Critique de film
Le film
Affiche du film

Ben & Charlie

(Amico, stammi lontano almeno un palmo)

L'histoire

Un pistolero attend depuis plusieurs jour la sortie de prison de Ben. Il inquiète les gardiens, mais Ben les rassure, c’est un ami. Effectivement, il semble bien connaitre Charlie, qui l’accueille… à coups de poing ! Les deux hommes sont de petits escrocs, et s’ils décident de partir chacun de leur côté, leurs chemins se croisent régulièrement. Jusqu’au jour où plutôt que de tricher aux cartes, Ben braque une banque. Les deux hommes desormais liés changent de statut en devenant des criminels recherchés. Ils plongent dans un monde de violence.

Analyse et critique

Après une première vague de succès populaire consécutive, entre autres, aux films tournés par Sergio Leone, le western connait un second souffle autour du début des années soixante-dix avec une dominante comique, voire parodique, qui va plaire au public mais également symboliser le déclin du genre. Plus le temps passe, plus les productions vont s’orienter vers un humour facile et grossier et ainsi, si la production reste importante au début de la décennie, les bons films se font de plus en plus rares. C’est dans ce contexte qu’est produit Ben & Charlie, diffusé en France à l’époque de sa sortie sous le titre Méfie-toi Ben, Charlie veut ta peau, voire parfois Fais attention Ben, Charlie arrive. Le film est signé Michele Lupo, artisan productif durant l’âge d’or du cinéma italien, débutant dans le péplum avant de réaliser de nombreux western. Le cinéaste s’empare d’un sujet porté par l’acteur et scénariste George Eastman, sous le nom de Luigi Montefiori, qui propose une sorte de buddy movie mettant en scène deux petits escrocs de seconde zone qui vont se retrouver projeté dans le monde des vrais criminels de l’ouest suite à un braquage de banque improvisé.


Après une première séquence plutôt inspirée dans l’atmosphère qu’elle installe, où l’on voit Charlie attendre des jours durant la sortie de prison de Ben pour se venger d’une arnaque qu’il lui a fait subir, le film débute de manière un peu inquiétante. On retrouve de multiples bagarres excessives typiques des westerns du moment et un humour pas toujours très fin, flirtant même parfois avec le scatologique. Durant la première demi-heure, il n’y a finalement que les deux acteurs principaux pour nous rendre le film agréable. Giuliano Gemma compose un Ben qui n’est pas sans rappeler son personnage de Ringo, avec son caractère enfantin et un sourire toujours au lèvre qui le rend plutôt attachant. Face à lui, George Eastman crée un Charlie un peu plus adulte, plus taciturne aussi, qui prend son « travail » avec plus de sérieux et dont on sent, malgré ses colères, qu’il est attaché à Ben. Avec le développement du film, son personnage s’étoffe et devient également particulièrement attachant. Toutefois, quels que soient leurs efforts, les deux acteurs ne peuvent pas tout sauver et après une trentaine de minutes de récit, Ben & Charlie menace de sérieusement tourner en rond et de s’enliser dans un humour particulièrement gras.

C’est alors que la courte mais marquante apparition de la toujours fascinante Marisa Mell change la donne. Sa présence angélique apporte quelques minutes de grâce dans un film qui en manquait clairement, et son personnage infléchi la dynamique du récit et le ton du film. Dans le rôle de Sarah, une prostituée de luxe que Ben a abandonné devant l’autel quelques années plus tôt, elle réveille une flamme chez lui : il veut desormais sortir de sa condition, ce qui va l’amener au braquage d’une banque qui va changer totalement son quotidien et celui de son compère Charlie. En passant de l’escroquerie à la criminalité, Ben veut s’enrichir, changer de milieu pour faire la conquête de Sarah, mais il le fait avec la même légèreté, la même inconséquence que lorsqu’il arnaquait ses adversaires au poker. C’est sans penser aux conséquences non plus qu’il entraine Charlie dans son aventure, contre son gré, alors que ce dernier est conscient des risques qu’ils courent desormais, face à la justice et face aux vrais criminels. Le film prend alors une structure plus solide avec des scènes de braquage plus longues et plus construites que les arnaques du début, et, par conséquent, de moins en moins de scènes potaches. Ben & Charlie n’abandonne pas sa dimension humoristique, mais les occurrences s’espacent, et l’humour se fait plus fin et plus original.


C’est la marque d’un changement de ton du film. S’il reste globalement léger, l’humeur s’obscurcit tout de même, une dimension tragique vient s’y ajouter. La violence devient de plus en plus concrète au fur et à mesure que le film avance, et que les deux héros s’enrichissent, et elle est de plus en plus mortelle. Lorsque Smith, le caissier d’une banque que les deux hommes ont entrainé dans leurs aventures et qu’ils surnomment 3%, est tué, le film touche à la tragédie. Il n’est plus question de rire et Ben le confirme. "On a bien rigolé, mais on ne s'amuse plus" dit-il avant la confrontation finale avec ceux qui l’ont trahi. Ben a compris qu’avec l’argent sa vie avait changée, qu’il ne pouvait plus la prendre à la blague, et Gemma s’est alors départi de son éternel sourire. Le personnage exprime alors en une phrase la trajectoire du film, et la mort de Smith est vraiment touchante pour le spectateur. Elle vient en contraste avec le début du film et symbolise la fin de l’innocence dans un moment d’émotion particulièrement marquant. La fusillade qui s’en suit est également particulièrement réussie. Filmée avec sérieux, construite avec intelligence, elle fait incontestablement partie des scènes marquantes du genre, et son impact est renforcé par les évènements qui l’ont immédiatement précédé.


A la fin du film la donne a changée. Ben & Charlie est devenu plus riche, plus émouvant, passant d’une grosse comédie banale a une fable attachante qui, même si le film n’a pas de prétention politique, fonctionne comme une parabole de la société italienne de l’époque, ou nombreux sont les laissés pour compte qui voudraient leur part du boom économique. Le scénario conçu par Eastman et Sergio Donati (Le Dernier face-à-face, Il était une fois dans l’ouest entre autres) fonctionne à merveille et on en vient, avec le recul, à donner une plus grande valeur à la première partie du film, qui cède évidemment aux exigences de production du moment mais qui fonctionne aussi comme un contraste à ce qui va suivre, donnant du relief à la trajectoire des deux personnages. Un bel exemple de réussite du western italien dans sa tendance comique.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Ben & Charlie
Blu-Ray

sortie le 5 novembre 2024
éditions Elephant Films

Acheter sur Amazon

Par Philippe Paul - le 15 janvier 2025