The Square (Ruben Östlund - 2017)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Demi-Lune »

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Christian, père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux petites filles, est un conservateur en vue d’un musée d’art contemporain installé dans le palais royal de Stockholm. Ambitieux, séduisant, intelligent et drôle, il prépare une exposition intitulée « The Square » autour d’une installation artistique (un carré lumineux) incitant les visiteurs à la tolérance et la solidarité. Lorsqu'il se fait voler son téléphone et son portefeuille par une bande de pickpockets dans la rue, il plonge dans une crise existentielle qui a des répercussions sur sa vie personnelle, révélant sa lâcheté et l'insuccès de sa vie professionnelle qui va d'échec en échec.

Une Palme d'Or qui semble en laisser perplexe plus d'un (et pas que sur Classik)...
origan42 a écrit :Brillantissime dans sa réalisation (trop peut-être), cette satire démonstrative et moralisatrice (trop peut-être...) m'a laissé quelque peu dubitatif et éloigné de tout ressenti.
Mosin-Nagant a écrit :Jusqu'à la scène de l'affiche, j'ai aimé. Ensuite, j'ai du mal avec les leçons de moral.
Des qualités indéniables ( Elisabeth Moss ) mais loin d'être une grande Palme d'Or, selon mes critères.
Supfiction a écrit :Éprouvant, agaçant, énervant, absurde, surréaliste, incohérent mais intéressant.
Flol a écrit :Östlund semble se moquer de l’art contemporain et de l’élitisme, tout en en singeant les codes.
Troublant, malaisant, mais assez drôle.
cinéphage a écrit :J'aime beaucoup l'humour cruel d'Ostlund, sa capacité à mettre en évidence les compromis que l'on passe avec soi-même, à construire des personnages solides qui se révèlent pendant les crises qu'ils traversent...
ballantrae a écrit :Une satire de l'art contemporain qui est aussi et surtout une satire de notre fonctionnement paradoxal: avons nous déjà autant parlé d'empathie, de l'Autre en en faisant aussi peu cas? jusqu'où le hiatus entre la parole et les actes peut aller? quelle médiocrité ordinaire habite celui qui a les apparences de la civilisation la plus policée et cultivée?
Film assez jubilatoire, n'hésitant pas à charger la peinture d'un milieu qui ne l'a pas volé. Ostlund admire Haneke c'est évident dans les cadrages et la manière de susciter le malaise mais il a beaucoup plus d'humour!
Dernière modification par Demi-Lune le 25 oct. 17, 13:26, modifié 1 fois.
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Demi-Lune
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Demi-Lune »

Moi aussi, je trouve le film grand pour sa capacité à prendre à bras le corps, par le biais de la satire, cette espèce de schizophrénie qui menace le modèle européen de façon accrue depuis la crise des migrants : d'un côté les beaux discours, les valeurs morales intégrées par les citoyens comme des boucliers universels, et de l'autre, de manière individuelle, beaucoup d'impuissance et/ou d'indifférence face à la détresse qui existe directement dans la rue.
Tout le contexte qui étreint l'Europe macère en permanence dans le film et s'impose nécessairement en décalque du microcosme pris pour cadre, et pour symptôme (le contraste entre monde policé des musées d'art contemporain, et mendicité).
Le risque, du coup, était de ne faire qu'une note d'intention à la provocation calculée, misanthrope et sans nuance, avec message du genre "ah làlà, regardez ces snobs, qu'ils sont veules et détestables". Mais Ostlund trouve toujours le bon dosage entre la satire mordante et l'affection sincère pour les personnages : Christian, le directeur bobo et quadra du musée, semble plus dépassé que vraiment salaud (de riche) - manière pour le cinéaste de ne pas jouer les donneurs de leçon déplacés, même si la cécité de classe est commode, et même si le film tend sur la fin à la prise de conscience (mais toujours frustrée). Le rapport à l'empathie dans notre société moderne est la lame de fond du film et en assure toute sa force et son fiel, au travers de cette allégorie géniale du Carré comme installation d'art pour tous, à prétention altruiste et bienfaisante, comme une cécité sur le monde extérieur subitement magique car légitimée par l'art. J'adore comment le propos dialogue entre ses considérations socio-politiques et ses problématiques plus philosophiques, sur la nature et la valeur du geste de création artistique, sa vocation ou non à aller au-delà de son autonomie en tant qu'objet de création, à ruisseler auprès du public dont on cherche à capter l'attention, à s'affranchir ou pas de son cadre sociologique de production. Car tout ce beau marketing branchouille autour du Carré (création cynique dès le départ?), comme expérience altruiste et égalitariste pour les visiteurs, achoppe sur la portée démocratique de la culture : à quoi bon une œuvre d'art lorsque le dialogue ne se fait qu'entre gens du sérail ? Le film est le théâtre de contradictions intellectuelles très stimulantes (y compris jusque dans la conférence de presse finale, sur l'autocensure). En faisant du Carré la manifestation de cette schizophrénie intellectuelle entre l'universalisme et l'indifférence, le film poursuit une idée formidablement profonde qui évite tout didactisme et aboutit à un film authentiquement politique, d'une pénétration remarquable. Je comprends que le jury de Cannes y ait vu l'étoffe d'une Palme d'Or car toutes proportions gardées, le film a ce petit quelque chose de La dolce vita dans son pouvoir subversif, caustique et lucide sur la perte de sens qui aspire le monde contemporain.
Bref, trêve de développements : sous ses atours de jeu de massacre mondain, The square est un grand film politique, doublé d'un geste méta savoureux sur l'acte artistique.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Mosin-Nagant »

