Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
Wuwei
Assistant(e) machine à café
Messages : 157
Inscription : 19 mars 19, 20:19

Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles - 2019)

Message par Wuwei »

Image
Un film de :
Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
Scénario
Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
Compositeur
Mateus Alves
Tomaz Alves Souza
Directeur de la photographie
Pedro Sotero
Distribution
Barbara Colen : Teresa
Sônia Braga : Domingas
Udo Kier : Michael
Thomas Aquino : Pacote/Acacio
Silvero Pereira : Lunga
Jonny Mars : Terry
Chris Doubek : Willy
Alli Willow : Kate
Brian Townes : Joshua

D’ici quelques années… Bacurau est un petit village au nord du Brésil, coincé entre un préfet qui retient l’accès à l’eau et des rebelles locaux qui ont pris le maquis. Alors que l’on enterre une ancienne du village, la violence va monter d’un cran.

Bon, je ne suis pas bon en résumé… et je crains de n’être meilleur en avis… mais bon, hop, je fais comme les vrais cow boy : j’enfourche mon cheval sans selle et je pars au galop (oui… j’vais m’casser la gueule dans… 0,1 m).
Mon interrogation première face à ce type de film revient toujours à la question du genre et l’infini tarte à la crème qui se cache derrière. Nous dirons donc qu’il s’agit d’un « film de genre qui cache un pamphlet politique » ou « un pamphlet politique qui tord le cou aux règles du genre pour porter son propos ». Vous l’aurez compris, si nous avons une situation type, un trope des familles comme Manchette (entre autres) a pu s’en saisir, le spectacle ne s’arrêtera pas à cela puisqu’il vous faudra réfléchir… mais je reviendrai sur ce point.

Je ne connais rien au cinéma brésilien mais quand on sait que le projet date d’avant les dernières élections on peut se dire que les réalisateurs n’ont pas gentiment attendu que le monde des médias occidentaux s’inquiète de la situation pour envisager leur scénario. Même si on a la mémoire courte ou apolitique on peut se souvenir que la coupe du monde de foot et que l’organisation des J.O ont eu un impact délétère sur le pays et que la situation des peuples autochtones ou des plus démunis n’est pas des plus reluisantes. De fait, rien d’étonnant à ce que les riches guignols en campagne et les gringos tout puissant s’en prennent plein la tête dans cette variation des chasses du comte Zaroff.
Malgré une mise en place assez rapide, le film prend son temps. En effet, après un plan spatiale nous permettant d’observer le pays mais aussi la démarcation entre la nuit et le jour (manichéisme quand tu nous tiens), arrive une scène aussi macabre que grinçante qui donne le thème et le ton du film (un camion de cercueils s’est renversé sur la route et la camion-citerne que l’on suit est obligé d’en écraser quelques-uns au passage), puis le lieu et les opposants en place sont précisés à la scène suivante et nous pouvons rentrer dans le vif du sujet. Mais, alors que la scène des funérailles pourrait tout à la fois nous permettre de connaître les personnalités importantes du cru et de comprendre quels sont les enjeux et motivations de la personnage principale que nous suivons depuis quelques minutes… le propos se dilue dans la population.
C’est sans doute le point fort du film, et aussi le parti pris qui fera que des spectateurs auront du mal à entrer dedans. Si quelques figures sortent du lot, c’est la population toute entière qui est l’héroïne du film. Bien sûr c’est un « film de genre » et il nous faut les « gueules de l’emploi habituelles » mais au-delà de ça, on fera connaissance avec nombres d’habitant et la narration assez lente nous laisse le temps de profiter d’un mode de vie aussi atypique qu’attachant. Nous ne sommes ni dans cent ans de solitude ni dans un de ces reportages où un artiste visite « le vrai » monde, mais dans un univers où la pauvreté et le manque d’eau n’empêche pas d’avoir une tablette et de faire cours avec. La scène où le professeur cherche son village sur internet puis, ne le trouvant pas, sur google map avant de se replier sur une carte locale dessinée par des enfants est symptomatique de cet univers où les contraires vivent ensemble.
Forcément (enfin, je dis forcément… c’est évident quand on voit le film et son argument de départ), parce qu’ il y a des étrangers, que l’on convoite des terres, que l’on monnaie des femmes, que la tension va monter au soleil, qu’il y a quelques gros plans, nous sommes dans un western et, à ce titre, la gestion de la tension est bonne. Toutes les scènes et rebondissements autour du couple de motard en tenue bariolées sont très bien menées, c’est lent, on attend l’explosion de violence, quand elle vient elle est annoncée ce qui la désamorce mais permet de rebondir sur autre chose un peu loin… bref ça tire en longueur de manière intelligente (et la scène nous permet de passer d’un camp à un autre, ce qui est assez malin scénaristiquement).

Les nombreux plans sur la végétation, les coutumes locales (entre plantes sympas et jardinage à poil), la musique, se mêlent à des images plus contemporaines comme un personnage sans doute homosexuel ou aux nouvelles technologies… encore une fois, cela donne sa singularité au métrage qui pioche dans le western, les « gueules », la tension mais sans tomber dans le cliché. Les personnages sont écrits et ont « quelque chose à dire ». Si on ajoute à cela quelques scènes superbes (je pense à cette scène de nuit éclairée par un seul lampadaire et où les enfants jouent à se faire peur… l’ambiance est au rendez-vous).

