoute (en même temps que nous) et qu'elle la déporte sur elle-même en se mordant l'avant-bras jusqu'au sang, c'est un mélange d'effroi, de compassion et d'"apaisement" que l'on ressent. Contrairement à sa soeur, elle apprivoise son nouvel état, refuse de le diriger contre les autres. C'est pourquoi son parcours implique tant, pourquoi il se découvre et se vit sans distanciation extérieure. Bref, un véritable coup de coeur pour ce film dont les qualités techniques se double d'une belle richesse de fond (les métaphores sont nombreuses et évidentes, mais toujours digérées par l'incarnation du récit). Je renvoie aux messages précédents de mes camarades, et notamment au texte de Profondo Rosso qui a tout dit.
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Alexandre Angel
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Merci de me rassurer sur la gerbo-supportabilité du film : je vais y aller :wink:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Demi-Lune
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Re: Grave (Julia Ducournau - 2017)

Message par Demi-Lune »

De mon côté, je suis partagé entre la reconnaissance de voir du ciné de genre français bien fichu sur la forme, entreprenant sur le fond, et la déception face à de nombreuses scories qui ternissent la proposition et laissent sur un goût amer.
Le film arrive heureusement à se dévêtir de ces citations littérales qui polluent la créativité (les seaux de sang de Carrie, le travelling latéral au ralenti sur l'accident de la route de Crash, les bizutés avançant en rang à quatre pattes comme dans Salo... lourdingue), et trouve un ton propre où la plus grande surprise réside dans cette forme de grotesque et de grand-guignol assumés. D'ailleurs, du grand-guignol à la vulgarité, il n'y a qu'un pas, que le film n'évite pas toujours à mon sens, malheureusement. Julia Ducournau revendique que le rire s'immisce avec le macabre, et cela assure au film autant sa singularité dans le paysage hexagonal que cela le bride dans le même temps : même si on ne peut pas complètement parler de dédramatisation, ça dépasse difficilement la farce trash, limite Z avec cette fin abusée, d'autant que le scénario se montre très lâche quand il essaie de dessiner quelque chose de plus grave (lol) dans la relation entre les deux sœurs (tout à fait d'accord avec LordAsriel sur le coup de l'accident de bagnole). Peut-être que le film aurait gagné à se concentrer sur ses aspects viscéraux et dramatiques, mais la balance aurait alors sans doute penché vers une proposition plus classique et moins originale. Curieuse impression que celle de trouver le traitement faillible tout en ne voyant pas vraiment ce qu'il aurait fallu ôter ou retoucher pour que cela fonctionne mieux. Tout aussi bizarre est cette impression de déjà-vu alors que le film dessine pourtant un vrai regard... probablement parce que l'imaginaire du film se situe quelque part entre Naissance des pieuvres et Morse.
Bref, film "marquant" avec quelques images mémorables, mais que j'ai du mal à considérer comme véritablement réussi. Sur un thème similaire, je n'échange pour rien au monde mon baril de Rage de Cronenberg. Reste qu'il y a dans Grave une envie de cinéma qui donne envie de suivre la carrière manifestement prometteuse de cette réalisatrice, qui pourrait se créer son propre périmètre très personnel au sein du cinéma fantastique français comme l'a fait la rare Lucile Hadzihalilovic.
Enfin, terminons sur un point qui fait consensus à juste titre : la jeune Garance Marillier, belle révélation, qui porte le film sur ses épaules, et que je suis curieux de revoir dans d'autres rôles, maintenant que celui de Justine va s'attacher dans la mémoire des spectateurs.

Edit : je viens de me rendre compte que Julia Ducournau avait participé au scénario de Ni le ciel, ni la terre. Elle est bien, cette fille.
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