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Wuwei
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Message par Wuwei »

je n'ai pas fait cette exposition, en revanche je me souviens avoir admiré les quelques oeuvres exposées au musée Marmottan (et l'avoir découverte à cette occasion).
Merci de partager autour de cette artiste, je vais jeter un oeil au livre qui semble très bien.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Jane Eyre (Charlotte Brontë)

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Le classique lu pendant les vacances ....Livre que j'ai un peu laissé trainé puis repris puis relaissé de côté. Il m'a donc suivi tout l'été en s'écornant au fur et à mesure.
J'ai été très rapidement séduit par cette atmosphère gothique, parfois oppressante dans laquelle on est pris par la main par un personnage fort, intelligent et volontaire. Dès l'entrée au domaine et que débute la romance le récit m'a malheureusement un peu perdu tant l'auteur fait un peu trop durer la situation ou Rochester et Jane Eyre se tournent autour. Ensuite bien que le livre soit riche en révélations et péripéties il perd en pouvoir de fascination...Mais première moitié excellente.

Trois jours chez ma tante (Yves Ravey)

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On rapproche Ravey de Simenon (merci wiki). Ici une écriture où le narrateur objectivise son rapport au monde en ne nous rapportant que les faits. Le livre joue alors un jeu avec le lecteur quand à l'opinion que ce dernier peut avoir des personnages et de la situation. Cette ambiguïté se déroule dans un récit à suspens où la médiocrité du protagoniste se dévoile au fur et à mesure....Une forme d'écriture blanche qui distille paranoïa et humour. Curieux de découvrir d'autres œuvres de l'auteur
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Le Puits (Iván Repila-2013)

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Roman métaphorique où la contrainte est celle d'imaginer un récit dans lequel deux enfants sont coincés au fond d'un puits, sans qu'on sache comment ils sont arrivés là ni si ils ont une chance de s'en sortir. Dans ce conte volontiers sombre, violent et cruel, l'auteur ne se gène pas pour élever la parole de ses personnages à un degré poétique et philosophique presque délirant compte tenu de leur âge. Ce qui fait du roman moins un livre de survie qu'une tentative (pas si humble) de faire du Beckett. Déçu mais tellement rapide à lire qu'il vaut tout de même le coup d'y jeter un oeil (le livre a eu un joli bouche à oreille).

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La Clé USB - Jean-Philippe Toussaint

Excellent roman de la rentrée, quasi parfait dans son exécution. Toussaint mêle le thriller (technologique), l'exploration d'un métier (commissaire européen) et le drame personnelle dans une atmosphère tenant à la fois du roman noir et des albums de Tintin. Mine de rien, et sans parler du dernier tiers, le récit bascule régulièrement d'un univers à l'autre, change les perceptions et ouvre l'espace du livre de façon très ambitieuse... tout ceci en restant de près le perso principal et avec une économie intelligente des mots.

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Le Ghetto intérieur - Santiago H. Amigorena

Amigorena : scénariste de pas mal de klapisch, ex de Binoche et Julie Gayet...bon.
Réflexion sur l'exil et sur l'impuissance assez poussive qui convoque des images très stéréotypées. Ici il est question d'un immigré polonais en Argentine dont la mère, restée à Varsovie, subit la répression des juifs par l'Allemagne nazie pendant la deuxième guerre. Face à cela, ce personnage, grand-père de l'écrivain, se mure dans le silence. Amigorena n'a pas le talent suffisant pour faire de cette histoire "statique" un livre suffisamment rythmé ou intéressant. Subsiste juste l'impression d'une longue plainte affecté.
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poet77
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Message par poet77 »

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Tout en lisant ce roman, je songeais par moments au Mouchard (The Informer), un film de 1935 dans lequel John Ford mettait tout son talent de réalisateur pour décrire comment un ex-membre de l’IRA en venait à dénoncer l’un de ses frères d’armes afin de toucher une prime. Pauvre et affamé, il n’imaginait pas d’autre moyen pour améliorer sa vie ainsi que celle de sa fiancée.
Dans le roman de Sorj Chalandon, paru en 2011, l’action se déroule bien des années plus tard, tout particulièrement au cours du mandat de Premier Ministre de Margaret Thatcher (1979-1990), mais dans le même contexte de guerre civile qui a ensanglanté l’Irlande pendant une longue période. Bien qu’il ne soit nullement irlandais, il est impressionnant de découvrir avec quelle justesse l’auteur a su décrypter la complexité des affrontements entre les membres de l’IRA et l’armée britannique, sans jamais s’abaisser à la rédaction d’un simple pamphlet manichéen.
Cette question, déjà abordée par l’auteur dans un roman intitulé Mon Traître (2008), il la reprend en donnant la parole à Tyrone Meehan, celui-là même qui, après s’être engagé dans les rangs des combattants de l’IRA, finit par trahir ses frères d’armes. Comme dans le film de John Ford ? Pas tout à fait, car les motivations du personnage du roman sont différentes et beaucoup plus complexes que celles du personnage du film (ce qui n’enlève rien à la valeur de ce dernier). Sorj Chalandon, lui, s’emploie à retracer tout un itinéraire de vie, depuis l’enfance de Tyrone Meehan, lorsqu’il n’était qu’un gamin pauvre dont le père sombrait volontiers dans l’alcool.
Une fois devenu un jeune homme, c’est sans hésitation qu’il s’engage dans l’IRA afin de lutter contre l’occupation britannique en Irlande du Nord. La haine est à son comble et, dans les deux camps, on n’a pas de scrupules à user de méthodes violentes, cruelles, barbares. C’est précisément cette réalité qui rattrape Tyrone Meehan lorsque, arrêté, il doit séjourner en prison et découvre les terribles réalités des incarcérations. Et, avec l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, la tension monte d’un cran. On connaît l’intransigeance de celle-ci. Et l’on se souvient de ce qui s’est passé, si l’on était soi-même de ce monde à cette époque-là. Qui n’a pas gardé en tête l’image de Bobby Sands, enfermé dans une cellule dont les murs étaient enduits de ses excréments, en signe de protestation parce que le gouvernement britannique refusait de les considérer, lui et ses compagnons, en tant que prisonniers politiques ? Plus tard, les détenus se résolvent à faire la grève de la faim. Sorj Chalandon égrène alors la terrible litanie des noms des jeunes gens emprisonnés, morts au bout d’une soixantaine de jours sans rien ni boire ni manger. À cela, il faut ajouter tous ceux qui meurent au cours d’opérations violentes, attentats ou autres.
C’est cette réalité, si effroyable, si insupportable, qui conduit à la trahison le personnage du roman. D’une certaine façon, à ses yeux en tout cas, et même s’il sait qu’il devra un jour ou l’autre, le payer de sa propre vie, il ne trahit pas contre l’Irlande, mais pour l’Irlande, pour que cesse la litanie des morts, pour que, même fragile, la paix soit établie dans ce pays. « En trahissant mon camp, dit-il, je le protégeais. En trahissant l’IRA, je la préservais ». Ce grand roman, rédigé comme si l’auteur avait lui-même traversé toutes les épreuves de son personnage, permet non seulement de mieux comprendre la réalité du conflit entre Irlandais et Britanniques, mais il propose aussi un autre regard sur la figure du traître. Est-ce toujours méprisable que de trahir ? La question est posée. 8,5/10
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poet77
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Message par poet77 »