Demi-Lune a écrit : le film a ce petit quelque chose de La dolce vita dans son pouvoir subversif, caustique et lucide sur la perte de sens qui aspire le monde contemporain.
J'ai pensé un peu à La grande bellezza, en visionnant le film. Mais je suis d'accord.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par ballantrae »

Pour ce qui est du tableau de l'art contemporain, The square est tout de même plus subtil que La grande belleza qui n'y allait pas avec le dos de la cuillère ( la petite fille hystérique, la performeuse ridiculisée par le héros, etc...).
Il y a du Fellini peut-être aussi comme une équivalence de Ginger et Fred dans le monde de l'art.
J'ai bien ri en voyant le clip de l'expo conçu par les deux communiquants crétins: ahurissant! Tout autant que les fausses pub de Fellini dans le film cité au dessus et comme le surgissement obscène de la bêtise la plus pure.
Mais encore une fois, je ne suis pas sûr que l'art contemporain soit le sujet du film, il m'en semble plutôt le décor pour un apologue plus général sur la vanité d'une société qui arrive à tout recycler y compris la pauvreté (la scène des sacs d'ordure évoque des oeuvres conçues à partir de collectes de déchets quotidiens, l'homme -singe est raccordé à un mendiant enfoui sous une bâche) ou le fait divers ( le vol initial est tout autant une performance que le spectacle de l'homme-singe).
Pour ce qui est des réminiscences d'autres films, j'ai pensé pour ma part à un film qui n'a rien à voir avec l'art contemporain mais avec le singe comme vecteur d'une réflexion sur l'Homme: il s'agit du tranquillement dérangeant Max , mon amour de N Oshima, scénarisé par J Cl Carrière.
Formellement, on voit à l'oeuvre un cinéaste qui sait ce qu'est un cadre et la lumière au sein de ce cadre.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par ballantrae »

Assez curieux des "artistes "et oeuvres évoquées , j'ai découvert par hasard que la performeuse de La grande belleza (celle qui récite un texte vindicatif avant de courir nue pour se crasher contre un pilier) n'a en fait rien à envier à une dénommée Milo Moiré dont la marque de fabrique est de se balader à poil notamment avec des mentions de vêtements écrites sur son corps, de lancer des oeufs contenant de la couleur par je ne sais où...mouais!
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Demi-Lune »

Thaddeus a écrit :Je l'ai passé à 5/6. :mrgreen: A bien y réfléchir, il est vraiment très bon.
13ème année de suite que je ne donne pas moins que cette note à une Palme d'or, au passage.
LordAsriel a écrit :Oui, il faut laisser l'effet se faire avec ce film. J'ai quand même deux ou trois réserves qui demeurent, d'où le -0,5 sur ma note, mais c'est vraiment une Palme assez digne. Et même constat sur toutes les Palmes que j'ai vues depuis une grosse dizaine d'années : les gens ont beau râler tous les ans, les grands films de Cannes font régulièrement partie des grands films tout court de l'année.
Thaddeus a écrit :Tout à fait. Je redoutais le film cynique et misanthrope que beaucoup avaient fustigé au mois de mai, mais le regard d'Östlund n'est absolument pas de cette nature-là, bien au contraire. Le personnage principal par exemple, remarquablement interprété par Claes Bang, est un homme bien que plus touchant qu'antipathique, dépeint avec une réelle bienveillance.
LordAsriel a écrit :Oui, c'est aussi ce que je redoutais, comme je redoutais la caricature du film anti-art, et le film qui critique ce qu'il fait lui-même... Mais le long-métrage d'Östlund vaut beaucoup mieux que ça, presque constamment en équilibre entre la satire et la profession de foi. Et en effet, le personnage principal paumé, fragile et en pleine introspection n'a rien des connards antipathiques qu'on peut trouver, par exemple chez Vincent Macaigne en ce moment. :mrgreen:
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Supfiction »