Mais (j’avais dit que j’y reviendrai), donc… il faut réfléchir. Alors, je n’ai rien du tout contre la réflexion, contre les parallèles ou les métaphores, parfois un peu guidées parfois plus lourdes mais avec complexité ou subtilité. Malheureusement, c’est sur ce point que le film m’a déplu.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le film fait le choix de montrer le « camp des méchants », à l’occasion d’une scène où des tueurs brésiliens sont en fait au service de méchants occidentaux, on commence à voir les choses selon le point de vue de ces derniers et les « chasseurs deviennent les chassés » (c’est moins abrupte que cela et plus subtil), cela change la peur et la tension de camp et c’est assez bien fait. Mon seul regret tient dans le torrent de panneau lumineux clignotant qui se met à briller de tout côté. Montrer la même situation mais avec moins de scène explicatives (dont la seule scène lourde du fil), avec moins d’indices n’aurait en rien desservi le propos, bien au contraire. Là les méchants nous sont présentés comme une bande de loosers suprémacistes blancs qui vient se payer du « tourisme » en chassant des pauvres, bien évidemment ils ont comme aide le méchant préfet local. Déjà c’est bien manichéen comme il faut, mais soit, pourquoi pas. Avec tous ces éléments on pouvait imaginer un aspect grand guignol, une fin à la hauteur de cette stupidité… mais non, le film fait le choix de rester sur les mêmes rails. De ce fait, nous n’avons plus besoin de « réfléchir » puisqu’on nous a pointé du doigt les méchants, leur motivation, leur stupidité et que l’on a bien compris le « sous-texte » politique. De ce fait, plutôt que de simplement les montrer (ils sont tous blancs), les laisser agir,etc… le récit devient lourd et le propos trop réac’ pour être pleinement jouissif ou complexe.
C’est vraiment ce point (avec une ou deux scènes loupées et quelques longueurs et autres éléments un peu forcés) qui me font apprécier sans non plus l’aimer ce film.
Avatar de l’utilisateur
Shin Cyberlapinou
Assistant opérateur
Messages : 2179
Inscription : 1 févr. 09, 09:51

Re: Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles - 2019)

Message par Shin Cyberlapinou »

Découvert sans rien savoir du film si ce n'est que c'était une espèce de western d'anticipation salué à Cannes. Il y a dans Bacurau de quoi faire une bonne série B hargneuse avec un sous-texte percutant qui aurait fait des étincelles entre les mains de Carpenter (cité nommément via l'école João Carpinteiro et l'emploi d'un morceau du cinéaste), Verhoeven ou même un Jason Blum en forme. On se retrouve avec un film de festival de 2H10 sans véritable valeur ajoutée en termes de discours
Spoiler (cliquez pour afficher)
(les riches sont décidément des salauds mais quand les pauvres se rebiffent ils font moins les malins)
, de dramaturgie ou de caractérisation (à la limite le cadre est effectivement intéressant). J'avais plutôt apprécié Aquarius (sans être non plus convaincu à 100%) mais ici l'approche "film de genre d'auteur" m'a gonflé plus qu'autre chose d'autant que la mise en scène manque de punch dans les scènes hard et de caractère dans les scènes plus posées (et j'ai trouvé la photo numérique assez vilaine). 5/10 et à tout prendre je garde mon baril de
Spoiler (cliquez pour afficher)
Chasse à l'homme, Que la chasse commence voire American warrior XX: le chasseur
.
Dernière modification par Shin Cyberlapinou le 9 oct. 19, 16:49, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2622
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles - 2019)

Message par Alibabass »

Bonjour à vous,

Pour ma part, réussite. La première partie est assez étrange, très fluide et ouvrant une perspective vers le collectif (ce qui en soit est assez important dans la résistance que doit tenir les gens du Nordeste). Il y a une ligne claire sur la vie de ses gens, ou il y a pas de notion d'intimité ou chaque personnage est vraiment singulier. Et, surtout, la notion d'histoire est là aussi via le musée historique que possède ce village (d'ailleurs, c'est très réaliste du côte entre-soit de la population du Nordeste, j'ai discuté pendant 30 minutes après la séance avec une personne qui est partie plusieurs fois dans cette région, et c'est vrai que c pas facile de se faire accepté par la population rurale du Nordeste, par peur du cynisme des touristes ... qui d'ailleurs dans le film est bien raconté via le couple en moto).

Reste que c'est anti-thèse du 1er film de Kleber Mendonça Filho, ou dans Les Bruits De Récife, tout est dans l'invisibilité, et la tension qu'abordé le film ... wow ... unique, tout est abstrait (comme l'effet d'un Jacques Tourneur ou l'horreur est hors-cadre). Après, c'est vrai que ça part en freestyle, que ça c tue à tout vas, mais c'est bien subtile et bien plus malin qu'on pense. La montée de l’extrême droite, c'est comme cela qu'elle devient de plus en dangereuse et la notion de toute réalité se transforme en une chose hors de la morale et devenant banale (et d'ailleurs, que ça soit les tueurs ou la population, un détail fait que même la population n'est pas si forte que cela en terme de morale et d'éducation, voir la scène en rétro-proj) . L'argent, la corruption pour l'un ; l'histoire et le collectif de l'autre.

Ah oui aussi ... ça gobe des machins bien psyché chez la population, et la progression en survival tend vers cela : film de genre irréel. La fin est plus glaçante qu'on pense aussi, et c'est cela que le film arrive à être un film politique. En tout cas, même si moment imparfait, c'est innovant de traiter le film comme cela.
Avatar de l’utilisateur
AllSimon
Stagiaire
Messages : 17
Inscription : 24 août 18, 12:01

Re: Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles - 2019)

Message par AllSimon »

C est marrant, je n ai jamais pensé à du western devant le film.
Répondre