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Si Bernard Malamud (1914-1986) est loin d’être le plus connu des écrivains juifs américains du XXème siècle, il n’est pas pour autant le moins talentueux, comme je l’indiquais déjà, en 2015, lorsque je rendais compte de ma lecture de L’homme de Kiev. Les éditions Rivages ayant entrepris de rééditer l’ensemble des romans de cet auteur, nous pouvons vérifier, au fur et à mesure des parutions, que nous avons bel et bien affaire à un romancier majeur.
Ce n’est certes pas la lecture du Commis qui pourra démentir cette conviction car, à nouveau, c’est d’une œuvre en tout point remarquable qu’il s’agit. Elle semble pourtant beaucoup moins ambitieuse que L’homme de Kiev, puisque toute l’action s’y déroule dans une petite épicerie de Brooklyn. On ne peut pas concevoir espace plus étriqué. C’est là que vit, ou plutôt que végète, Morris, juif pieux et homme intègre, aux côtés de sa femme Ida et de sa fille Helen. Or, non seulement son magasin ne marche pas très fort, mais il risque de péricliter encore davantage du fait de l’ouverture d’un concurrent non loin de chez lui.
Et voilà que, pour couronner le tout, l’épicerie de Morris est braquée par deux hommes masqués qui s’emparent du peu qu’ils y trouvent tout en blessant le marchand. L’un des deux agresseurs, on l’apprend rapidement, se prénomme Frank, il est goy, et ne tarde pas à être pris de remords, à tel point qu’il se présente à l’épicerie, non pour se dénoncer, mais pour rendre service à l’homme à qui il a nui. Morris accepte son aide et, de fil en aiguille, comme il perçoit que ce secours n’est pas négligeable, il finit par accepter de l’engager en tant que commis.
L’ironie de l’histoire, c’est que, grâce à Frank, la petite épicerie qui déclinait au point qu’on en envisageait la fermeture se met à attirer de plus en plus de clients. D’où, bien évidemment, des recettes en nette augmentation. Mais tout ne s’arrête pas là. La présence du commis n’est anodine pour personne. Morris est content que ses affaires reprennent, mais le doute et l’embarras s’invitent bientôt dans son esprit. D’une part, en effet, l’épicier se demande si Frank ne profite pas de sa situation et de son succès pour effectuer des petits larcins. D’autre part, il se noue entre Frank et Helen une relation de séduction qui déplaît énormément à Ida tout en importunant également Morris.
Les personnages du roman sont à la fois simples et complexes. Tous sont comme écartelés entre deux résolutions qui s’opposent. Frank a sauvé, au moins momentanément, le magasin, mais sa présence n’en provoque pas moins des dérangements chez chacun des membres de la maisonnée, y compris chez Helen qui, après avoir été séduite par le commis, en vient à reprendre ses esprits, si l’on peut dire. Quant à Frank lui-même, c’est le personnage le plus étonnant du livre. Il est animé, sans aucun doute, par un repentir sincère et il a vraiment l’intention de réparer le mal qu’il a commis le jour où, avec un complice, il a braqué l’épicier. Dans le même temps, il ne peut s’empêcher de continuer à dérober un peu d’argent dans la recette du magasin. Il est également follement épris d’Helen tout en comprenant, passé les premières illusions, que son amour est sans espoir. Et, même quand il essuie des rebuffades, il persévère dans sa volonté de réparation. Et puis, au contact de Morris, il s’interroge de plus en plus sur ce que veut dire « être juif », ce qui conduit le roman vers une conclusion étonnante et très belle. Elle parachève un roman dont on peut affirmer, sans risque de se tromper, qu’il s’agit d’un chef d’œuvre. 9/10
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Message par Ouf Je Respire »

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Les Choses, de Georges Perec.

Je n'ai pas fini de le lire (il m'en reste un quart). Mais j'ai cette impression que je peux déjà me faire une idée de ce livre.
Il est magistralement écrit, le mot juste au bon moment, complexe juste ce qu'il faut pour se sentir intelligent, voire révélé à sa propre condition. Perec nous fait nous sentir sociologues.
Il est terriblement actuel. Hormis le chapitre dédié à l'Algérie, on pourrait dupliquer le constat que Perec fait de notre société et du conditionnement du bonheur par la société du marché et du besoin. On pourrait dire de ce livre qu'il est lucide et frappé par le sceau sociologique, et ce serait parfait, et Perec serait le prophète de nos temps modernes.
Sauf que.
Il y a un problème. Pas deux. "Un". Il arrive, au fil des pages et même assez tôt dans l'ouvrage, que Perec utilise le mot "minable" quant aux choix que les protagonsites croient faire pour sortir de leur condition et se croire plus heureux "après". Et là, mon intérêt s'est décroché des lignes que je lisais. Perec ne constate plus et n'établit plus de liens de causalité entre les faits qu'il amasse: il juge. Il n'est plus sociologue, mais endosse le regard un peu condescendant de l'entomologiste qui a plus conscience que les insectes qu'il observe de leur condition.
Pour la première fois, je suis confronté à un livre qui me fait me sentir "minable", mais que je vais finir quand même. Perec a raison sur tout. Il a eu beau jeu de dire que son livre n'est pas une critique des modes de vie français à l'orée de la société de consommation. Le terme "minable", je l'ai ressenti comme une étiquette qu'il me colle en pleine tronche, et qui aurait pu me sentir honteux si je l'avais lu il y a 15 ans (désormais, je suis assez vieux pour assumer d'être con).
Voilà. :|

Edit: j'ai fini de le lire. La partie "tunisienne" confirme mon constat: brillant par le style et l'analyse, cafardeux sur le sens.
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poet77
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Message par poet77 »