Ce que je reproche au film c'est de donner l'impression de partir dans tous les sens. Snow therapy était moins ambitieux mais il y avait un réel et unique sujet, traité intelligemment, la lâcheté et l'individualisme ultime.
Là on ne sait pas trop où l'on va entre la critique du monde de l'art, les relations hommes-femmes, l'immigration, le terrorisme...
On est au bord de l'indigestion thématique et du coup, on ne voit pas trop où le réalisateur veut nous amener et ce qu'il raconte vraiment. Quant à la scène de l'affiche, je ne la trouve pas très crédible. En tous cas pas en France.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Thaddeus »

Je n'ai pas vu Snow Therapy, et c'est d'ailleurs le premier film d'Östlund que je vois.
Supfiction a écrit :Là on ne sait pas trop où l'on va entre la critique du monde de l'art, les relations hommes-femmes, l'immigration, le terrorisme...
On est au bord de l'indigestion thématique et du coup, on ne voit pas trop où le réalisateur veut nous amener et ce qu'il raconte vraiment.
Je trouve au contraire que le film parvient à ne pas se disperser, à tenir une ligne assez serrée d'un bout à l'autre (principalement en ne perdant jamais de vue son protagoniste) tout en tressant un certain nombre de problématiques autour de sa remise en question. La dernière demi-heure peut paraître un peu plus vagabonde, parce qu'elle abandonne quelque peu l'aspect le plus satirique pour privilégier le besoin qu'a Christian de s'avouer son erreur et d'essayer de la racheter auprès de ceux que son attitude a pu blesser. Certains jugeront qu'il y a là un volontarisme un tantinet moralisant qui peut faire tiquer, mais je trouve que c'est le prix à payer pour que le film se défasse pleinement des accusations de complaisance dont il aurait pu faire l'objet. En d'autres termes, je prends et j'accepte la "faiblesse" hypothétique de la fin du récit, parce que j'y gagne autre chose qui me plaît.
Quant à la scène de l'affiche, je ne la trouve pas très crédible. En tous cas pas en France.
Je ne vois pas à quelle scène tu fais référence.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Supfiction »

Thaddeus a écrit :Je n'ai pas vu Snow Therapy, et c'est d'ailleurs le premier film d'Östlund que je vois.
Supfiction a écrit :Là on ne sait pas trop où l'on va entre la critique du monde de l'art, les relations hommes-femmes, l'immigration, le terrorisme...
On est au bord de l'indigestion thématique et du coup, on ne voit pas trop où le réalisateur veut nous amener et ce qu'il raconte vraiment.
Je trouve au contraire que le film parvient à ne pas se disperser, à tenir une ligne assez serrée d'un bout à l'autre (principalement en ne perdant jamais de vue son protagoniste) tout en tressant un certain nombre de problématiques autour de sa remise en question. La dernière demi-heure peut paraître un peu plus vagabonde, parce qu'elle abandonne quelque peu l'aspect le plus satirique pour privilégier le besoin qu'a Christian de s'avouer son erreur et d'essayer de la racheter auprès de ceux que son attitude a pu blesser. Certains jugeront qu'il y a là un volontarisme un tantinet moralisant qui peut faire tiquer, mais je trouve que c'est le prix à payer pour que le film se défasse pleinement des accusations de complaisance dont il aurait pu faire l'objet. En d'autres termes, je prends et j'accepte la "faiblesse" hypothétique de la fin du récit, parce que j'y gagne autre chose qui me plaît.
Entre la méfiance entre les sexes (l'histoire du préservatif), la méfiance entre les communautés, la lâcheté et l'effet de meute, la critique de l'art moderne (sur lequel est vendu le film), on s'y perd. Mais c'est vrai qu'en argumentant, je découvre qu'il y a sans doute un lien entre les diverses thématiques abordées. Il faut digérer le film, à la première vision, tout cela parait confus et partant dans tous les sens.
Thaddeus a écrit :
Quant à la scène de l'affiche, je ne la trouve pas très crédible. En tous cas pas en France.
Je ne vois pas à quelle scène tu fais référence.
Je parle de la scène du dîner et du singe.

