Détour par l'Europe de l'est avec de du Tchèque, du Letton et de l'autrichien (ça commence comme une blague belge) découvert lors de Toute la mémoire du monde pour le premier et à la fondation Pathé pour les deux autres.
Séduction / Erotikon (Gustav Machaty - 1929)
Un homme de passage dans une petite se fait héberger le temps d'une nuit dans la maison d'un garde barrière. Profitant de son absence, il séduit sa fille qu'il abandonne dès le lendemain. Quelques mois plus tard, la jeune fille, déjà traumatisée par sa déception amoureuse, apprend qu'elle est enceinte.
Jusqu'à ce que le film commence, je croyais voir
Extase en me disant que j'allais enfin découvrir le rôle qui rendit "célèbre" Hedy Lamarr. Et bien non, ça sera pour plus tard et mine de rien ce malentendu résume bien la situation dans lequel est tombé le cinéaste Gustav Machaty, réduit à un titre, pas forcément pour les bonnes raisons, et faisant office d'arbre cachant la forêt. C'est fort regrettable puisque
Séduction est une vraie merveille, le genre de film qui fait une fois de plus constater que le cinéma muet avait atteint une plénitude et une sophistication dans son langage. La photographie est somptueuse et très raffinée avec des contrastes très marqués, le sens du cadre est souvent inventif représentant uniquement par l'image des conflits psychologiques et la caméra se permet quelques mouvements audacieux comme lorsqu'elle est accrochée au buste du Don Juan, cadrant son visage qui se penche sur sa "proie" allongée sur son lit. Et on est plusieurs décennies avant
Seconds ou
Le destin d'un homme ! Le plan est d'ailleurs très court et le cinéaste ne cherche pas à épater la galerie. Il est toujours centré sur ses personnages. Le début est ainsi d'une sensualité extraordinaire où l'on ressent les palpitations et ses accélérations, la montée du désir et l'attraction des corps avec quelques métaphores très subjectives sur l'orgasme (goutte d'eau en très gros plan sur le carreau d'une vitre suivi d'un plan sur une fleur sur le rebord de celle-ci).
Une première partie qui n'a absolument pas à rougir de ses presque 90 ans et qui a de quoi en apprendre à bon nombre de cinéastes en activité.
La suite est moins novatrice car plus centrée sur la désillusions, les tensions dramatiques et les doutes qui assaillent chacun des 3 personnages principaux. L'écriture est à ce titre complexe, ne cédant à effets ou formules faciles. Le climax est pour ainsi dire une partie d’échec habilement découpé. On n'est ainsi pas dans le mélodrame tragique mais le lyrisme contenu et le frémissement intérieur pour une intensité dramatique particulièrement touchante pour son trio (voire quatuor) prisonnier de leur passion, très bien définie par la construction du scénario parfaitement crédible malgré plusieurs raccourcis.
Et l'accompagnement musicale était excellent avec un groupe blues-rock qui avait parfaitement compris le film sans chercher à surligner chaque émotion. La restauration date un peu (fin des années 90) et ça doit être la même copie qui traîne sur internet (trouvable on ne peut plus facilement mais avec les cartons en tchèques)
The bearslayer / Lacplesis (Aleksandrs Rusteikis - 1930) provient donc de Lettonie pour une œuvre nationaliste dont la construction rappelle un peu les grosses production américaines où l'histoire contemporaine est mise en parallèle avec des faits historiques ou mythologiques (comme chez Cecil B DeMille ou dans l'
Arche de Noé de Michael Curtiz).
Les séquences "mythologiques" sont ce qu'il y a de plus intéressant, assez travaillé visuellement avec une nette influence du cinéma expressionniste, des maquillages remarquables et des travellings bien exploitées. Comme c'est ce qui ouvre le film, je suis parti confiant et même vraiment surpris par sa bonne tenue technique... avant de trouver le temps un peu long face aux séquences militaires et guerrières interchangeables qui vont ensuite s'enchaîner durant 80 à 90 minutes. Aucun personnages n'est attachant, et même existants, et la méconnaissance de l'histoire du pays n'aide pas à comprendre cette évocation de combat des Lettons pour leur liberté face aux allemands et aux russes (le pays fut en guerre ou occupé encore 2 ans après sa déclaration d'indépendance).
Il est tout de même indéniable de nier le budget conséquent, l'atmosphère de certains séquences, son rythme soutenu ou la compétence des professionnels locaux et ça m'a paru bien plus aboutis formellement que
Les jeunes aigles, seul autre muet que je connais des pays baltes (Estonie) et qui passe également en ce moment à la Fondation Pathé (mais dans un accompagnement musical plus conventionnel qu'à la cinémathèque).
La aussi, ça se trouve sur YT mais faut connaître la langue puisque les intertitres sont dans la langue de Jānis Akuraters (j'ai pris le premier écrivain letton que j'ai trouvé
). Qualité médiocre par ailleurs mais même dans la copie diffusée aurait méritée une restauration plus poussée.
Je termine par l'autrichienne
La petite Véronique (Robert Land - 1930)
Sur le papier, absolument rien d'original où une jeune et naïve campagnarde est envoyée à Vienne chez sa tante et ne va pas tarder à être confrontée au cynisme et la débauche de cette grande ville.
Histoire vue et revue et qui passe cette fois-ci très bien grâce déjà à la qualité de son interprétation et surtout une excellente mise en scène de Robert Land. J'en suis le premier surpris puisque j'avais trouvé très décevant
Je baise votre main madame qu'il avait tourné un an avant et qui manquait cruellement de personnalité. Aucun de ces problèmes dans ce film qui bénéficie d'une elle sensibilité qui s'attache à transcrire la perception du monde par la petite Véronique avec une photographie lumineuse, un recours fréquent à des focales inhabituelles et un sens du cadre inspiré qui sublime les extérieurs du village natal, au pied des chaîne des montagnes. La ville provoque au contraire une effervescence et une excitation qui passent par des cadrages plus larges qui multiplient les plans en mouvements sur les véhicules et les vues plongeantes sur l'activité dans rues, sans parler des scènes de bal.
La mise en scène et la photographie font vraiment de l'héroïne une véritable sainte, saisie parfois par des éclairages qui l'enveloppent de halo lumineux à la blancheur virginale.
Cette attention portée sur Véronique évite au film de tomber dans une pure démonstration moralisatrice. Par exemple, après sa nuit d'amour Véronique n'a rien perdu de sa candeur contrairement à d'autres représentants du genre qui sorte tout de suite la carte de la culpabilité ou du regret. C'est davantage l'incompréhension accusatrice de la société qui provoque son désespoir ; accusation hypocrite puisqu'on devine bien que les voisines de la tante ont toutes connues le même destin et que la ville de Vienne ne propose de toute façon pas beaucoup d'autres possibilités d'"émancipations" et d'indépendances financières.
Seule la conclusion des 5 dernières minutes m'a paru un peu téléphoné avec un personnage sorti de nulle part au dernier instant pour créer un happy end trop facile.
Malheureusement, le film est plus difficilement visible mais sa (très belle) restauration est encore très récente, en 2016. Faut peut-être patient et croiser les doigts.