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Francisco Coloane reste bien moins connu chez nous que les écrivains auxquels il est souvent comparé : Herman Melville, Joseph Conrad ou Jack London. Comme ces derniers, c’est dans sa propre existence, pleine de voyages et d’aventures, qu’il a puisé de quoi écrire des nouvelles et des romans. Chez lui, au Chili, il est considéré, à juste titre, comme un génie de la littérature au point que son œuvre sert de référence. Elle est abondamment commentée, lue avec gourmandise, étudiée dans les écoles.
Né le 19 juillet 1910 à Quemchi, un petit port de pêche de l’île de Chiloé au Chili, mort à Santiago le 5 août 2002, Francisco Coloane n’avait que 9 ans lorsqu’il perdit son père, qui travaillait comme capitaine baleinier. Bientôt, sa mère l’emmène à l’extrême sud du pays, à Punta Arenas. Ce premier voyage sera suivi de beaucoup d’autres puisque, sa mère étant décédée, le jeune Francisco se voit contraint d’abandonner ses études à l’âge de 17 ans, alors qu’il avait déjà écrit et fait publier une nouvelle, afin de trouver un travail. En vérité, c’est une suite d’emplois divers qu’il s’apprête à exercer, devenant, tour à tour, éleveur de moutons, dresseur de chevaux, ouvrier agricole et baleinier, comme le fut son père. Au cours de ses déplacements, il multiplie les expériences et les rencontres. Il a l’occasion de côtoyer des aventuriers de toutes sortes, marins, chasseurs de phoques, chercheurs d’or, contrebandiers, etc., mais aussi d’approcher les tribus autochtones dont il sera, dès lors, un ardent défenseur. Plus tard, au début des années 30, tandis qu’il travaille comme journaliste à Santiago, il se marie, mais pour devenir veuf trois ans plus tard, alors qu’il est père d’un garçon. Il continue néanmoins d’exercer divers métiers et se lie avec d’autres écrivains, dont Pablo Neruda. C’est la parution, en 1941, du Dernier Mousse, roman couronné d’un prix littéraire, qui le fait accéder à la notoriété. Ce livre sera suivi de plusieurs autres récits d’aventures, tout aussi captivants.
Si l’on veut découvrir l’œuvre de ce romancier, on ne peut choisir de meilleure porte d’entrée, semble-t-il, que Le Dernier Mousse. La lecture de ce court roman (il fait un peu plus d’une centaine de pages) impressionne. L’art de Francisco Coloane, c’est, précisément, de raconter une histoire riche en événements avec une grande économie de moyens, sans s’encombrer ni des digressions ni des développements ou des explications interminables que tant d’écrivains se croient tenus de rédiger. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer Le Dernier Mousse à Moby Dick, le fameux roman d’Herman Melville. Francisco Coloane, lui aussi, parle de baleines, mais il n’éprouve pas le besoin de saturer le lecteur avec des considérations sur les différentes espèces de cétacés ou les différentes méthodes de chasse. Chez le romancier chilien, tout est dit ou suggéré au moyen de quelques phrases et cela suffit. Le lecteur comprend parfaitement de quoi il est question. Et il en est de même tout au long du récit. Lorsqu’il est question de deux tribus d’Indiens de l’extrême sud du Chili, par exemple, Coloane n’a besoin que de quelques phrases pour faire comprendre qui sont ces gens, d’où ils viennent, ce qu’ils ont subi et combien leurs conditions de vie sont compliquées.
Tout cela est évoqué sur fond d’une grande aventure, celle d’Alejandro, un garçon de quinze ans qui s’est embarqué sur la corvette Général Baquedano, un navire comportant 300 hommes d’équipage et qui doit effectuer son dernier voyage jusqu’aux confins du cap Horn. À son retour, il sera désarmé et mis au rebut. Alejandro, qui rêve d’être accepté comme mousse, a pour but premier de retrouver son frère aîné, parti avant lui pour ces contrées lointaines du sud chilien et n’ayant plus jamais donné de ses nouvelles. Rapidement repéré au fin fond d’une soute où il a dû lutter contre d’énormes rats, le garçon ne tarde pas à être adopté par l’équipage. Commence alors sa formation de mousse et ses aventures, la découverte des baleines, mais aussi des dangereux icebergs, les tempêtes, l’escale à Punta Arenas, puis le voisinage des Indiens. Contrairement à Joseph Conrad qui, dans ses récits, privilégiait les destinées d’hommes solitaires, Coloane raconte la solidarité. Elle si grande, si importante, sur un navire de guerre, que, lorsque, au cours d’une tempête, un des mousses est emporté par une vague et disparaît dans les flots en furie, tout le monde en est durement affecté.
Cette vie de marin, le grand écrivain chilien la raconte avec sobriété et efficacité. Son récit, publié en 1941, garde aujourd’hui toute sa puissance, toute son évidence, toute sa beauté. Les chiliens ont mille fois raison d’en avoir fait un de leurs livres de chevet. 9/10
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hellrick
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Message par hellrick »

NOTRE DAME AUX ECAILLES
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Ecrites à la première personne, ces douze nouvelles, très personnelles, imposent un fantastique discret et délicat, loin des normes tapageuses de bien des récits courts.
Nous explorons par exemple deux villes hantées, Venise (« La cité travestie ») et New Orleans (« Mardi-gras ») qui, derrière leurs vitrines attrayantes de piège à touristes, cachent de sombres secrets. Après lecture, on regarde différemment la Cité des Doges, ville vivante vengeresse pétrie de légendes aquatiques. Par comparaison, New Orleans semble plus attrayante malgré ses blessures puisqu’elle revit après le passage de Katrina et se pare une fois de plus des atours du Carnaval. « Rien n’annule Mardi Gras »
Dans « En forme de dragon » nous assistons au pouvoir de création par la musique d’une jeune fille décidée à donner corps à son imagination après l’effacement des dessins de son paternel. Où l’intrusion du merveilleux au cœur de l’existence routinière.
« Langage de peau » se fait délicat et sensuel pour décrire la relation physique qui s’établit entre deux loups-garous. Autre récit sensuel, pour ne pas dire érotique, « la danse au bord du fleuve » convie la narratrice à assister aux ébats d’une nouvelle amie avec les eaux d’un fleuve.
L’excellente « Noces d’écumes » revisite, elle, le thème lovecraftien de l’individu irrémédiablement attiré par les flots océaniques (et ce qui s’y cache) au point de délaisser sa jeune épouse.
La nouvelle qui donne son titre au recueil célèbre, pour sa part, la relation entre une jeune cancéreuse et une statue guérisseuse. Très réussie (lauréate du Prix Masterton), tout comme « Fantôme d’épingles » et sa poupée de chiffon absorbant la douleur d’une jeune femme après chaque deuils. Citons encore « Le nœud cajun » qui mêle vaudou et boucle temporelle ou les multiples hantises de la « Villa Rosalie », sans oublier ce « Train de nuit » accueillant les désespérés pour les emmener vers…ailleurs.
Objet recelant une part de magie, hantise, malédiction, train fantôme, lycanthropes, épousailles contre nature, vaudou, piège temporelle,…Mélanie Fazi revisite les thèmes classiques du fantastique mais d’une manière totalement personnelle et originale. A chaque fois, son écriture impeccablement ciselée fait mouche, avec une grande économie de mots (pas une ligne de trop alors que l’époque est aux romans fleuves interminables) et d’effets (pas de « jump scare », même littéraires). Si le lecteur a bien sûr le droit de préférer l’une ou l’autre de ces nouvelles, toutes sont réussies et brillantes, sans déchet, sans texte faible.
Du grand art.




