Jericho a écrit :Je ne trouve pas qu'il y a contradiction c'est l'essence même du cinéma, que de prendre des sujets sérieux, des faits divers et en faire des objets de divertissements. On en voit partout et sur tout type de sujets, et ça ne pose aucun problème d'éthique ou de fond.
Pour moi ça peut poser des problèmes d'éthique dès lors que ça a trait à des sujets historiques lourdement connotés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais trouvé particulièrement intéressants, même si je ne les partageais pas, les arguments contre Tarantino et son révisionnisme radical présenté comme irresponsable car trivial et complaisant. Sauf que pour moi, Tarantino s'est "couvert" en faisant de son film une farce, comme l'est
Papy fait de la résistance et sa désacralisation totale (des nazis, des résistants).
Ce qu'il y a là en filigrane, c'est qu'on touche au débat qui avait fait rage au moment de la sortie du Tarantino, sur ce qui est filmable et sur ce qui ne l'est pas, mais plus encore, sur l'éthique et la responsabilité historiques au cinéma. Débat certes passionnant mais qui est voué à tourner en rond parce qu'il y aura toujours des conservateurs de la décence et des partisans de la toute-représentation édifiante, qui ont chacun leurs arguments légitimes. Je crois cependant, à titre personnel, que la Seconde Guerre mondiale et plus précisément ses atrocités barbares, avec l'idéologie qui était sous-tendue, est un sujet qu'il faut manier avec extrêmement de précaution. Je le redis, que Verhoeven fasse son film d'espionnage, son "divertissement", avec la Résistance hollandaise, à partir de faits qu'il affirme être authentiques, d'accord, pourquoi pas. Ce n'est pas le premier à faire un tel film. Mais du moment qu'il cherche également à élever son film du simple niveau du divertissement, en proposant une représentation réaliste du contexte et une réflexion sur l'antisémitisme, le fascisme, et l'attitude des Hollandais (collaboration, résistance, épuration) durant la guerre, alors il faut que ce qu'il ait à dire soit fort, en vaille la peine. Et je trouve que
Black Book, de ce côté-là, se montre quand même pour le moins décevant et finalement superficiel. Décevant car le côté spectaculaire, romanesque, écrase clairement la réflexion qui ne se cantonne qu'à quelques répliques ou rebondissements. C'est pas suffisant pour moi pour en faire un film riche et abouti. Décevant car, un peu comme Player, j'ai eu le sentiment que Verhoeven voulait choquer pour choquer, sans grand-chose derrière. A mes yeux, assez symbolique est cette scène du seau de merde, dont il explique dans ses entretiens qu'elle est celle qui a conditionné son implication dans le projet. C'est une scène extrême et elle témoigne effectivement de l'aveuglement de l'épuration, mais même si elle s'inspire d'un fait réel, Verhoeven en fait pour moi quelque chose de malsain, obscène, l'impression qu'il filme ça sans recul, quoi, qu'il pioche dans l'Histoire le truc le plus dégueulasse possible dans le but de satisfaire ses envies provocatrices bien connues, et que j'apprécie en général au demeurant. Il dit qu'il n'aurait pas fait la scène des douches de
La Liste de Schindler parce qu'il y a là-dedans quelque chose de positif (le fait que les détenues ne meurent pas gazées) qui est dérisoire à l'échelle de l'atrocité de la Shoah, mais ne peut-on en dire autant concernant sa scène d'excréments dont l'extrême rareté factuelle est en tous points similaire* ? Le fait est que j'aime le côté rentre-dedans de Verhoeven, mais ici, comment dire... ça me dérange.
Black Book procède d'une démarche intéressante mais comme je le disais, c'est pour moi le théâtre d'une non conciliation (entre spectacle et prétention auteurisante qui perce mal) parce que le sujet ne le permet pas, ou en tout cas pas de la manière dont l'a géré Verhoeven.
* Il raconte en effet qu'aucun livre n'en parle et que c'est la veuve du président de la Banque de Hollande, Rost van Tonningen, qui lui a raconté cet épisode qui est arrivé à son défunt mari dans une prison pour collabos.