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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Demi-Lune »

Supfiction a écrit :Ce que je reproche au film c'est de donner l'impression de partir dans tous les sens.
C'est l'effet de séquençage qui donne cette impression (toujours un peu comme dans La dolce vita), avec la mini-partie suspense des lettres anonymes, la mini-partie vaudeville, la mini-partie du dîner-performance, etc. Mais les rênes de la narration sont toujours tenus, les fils s'entrecroisent avec une précision d'orfèvre. Ostlund semble délaisser un fil pour mieux y revenir un peu plus tard, comme avec le personnage de l'intervieweuse, ou celui de l'enfant déshonoré. Cela vise à apporter une illusion de respiration au directeur du musée, toujours dans cette attitude de refoulement des problèmes. Mais un problème, ça ne se met pas sous le tapis, ça se résout.
Supfiction a écrit :On est au bord de l'indigestion thématique et du coup, on ne voit pas trop où le réalisateur veut nous amener et ce qu'il raconte vraiment.
Mais tu viens de le dire toi-même, le film parle de l'art, des relations hommes-femmes, de l'immigration, du terrorisme, et ce n'est pas encore exhaustif. C'est un propos ample car le film parle de manière détournée de notre temps et de la crise morale que pose tout particulièrement la confrontation des migrants, et leur détresse, aux valeurs de partage du modèle européen (tout ceci étant également raconté en parallèle avec le principe de l'expo "THE SQUARE", créant un dialogue permanent entre les considérations socio-politiques et les considérations artistiques du film).
En fait, Ostlund se paie moins le milieu BCGB de l'art contemporain que l'individualisme contemporain, permettant à beaucoup (moi le premier) de mettre son mouchoir sur la détresse qui nous entoure, celle qui consiste par exemple à continuer son chemin en s'efforçant de garder bonne conscience lorsque des familles syriennes implorent dans la rue pour avoir une petite pièce - et d'ailleurs, cette détresse n'est pas nécessairement que matérielle, le personnage de la journaliste consommée puis jetée participant du même élan. Au travers de la place et de la vocation de l'art, le film raconte l'accommodement de la société avec ses propres valeurs dès lors qu'on touche à du concret, à de la détresse nous prenant à partie. Or, mettre son mouchoir ne fait pas de facto des individus des salauds, et c'est tout le sens du portrait de Christian, finalement "banal" dans ses faiblesses, tourmenté puis acculé par les appels à l'aide (implicites et explicites, cf. le gosse à la fin). Le film veut amener Christian à mesurer cette gymnastique d'aveuglement dont il fait preuve, et à lui offrir une chance de se transcender humainement, par la redécouverte de la contrition et surtout de l'empathie, libérée de sa conceptualisation artistique et marketing.
Ramené à cette explication, le film pourrait sembler n'être qu'une fable moralisante un peu bateau : mais il n'en est rien, car toutes les préoccupations dialoguent dans un propos très dense et vertigineux du fait de la profession de foi, pour reprendre LordAsriel, que fait Ostlund dans son propre geste artistique.
Supfiction a écrit :Quant à la scène de l'affiche, je ne la trouve pas très crédible. En tous cas pas en France.
Je pense qu'il y a un moment où la question de la crédibilité n'est plus un pré-requis, surtout à ce stade du film (on est dans la dernière partie). Lorsqu'on fait sauter une fillette pour un clip promotionnel d'expo, on fait comprendre au spectateur qu'à partir de maintenant, tout est possible.
Cette séquence de l'homme-singe est un morceau de bravoure nécessairement conscient de sa virtuosité et de l'impact qu'il aura sur les spectateurs. Mais au-delà du chahutage de la bourgeoisie qu'il offre immédiatement aux rires sarcastiques du spectateur, il a toute sa place dans le cheminement du film sur la place de l'art : le dialogue œuvre/public est encore rompu et le performeur accule littéralement ces gens pour les forcer à l'humilité. Cette soirée qui dégénère est en fait un préambule (cryptique sur le moment) de la future inflexion psychologique de Christian.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Flol »

Je ne sais pas si j'aurais personnellement donné la Palme au film, en revanche la scène dîner bourgeois qui part en vrille obtiendra aisément ma Palme de la scène la plus malaisante vue en 2017.
Et ça ne m'étonne pas du tout venant de la part de Östlund, dont le sens du malaise m'a "réjoui" plus d'une fois par le passé, que ce soit dans Snow Therapy ou son précédent Play (que je vous conseille si vous ne l'avez pas vu).
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Strum »