http://hellrick.over-blog.com/2019/12/n ... -fazi.html
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

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Message par poet77 »

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« Ludwig van Beethoven naquit le 16 décembre 1770 à Bonn, près de Cologne, dans une misérable soupente d’une pauvre maison », écrit Romain Rolland. Dès sa venue au monde, semble peser sur celui qui, avec Mozart, est devenu le compositeur le plus célèbre de tous les temps, comme une chape de désolation qui ne l’a quasiment jamais quitté. En cette année, où nous commémorons le 250ème anniversaire de sa naissance, découvrons, redécouvrons ce génie de la musique dont nous ne connaissons peut-être que les compositions les plus célèbres. Mais, pour peu que nous soyons suffisamment curieux, nous ne finirons jamais ni de sonder l’âme de cet homme ni de nous émerveiller des œuvres qu’il nous a léguées.
Pour ce faire, pour renouveler notre écoute, éduquer notre oreille, ouvrir notre cœur, il peut être très profitable d’en savoir davantage sur la vie du compositeur ou, au moins, d’en avoir un aperçu. Ce n’est pas le cas de tous les musiciens, mais Beethoven (tout comme Robert Schumann, par exemple) fait partie de ceux dont les œuvres et la vie sont étroitement intriquées. Ni les articles ni les ouvrages ne manquent, bien évidemment, mais il en est beaucoup de très savants qui ne sont à la portée que des musicologues accomplis. Il existe aussi, fort heureusement, des livres plus simples, plus accessibles au grand public, et qui s’avèrent bien suffisants pour une première approche. Parmi ceux-ci, l’on peut distinguer l’opuscule qu’écrivit Romain Rolland en 1903, opuscule qui fut édité par Charles Péguy dans ses Cahiers de la Quinzaine et qui, à la surprise et de l’auteur et de l’éditeur, connut un important succès. Il vient d’être opportunément réédité par les éditions Bartillat.
Il faut croire que le petit ouvrage répondait à une attente, à un appétit de connaissances, à une curiosité très saine. Romain Rolland avait imaginé cette Vie de Beethoven comme le premier volet d’une série d’ouvrages consacrés aux hommes illustres. Il voulait, ce faisant, proposer des exemples d’héroïcité. Mais attention, il ne s’agissait pas de n’importe quelle héroïcité : « Je n’appelle pas héros, écrivait-il dans sa préface de 1903, ceux qui ont triomphé par la pensée ou par la force. J’appelle héros seuls, ceux qui furent grands par le cœur. » Rolland conçoit ce livre comme une sorte d’antidote au nietzschéisme qui remportait alors un franc succès. Il s’agissait, en vérité, d’un nietzschéisme assez caricatural, mais peu importe. Pour Romain Rolland, la grandeur de Beethoven s’oppose radicalement au nihilisme « surhumain », puisqu’elle se traduit, comme l’explique très bien Jean Lacoste dans sa passionnante préface, par « une expérience positive, créatrice, celle de la Joie. »
Voilà ce qui fait de Beethoven un héros ! Pourtant sa vie, telle que la raconte Romain Rolland, n’est qu’une suite de déboires, d’épreuves, de souffrances, presque ininterrompue. Dès sa jeunesse, à Bonn, ville dont il gardera cependant toujours un précieux souvenir (tout comme il préférera toujours le Rhin au Danube), il doit subir l’emprise d’un père ivrogne qui ne cherche qu’à exploiter ses dispositions musicales. À cela s’ajoute le décès de sa mère en 1787. Mais, bien sûr, c’est à Vienne qu’il se fixe dès 1792, ville qu’il ne quitte plus, même si, comme ce fut le cas pour bien d’autres compositeurs, la capitale autrichienne se montre très ingrate à son égard.
Dès ce moment-là, entre 1796 et 1800, la surdité commence ses ravages. Une telle infirmité est une épreuve terrible pour n’importe qui, elle complique considérablement la communication avec autrui, elle isole. Mais quand on est compositeur ! Dans une lettre à Wegeler, un de ses amis, Beethoven s’exprime à ce sujet : « … Je mène une vie misérable. Depuis deux ans, j’évite toutes les sociétés, parce qu’il ne m’est pas possible de causer avec les gens ; je suis sourd. » Or la surdité, aussi redoutable soit-elle, n’est pas le seul motif d’affliction de Beethoven. Sur le plan sentimental, lui qui se fait une haute idée de l’amour, lui qui déteste les propos grivois, mais lui qui s’enflamme rapidement pour les personnes de sexe féminin qu’il rencontre, ne connaît que des déconvenues. Deux femmes sont particulièrement chères à son cœur : Giulietta Guicciardi qui, en fin de compte, préfère épouser un autre homme, ce qui provoque une profonde crise de désespoir chez Beethoven, au point qu’il est tenté par le suicide ; et Thérèse de Brunswick, avec qui il se fiance en 1806, mais avec qui, pour des raisons qui demeurent mystérieuses, le mariage s’avère impossible.
D’autres adversités encore accablent Beethoven : son neveu, pour qui il se dévoue sans compter, mais qui se montre très indigne d’une telle confiance ; et d’incessants soucis d’argent car, même s’il y a une période de sa vie où il est aidé par de riches mécènes, le compositeur n’est jamais rémunéré à sa juste valeur. Même la 9ème symphonie, qui remporte, dès sa création, un franc succès, ne lui rapporte rien sur le plan pécunier.
Venons-en justement, pour finir, à cette fameuse symphonie et à son Hymne à la Joie, jaillissement inattendu de voix chantant le poème de Schiller. Personne encore n’avait eu cette audace de faire intervenir des voix solistes et un chœur au terme d’une œuvre symphonique. Beethoven, lui, y songe depuis longtemps avant de s’y résoudre enfin. Tout l’opuscule de Romain Rolland culmine dans cet événement sur lequel l’écrivain s’étend longuement. Car elle est là, l’héroïcité de Beethoven : du fond d’un abîme de tristesse, parvenir à célébrer la Joie. Pas n’importe quelle Joie, qui plus est : comme le fait, très justement, remarquer Romain Rolland, il y a un silence juste avant l’apparition du thème de la Joie dans la symphonie, comme pour signifier que la Joie descend du ciel. Elle est un cadeau offert à une humanité souffrante : « Toute une humanité frémissante, écrit Romain Rolland, tend les bras au ciel, pousse des clameurs puissantes, s’élance vers la Joie, et l’étreint sur son cœur. » La grandeur, l’une des grandeurs en tout cas, de Beethoven, c’est d’avoir puisé au tréfonds de son cœur ce trésor insoupçonné, imprévu. « Un malheureux, écrit Romain Rolland, pauvre, infirme, solitaire, la douleur faite homme, à qui le monde refuse la joie, crée la Joie lui-même pour la donner au monde. » Comment mieux dire les choses et comment mieux inviter à découvrir ou redécouvrir l’homme Beethoven et ses œuvres ?
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Vers la fin de ce roman, à la page 240 de l’édition J’ai lu, Augustin, son narrateur, après avoir lu une lettre que lui a envoyée sa fille Coline lui expliquant qu’elle commence à comprendre les raisons de son séjour en Allemagne du Nord, dans le Schleswig-Holstein, lui répond mentalement que, pour bien faire, pour parvenir à partager tout ce qui lui arrive, il lui faudrait écrire tout un livre. Or ce livre, c’est précisément celui qui a pour titre Échapper. Il est là, entre nos mains, nous le goûtons, nous le savourons, car c’est un admirable roman, une merveille de littérature, un récit simple et beau qui, dès les premières pages, va droit jusqu’au cœur.
Nous savons, nous les lecteurs, qu’Augustin, qui est probablement l’alter ego de Lionel Duroy, l’auteur du roman, est allé vivre à Husum, dans le Schleswig-Holstein, pour tâcher de se guérir de sa rupture d’avec Esther, femme avec qui il a vécu pendant une vingtaine d’années. Mais le but du voyage est double. Si Augustin s’est décidé à quitter la France pour l’Allemagne, c’est aussi, et peut-être surtout, pour retrouver les lieux qui ont inspiré l’écrivain allemand Siegfried Lenz (1926-2014) pour son roman intitulé La Leçon d’allemand. Publié en 1968, ce livre raconte l’histoire d’un peintre, Max Ludwig Nansen, à qui, durant la période nazie, il a été notifié une interdiction de peindre. Trop occupé par ses nombreuses tâches, le policier en charge de la surveillance, qui, quoi qu’ayant noué une amitié avec le peintre, considère que son devoir l’emporte sur ses sentiments, donne mission à son fils, le jeune Siggi, qui aime passer son temps dans l’atelier de l’artiste, de veiller à la stricte application de l’injonction. Or Siggi, plutôt que d’obéir à son père, se fait le complice du peintre, celui-ci persistant à exercer son art tout en ne réalisant que des œuvres de petites tailles qu’il peut facilement dissimuler.
Le contexte tragique ou oppressant du roman de Lenz ne rebute pas Augustin, au contraire. Il se trouve si bien dans ce livre, il s’attache si fort aux personnages qu’il a le souhait d’habiter, en quelque sorte, dans le roman et, éventuellement, de lui donner une suite. Il le dit clairement au début d’Échapper, il se sent si bien dans le roman de Lenz qu’il voudrait y trouver refuge. Il part donc sur les traces des lieux décrits dans La Leçon d’allemand, en particulier la maison aux quatre cents fenêtres qu’est censé habiter le peintre. Est-elle réelle, cette maison, ou a-t-elle été imaginé par Lenz ?
En vérité, alors qu’il était parti pour vivre dans un roman, Augustin est rattrapé, si l’on peut dire, par la vie réelle. D’abord parce que sa quête le conduit sur les traces d’un peintre qui, lui, a réellement existé et dont le romancier Siegfried Lenz s’est inspiré pour son livre. Ce peintre, c’est Emil Nolde (1867-1956), qui vécut, en effet, dans cette région du Schleswig-Holstein, et que les nazis considérèrent comme un peintre dégénéré, bannissant dès lors ses œuvres des musées et lui interdisant de peindre. Les recherches d’Augustin le conduisent donc de plus en plus sur les traces de Nolde, plutôt que sur celles de Nansen, le peintre fictif. Car, si Lenz s’est appuyé sur l’histoire réelle de Nolde, il l’a, bien évidemment, réinventée pour les besoins de son roman. Augustin, qui, comme il le dit à sa logeuse, veut retrouver « un endroit [qu’il] a découvert dans un livre et [qu’il] rêve d’habiter », découvre, en vérité, une histoire à la fois semblable et différente. Emil Nolde diffère beaucoup de Max Ludwig Nansen, y compris dans l’attitude adoptée par rapport aux nazis. Si Nansen, dans le roman, se paie le luxe de les traiter d’idiots, Nolde, lui, préfère tenter de les fléchir ou de les amadouer. Pour Augustin, qui cogite beaucoup sur ces questions, le jugement ne va pas de soi : Nolde lui apparaît comme un mendiant et, dit-il, « je ne jetterai jamais la pierre à ce mendiant-là. » Et que faut-il penser du peintre qui, à la fin de sa vie, après la mort de sa femme, de sa fidèle compagne, ne s’en résout pas moins à épouser Jolanthe Erdmann, le 22 février 1948, alors qu’il a l’âge d’être son grand-père, voire même son arrière-grand-père ?
Or, tandis qu’Augustin s’interroge, sans le juger, à propos du peintre Emil Nolde, lui-même s’engage dans une histoire sentimentale avec Susanne, une femme qu’il a rencontrée, dont il sait qu’elle est mariée, mais qui l’a aussitôt séduit par sa beauté et sa tendre présence. Susanne elle-même, tout en se donnant à Augustin sans en éprouver de remords, affirme qu’elle n’en reste pas moins attachée à son mari et qu’il n’est donc pas question de le quitter. Peut-on aimer deux hommes à la fois ? Pas question de jugement, encore moins de condamnation. Augustin/Lionel Duroy écrit les pages les plus belles, les plus touchantes, sur cet amour qui, s’il doit demeurer secret, trouve sa force et son épanouissement dans l’acte de créer. Peindre et faire l’amour, écrire un roman et faire l’amour… « Quand je n’écris pas, dit Augustin à Susanne, il me semble que la vie continue sans moi, que je la regarde passer sur le fleuve depuis la berge. Il n’y a qu’en écrivant que je parviens à l’attraper, que je la fais exister… alors aussitôt surgit le désir. De manger, de faire l’amour. Je ne sais pas comment font les gens qui n’écrivent pas. » (page 250). 9,5/10