Le côté jeu de massacres avec comme cible l'art contemporain est réjouissant, même si le systématisme critique et clinique finit par lasser. Et puis c'est trop long (il y a bien 30 minutes de trop). Mais ce qui m'a surtout gêné, c'est le côté retors du film qui pointe derrière la posture morale. D'un côté, Ostlund montre l'écart entre les discours abstraits sur la bienveillance dans le carré et le fait qu'en dehors des migrants dorment dans la rue, et de l'autre, quand Christian aide une femme qui a l'air de se faire agresser (aide qui répond à la critique énoncée par le film), les ennuis commencent pour lui (aider semble donc pire que ne pas aider car on se fait alors détrousser et ceux qu'on veut aider n'en valent pas la peine ...) : Ostlund ne laisse aucune chance à son personnage, qui se trouve prisonnier de ce cercle retors. Cet aspect "'petit malin" en fait in fine un film presque aussi vide et dépourvu de sens que l'art contemporain qu'il dénonce.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Jack Griffin »

Ce n'est pas parce qu'il aide cette femme que les ennuis commencent.
Son erreur est la façon dont il veut piéger le voleur. Une façon qui traduit un mépris de classe.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Strum »

Jack Griffin a écrit :Ce n'est pas parce qu'il aide cette femme que les ennuis commencent.
Son erreur est la façon dont il veut piéger le voleur. Une façon qui traduit un mépris de classe.
Sauf que c'est là que tout commence. S'il ne l'avait pas aidé, rien ne lui serait arrivé. Tu t'es souvent fait voler téléphone et portefeuille en aidant quelqu'un dans la rue ? Il y a aussi ce geste de charité où il achète un sandwich et en reçoit un regard haineux. C'est tout de même singulier qu'à chaque fois qu'il essaie d'aider cela se retourne contre lui (même s'il n'est pas innocent ensuite) dans le contexte d'un film qui prétend mesurer l'écart entre les belles déclarations de principe et la réalité. Soit le réalisateur a lui-même les préjugés dénoncés, soit c'est inconséquent, soit c'est retors. Dans tous les cas, je n'ai jamais aimé les réalisateurs qui se prennent pour des petits malins.
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Re: The Square (Ruben Östlund - 2017)

Message par Demi-Lune »

Strum a écrit :Sauf que c'est là que tout commence. S'il ne l'avait pas aidé, rien ne lui serait arrivé. Tu t'es souvent fait voler téléphone et portefeuille en aidant quelqu'un dans la rue ? Il y a aussi ce geste de charité où il achète un sandwich et en reçoit un regard haineux. C'est tout de même singulier qu'à chaque fois qu'il essaie d'aider cela se retourne contre lui (même s'il n'est pas innocent ensuite) dans le contexte d'un film qui prétend mesurer l'écart entre les belles déclarations de principe et la réalité. C'est soit inconséquent, soit retors.
Ce n'est pas tout à fait ça, pour moi. Dans les deux scènes que tu cites, Christian est d'abord en retrait et mis devant le fait accompli. Si je me souviens bien, la nana se précipite sur l'autre gars pour qu'il la protège, et c'est justement le fait que ce soit l'autre gars qui gère la situation qui fait retenir Christian, visiblement désarçonné par ce qu'il se passe, ne sachant pas comment réagir. Il n'aide pas spontanément, et encore moins de manière chevaleresque - et on sent que c'est une libération pour lui lorsque cette situation de crise prend fin. Quant à la migrante désagréable (scène géniale d'humour politiquement incorrect), si je me souviens bien là encore, c'est elle qui demande la charité parce qu'elle a faim, et profite du bon-vouloir de Christian, manifestement un peu coincé (mais pas mauvais bougre non plus), pour lui faire commander un menu Maxi best of au prix fort et le toiser d'un regard méprisant. Cette scène est à mettre inversement en parallèle avec celle, plus tard, où Christian demande à un migrant SDF, dans le centre commercial, de bien vouloir garder toutes ses courses de luxe (et le gars le fait, en plus!) et le méprise ainsi d'une manière incroyable, dans une forme d'aveuglement benoit magnifique.
Tout ça pour dire que le personnage n'essaie pas nécessairement d'aider, ça n'aurait aucun sens à ce stade du récit puisque le but de tout cela est qu'il en vienne justement à aider par libre-arbitre. Ça se retourne contre lui parce qu'il est tout engoncé d'une raideur de classe qui n'aime pas être directement prise à partie.
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