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Daniel Mendelsohn est écrivain (on lui doit, entre autres, Les Disparus, paru en 2006, ouvrage rendant compte de l’enquête, menée par l’auteur, au sujet d’une famille juive de Pologne exterminée par les nazis) et il est professeur de lettres classiques à Bard College (USA). Dans ce nouveau livre, édité en 2017, son talent d’écrivain et son métier d’enseignant à l’université s’associent sous la forme d’un compte-rendu de séminaire. Tout l’ouvrage, en effet, s’articule autour du séminaire de licence qu’il dirigea sur L’Odyssée d’Homère. Or ce qui pourrait être une œuvre à bâiller d’ennui, trop érudite, trop savante, pour le commun des lecteurs, se révèle, au contraire, dès les premières pages, comme un récit des plus passionnants et des plus palpitants, rédigé avec une intelligence et une adresse qui laissent pantois.
Il faut dire qu’à ce séminaire participaient des étudiants souvent avisés, capables de dérouter leur professeur au moyen de remarques inattendues, ce qui donne au texte de Mendelsohn un entrain hautement agréable. Les interrogations, les suggestions, les observations ne manquent pas, et elles sont souvent pertinentes. L’histoire d’Ulysse, que nous nous imaginons connaître sur le bout des doigts, nous autres lecteurs, réserve de multiples surprises, de multiples niveaux de lecture, de multiples interprétations. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises ni de nos découvertes. Bien sûr, les propos de l’auteur sont imprégnés de beaucoup d’érudition, mais ce n’est jamais fastidieux, au contraire. Nous sommes comme les étudiants de Mendelsohn, nous nous laissons subjuguer, interroger et surprendre par le récit composé par Homère, et c’est, bien évidemment, passionnant.
Cela suffirait amplement à nous captiver, mais le livre s’enrichit considérablement du fait de la présence d’un des étudiants du séminaire, un étudiant qui n’est autre que Jay Mendelsohn, le propre père du professeur. Alors âgé de 81 ans, celui-ci a en effet souhaité participer au séminaire dirigé par son fils. Ce vieil homme au milieu d’étudiants qui ont tous l’âge d’être ses petits-enfants, voilà qui n’est pas banal. Et, en effet, sa présence ne passe pas inaperçue, d’autant plus qu’il intervient volontiers, chaque fois qu’il peut, en se plaisant malignement à dénigrer, presque systématiquement, le personnage pivot de l’épopée. Pour Jay Mendelsohn, non, décidément, Ulysse n’a rien d’un héros. Un homme qui perd tous ses compagnons au cours de son périple, qui se met à pleurer à la moindre occasion, qui ne peut aboutir à rien sans le secours des dieux, vous parlez d’un héros !
L’un des aspects importants de L’Odyssée, que l’on a tendance à occulter, tant on est obnubilé par les aventures d’Ulysse avec le cyclope et autres aventures prestigieuses, concerne la quête menée par le fils de celui-ci, Télémaque. Sait-on que les premiers chants de l’ouvrage sont entièrement consacrés à ce dernier ? Or Télémaque part à la recherche de son père sans vraiment le connaître, puisque, quand Ulysse a quitté Ithaque pour participer à la guerre de Troie, il n’était qu’un nouveau-né.
L’Odyssée se présente donc, entre autres, comme la recherche, par Télémaque, d’un père méconnu, voire inconnu, qu’il lui faut donc découvrir, quand, enfin, Ulysse étant de retour chez lui, a lieu la rencontre des deux hommes. Daniel Mendelsohn tire parti de ce fait pour indiquer comment, lui aussi, à l’occasion de son séminaire et à la suite de celui-ci, a découvert ou redécouvert son propre père. Bien sûr, la similarité avec Télémaque n’est que partielle. Daniel Mendelsohn, lui, a de nombreux souvenirs de son père, homme rigide, méticuleux, esprit scientifique, rationaliste, qui ne se console pas de n’être jamais allé jusqu’au bout de certaines de ses entreprises, par exemple de son apprentissage du latin. Or sa participation au séminaire sur L’Odyssée, ainsi qu’une croisière que firent de concert le père et le fils, croisière sur les traces d’Ulysse, sont l’occasion de changements de regards. C’est en cela que le livre de Daniel Mendelsohn est le plus émouvant. Car, la vérité, c’est qu’on ne connaît jamais vraiment l’autre, même quand il s’agit de son père. « Combien de visages avait mon père, au fond, me demandai-je ; et lequel était le vrai ? », écrit Daniel Mendelsohn (page 242). Et, plus loin, à la fin de l’ouvrage (page 460) : « Un père fait son fils, avec sa chair et son esprit, puis il le façonne avec ses ambitions et ses rêves, avec sa cruauté et ses échecs, aussi. Mais un fils, même s’il est le fils de son père, ne peut jamais connaître totalement son père, parce que le père le précède ; le père a déjà vécu tellement plus que le fils, que le fils ne pourra jamais rattraper son retard, jamais tout savoir sur lui. » Il y a de quoi s’interroger indéfiniment. Daniel Mendelsohn, qui prenait son père pour un homme uniformément rigide et tellement rigoureux qu’il en était froid et distant, n’en revient pas quand, à l’issue du séminaire, il reçoit des messages des étudiants qui y ont participé et qui, tous, se félicitent de la présence du père de leur professeur, un homme avec qui ils affirment avoir eu des échanges très fructueux ! Daniel Mendelsohn ressemble bel et bien à Télémaque, en fin de compte : il se laisse surprendre par la découverte d’un père dont il ne connaissait que peu de choses. 10/10
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Vernon Subutex - Virginie Despentes
trois tomes et un foisonnement tel de personnages que l'on renonce vite à tous les retenir, et que l'on admire la dextérité de l'auteure qui parvient à entremêler tant de fils narratifs. Malgré une fin assez décevante, le roman saisi bien l'esprit du temps à Paris, avant et après les attentats, à travers l'errance d'un ancien discaire devenu sdf et du petit monde qui se forme autour de lui. C'est aussi une belle déclaration d'amour à la musique.

L.A. Bibliothèque - Susan Orlean
Je l'ai malheureusement lu en français, et le style de la traductrice n'a rien de fluide (bref, en français, c'est plutôt mal écrit). En revanche, on y apprend tout ce qu'il y a savoir sur le monde fascinant des bibliothèques publique, entre enquête historique et récit de rencontre avec les personnels. Bossant dans ce domaine, je peux assurer que l'auteure saisit parfaitement les enjeux insoupçonnés de ces institutions culturelles.
L'enquête sur le présumé pyromane (et assurément mythomane) de la bibliothèque de Los Angeles est également très prenante, tant les actes du personnage (bien réel) semblent échapper à toute logique.
Chaque chapitre est introduite par une bibliographie mi sérieuse, mi-poétique, de livres renvoyant au sujet du chapitre en question.
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Raconter l’existentialisme et tous les méandres des systèmes philosophiques ayant été construits au XXème siècle en prenant appui sur les vies à rebondissement de celles et ceux qui en furent les fers de lance, en proposer le récit sans jamais affadir le propos, sans contourner les complexités des diverses philosophies, et cependant rédiger un ouvrage qu’on peut lire presque comme un roman d’aventures, telle est la gageure brillamment relevée par Sarah Bakewell. Même si l’on n’est pas féru de philosophie, même si l’on a toujours eu les plus grandes difficultés à décrypter, autant que faire se peut, le jargon dont usent ceux qui se sont illustrés dans ce domaine, et je dois préciser que je fais partie de ceux-là, on peut se prendre de passion pour les vies et les pensées étroitement entremêlées des différents actrices et acteurs de la pensée philosophique au XXème siècle. Le livre de Sarah Bakewell donne à vibrer, à s’interroger, à réviser ses idées toutes faites, à s’enthousiasmer ou à s’effrayer, en tout cas à penser.
Les différentes figures de proue de la réflexion philosophique, nous en connaissons plus ou moins les noms, je suppose. Deux d’entre eux sont au cœur de l’ouvrage, comme ils furent de leur vivant au cœur des débats de la philosophie. L’un est allemand, Martin Heidegger (1889-1976), l’autre français, Jean-Paul Sartre (1905-1980). Autour d’eux, ou, en tout cas, en résonance avec eux, gravitent de nombreuses autres personnalités : Edmund Husserl (1859-1938), Hannah Arendt (1906-1975), Raymond Aron (1905-1983), Simone de Beauvoir (1908-1986), Albert Camus (1913-1960), Karl Jaspers (1883-1969), Emmanuel Levinas (1906-1995), Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) et bien d’autres encore.
Or les débats entre ces diverses personnes ne cessent jamais tout au long d’un siècle marqué par deux guerres mondiales et de nombreux autres événements. Car ce qu’il faut remarquer, au fil de la lecture du livre de Sarah Bakewell, c’est que, faisant fi du cliché selon lequel les philosophes ne demandent rien mieux que rester enfermés dans leur tour d’ivoire, ceux dont il est question ici ont été, pour la plupart, des femmes et des hommes engagés, prenant part aux bouleversements du monde et, pour nombre d’entre eux, prenant aussi parti, autrement dit optant pour des choix politiques, au risque, parfois, de surprenantes alliances ou de stupéfiants aveuglements.
Il est d’autant plus passionnant, quoi qu’il en soit, de se remémorer toutes les discussions, tous les débats d’idées, toutes les controverses qui ont agité le monde de la philosophie au siècle dernier que tout cela reste largement d’actualité. Les prises de position des uns et des autres nous interpellent toujours, alors que ceux même qui les ont prononcées sont morts depuis longtemps. Il est même des réflexions qui semblent prémonitoires et dont on mesure encore mieux aujourd’hui le caractère, si l’on peut dire, prophétique. Quand, par exemple, Martin Heidegger explique, dans un de ses ouvrages, que « l’humanité est devenue monstrueuse » et que l’homme se détruit lui-même, comment ne pas penser à la destruction inéluctable de la planète telle que nous la constatons aujourd’hui ? De même Camus lorsqu’il observait que « l’humanité devait choisir entre le suicide collectif et un emploi plus intelligent de sa technologie. »
On le voit, même si ceux qui en sont les concepteurs et les auteurs se plaisent toujours à émettre leurs idées au moyen de jargons que le commun des mortels peine à maîtriser, la philosophie telle qu’elle se déploie au XXème siècle ne se démarque pas, la plupart du temps, des réalités les plus concrètes du monde. Au contraire même, puisque son objectif est de mieux appréhender l’expérience du vivant, de l’humain en particulier. Au moment où elle expose le projet de son livre, Sarah Bakewell explicite fort bien l’interaction entre philosophie et vie: « Je pense que la philosophie devient plus intéressante quand elle se fond dans le cadre d’une vie. Je crois de même que l’expérience personnelle est plus intéressante quand elle se pense philosophiquement. »
A ce sujet, puisqu’il est question des vies des uns et des autres, il est impressionnant de constater à quel point elles furent marquées autant par les amitiés que par les querelles. L’estime que l’on se porte mutuellement, les rencontres et les amitiés entre les uns et les autres se sont, plus d’une fois, soldées par des ruptures plus ou moins tonitruantes. C’est le cas de ceux qui vouèrent une admiration sans borne pour Martin Heidegger et qui se trouvèrent bien dépités lorsque celui-ci, après la guerre, refusa obstinément et jusqu’à son dernier jour de désavouer le nazisme auquel il s’était lui-même rallié dès 1933.
Mais il serait injuste et malhonnête de tenter d’enfermer, en quelque sorte, dans une formule un seul des philosophes dont il est question. « Vous pouvez penser me définir sous une certaine étiquette, écrit Sarah Bakewell, mais vous vous trompez puisque je suis toujours a work in progress, en chantier. » C’est une des raisons pour lesquelles des amitiés qui paraissaient indéfectibles n’ont pas résisté à l’épreuve des événements conduisant à des prises de position inconciliables. Ce fut le cas, entre autres, lorsque se brouillèrent Jean-Paul Sartre, soutenu par Simone de Beauvoir, et Albert Camus. Dès la Libération, en janvier 1945, lorsque se tint le procès de l’écrivain collaborationniste Robert Brasillach, de profondes divergences apparurent : tandis que Camus s’opposait fermement à la peine de mort, Sartre et Beauvoir s’efforçaient, au contraire, de trouver des raisons de la justifier.
Je comprends mieux, d’ailleurs, grâce à la lecture du livre de Sarah Bakewell, pourquoi je me suis toujours senti bien plus proche d’un Camus que d’un Sartre, le premier n’autorisant aucune justification ni de la violence ni du terrorisme, alors que Sartre et Beauvoir estimaient que, dans certaines circonstances, il fallait « se salir les mains ». Cela dit, encore une fois, il faut éviter de trop simplifier, d’émettre des jugements à l’emporte-pièce. Sartre fut quelqu’un d’extrêmement complexe, capable de s’aveugler lui-même au point de s’entêter à défendre les régimes politiques les plus infâmes, le communisme à la soviétique du temps de Staline, par exemple, mais également enclin à se positionner toujours du côté des exclus. Simone de Beauvoir et Sartre furent ainsi scandalisés par les inégalités raciales qu’ils constatèrent lors de leurs séjours aux États-Unis. Et ils prirent bien d’autres engagements en faveur des laissés-pour-compte. D’un côté, il y eut le Sartre extrémiste qui, préfaçant un ouvrage de Frantz Fanon, trouvait le moyen de louer la violence en soi, de l’autre, celui qui était décrit par ses amis (y compris ceux avec qui il s’était fâché) comme « un homme bon », ne se privant pas d’être on ne peut plus généreux dès que l’occasion se présentait.
Ce n’est là, bien entendu, qu’un aperçu de tout ce que raconte Sarah Bakewell avec un formidable talent de conteuse, réussissant à retracer les vies et les pensées des philosophes du XXème siècle à la manière d’une grande épopée. C’en est une d’ailleurs, sans nul doute, c’est l’épopée de la philosophie. 9/10
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Méditer, jour après jour.
Je craignais un peu que ce soit du pur charlatanisme mais en fait le livre est beau, plaisant à lire, clair et convainquant. Peut-être qu'un peu de méditation en pleine conscience m'aidera à supporter l'enfermement (et surtout les gens avec qui on est enfermé).
Il contient aussi un CD avec des guides de méditation.
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La roue de la vie (ou des vies) tourne follement vite dans ce roman de Chantal Pelletier, un peu comme dans La Ronde, la pièce d’Arthur Schnitzler qu’avait si formidablement adaptée au cinéma Max Ophüls en 1950. La roue tourne et l’on passe d’une vie à une autre, sans s’encombrer de détails, à grands traits, mais paradoxalement en transmettant quelque chose d’essentiel. Les vies sont comme survolées, chez Chantal Pelletier, on saute volontiers par-dessus les années, et pourtant l’on perçoit sans difficultés les mutations profondes d’une Chine toujours en devenir et les implications concrètes de ces transformations sur les destinées de cinq femmes.
La romancière a d’ailleurs réussi un véritable tour de force en faisant s’entrecroiser ces cinq vies. Chacune des femmes est en lien, même lointain, même fugitif, mais aussi, dans certains cas, beaucoup plus durable, avec les quatre autres. Chacune également, à sa manière, se trouve confrontée aux bouleversements de la société chinoise et s’efforce de s’y adapter.
Cela commence avec Xiu, née en 1957, qui, dès l’âge de quatre ans et demi, est enrôlée dans une école de gymnastique. La discipline extrême qui lui est imposée lui forge un caractère d’acier et une volonté de fer. Et Dieu sait si elle en a besoin, tout au long d’un parcours chargé d’épreuves, entre autres du fait de son premier mari, un docker buveur et violent.
Vient ensuite Daxia, née en 1979, qui n’est autre que la fille de Xiu. Confrontée à l’alcoolisme et à la violence de son père, elle se réfugie souvent du côté du fleuve qui traverse sa ville. Elle aussi doit se durcir et, ayant entrepris des études d’architecture, tout faire pour gagner son indépendance financière. Son parcours n’est cependant pas dénué de péripéties périlleuses, en particulier lorsqu’elle prend pour amant un Ouïgour, autrement dit un musulman, considéré comme ennemi, voire terroriste potentiel, par les Chinois.
La troisième des femmes racontées par Chantal Pelletier se nomme Mei, elle est née en 1981 et s’est liée d’amitié avec Daxia durant son enfance. Son cheminement diffère cependant de celui de cette dernière, les amies se séparent et, quand elles se retrouvent, bien des années plus tard, leur entente n’est plus au beau fixe. Mei cherche, à tout prix, à sortir de sa condition, ce qu’elle réussit, après avoir travaillé dans un hôtel où elle s’autorisait même des extras tarifés d’ordre sexuel, en s’attachant à Fang, la patronne de Daxia, jusqu’à devenir son amante.
La quatrième, précisément, c’est Fang, née en 1960 à Canton. Marquée par les morts violentes de son grand-père et de ses parents, coupables de n’avoir pu s’adapter au renouvellement de la Chine, elle ne doit son salut qu’à un oncle parti au Canada et qui lui paie des études à Hong Kong. Sa vie, cependant, reste semée d’épreuves : la disparition de son fils Cheng, le suicide de son mari Bai, l’indiscipline de sa fille Yanyan. Elle ne trouve un peu de consolation que lorsque, s’étant découverte homosexuelle, elle commence une idylle avec Mei.
Enfin, la cinquième femme se nomme Baoying et elle est née en 1970 à Pékin. Son enfance est marquée par sa passion pour la cuisine, son père tenant un restaurant qu’elle espère pouvoir un jour reprendre à son compte. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et, à la mort de son père, elle est chassée. Elle connaît, dès lors, des jours et des mois de misère, jusqu’à ce qu’elle rencontre Dewei, un ami de son père qui lui vient en aide et qu’elle épouse, ce qui fait d’elle la belle-sœur de Fang.
En racontant ces vies, la romancière nous fait entrevoir quelques réalités de la Chine moderne, vues du côté des femmes. Des vies jalonnées de souffrances qui endurcissent les caractères et qui obligent, d’une certaine façon, à se dépouiller de tout sentimentalisme pour ne songer qu’à « réussir » sur le plan matériel, là où, la plupart du temps, les parents, par la force des choses, ont échoué. Cela n’empêche pas, cependant, les relations de cœur, et même les prises de risque, que ce soit lors d’une liaison avec un Ouïgour ou lors des amours homosexuelles de deux de ces femmes, pratique qui pourrait leur causer de gros ennuis. On notera aussi le soin avec lequel Chantal Pelletier introduit dans ces récits les événements survenus en Chine au cours de tant d’années. Il est question, entre autres, des épidémies que durent affronter, à deux reprises, les Chinois, bien avant la pandémie de coronavirus que nous connaissons aujourd’hui. Les Chinois avaient eu à gérer, en 1997, l’épidémie de grippe aviaire puis, 6 ans plus tard, celle du SRAS. Lors de cette dernière, à Hong Kong, Chantal Pelletier nous l’apprend, les habitants avaient découvert une nouvelle forme d’altruisme, que nous devons nous appliquer à nous-mêmes en pleine crise du coronavirus : « Craignez-vous les uns les autres » ! Ce qui ne contredit pas l’amour du prochain, puisque l’aimer, c’est précisément, en ce moment, se tenir éloigné de lui. 8/10
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