L'histoire
1982, la mafia met la Sicile à feu et à sang. Face à un nombre croissant de meurtres, qui touchent notamment les forces de l’ordre, le gouvernement décide de nommer le Général Dalla Chiesa, qui a combattu efficacement les Brigades Rouges, Préfet de Sicile. Désintéressé par toute forme d’honneur, Dalla Chiesa se plonge immédiatement dans ce qu’il considère comme sa seule mission, lutter contre la mafia. Mais, face à une organisation tentaculaire qui a infiltré toutes les couches de la société, le défi est immense.
Analyse et critique
Au début des années 80 a lieu en Sicile la deuxième guerre de la mafia, qui oppose la branche de Cosa Nostra sise à Corleone et celle de Palerme. Le démantèlement de la French Connection a fait de la Sicile la plaque tournante du trafic de drogue dont chacun veut avoir le contrôle, notamment le Corleonais Toto Riina, qui va s’attaquer aux principaux chefs de la mafia de Palerme. En deux ans, le conflit qui se traduira par plus de 1000 assassinats, aura permis à Riina d’éliminer les principales familles de Palerme, et d’assoir son pouvoir sur Cosa Nostra. C’est dans ce contexte que le gouvernement fait appel au Général Carlo dalla Chiesa. Dans les années 70, il s’était illustrer en tant que commandant des carabiniers du Piémont-Val d’Aoste par sa lutte contre les brigades rouges, dont le succès lui avait conféré une aura nationale. En 1982, le ministre de l’intérieur Virginio Rognoni voit en lui la personne idéale pour restaurer l’autorité de l’état en Sicile, en le sortant du corps des carabiniers pour le nommer Préfet. Cette nomination est contestée par les démocrates-chrétiens de Giulio Andreotti qui seront des adversaires de Dalla Chiesa dans sa mission qui ne durera que quatre mois, avant qu’il ne soit abattu avec son épouse le 3 septembre 1982, quatre mois après son arrivée, probablement par un tueur à la solde de Riina. La vague d’émotion créée en Italie par cette évènement en Italie permettra l’adoption presque immédiate de la loi Rognoni-La Torre, qui crée le délit d’association mafieuse et permet de saisir les biens mafieux, donnant à l’état des moyens légaux pour lutter contre Cosa Nostra.
La production de Cent jours à Palerme est lancée peu de temps après ces évènements. Le film est scénarisé et réalisé par Giuseppe Ferrara, cinéaste devenu confidentiel aujourd’hui et qui consacra l’essentiel de sa carrière à des films ou séries télévisées consacrées au terrorisme des années de plomb ou à la question de la Mafia. Il s’intéressera notamment à l’enlèvement d’Aldo Moro (L’Affaire Aldo Moro, 1986) ou au destin du juge Falcone (Giovanni Falcone, 1993), et c’est donc logiquement qu’on le retrouve associé au récit de la mission de Dalla Chiesa alors que sa carrière cinématographique, pourtant débutée 20 ans plus tôt, est encore peu prolifique. Il construit son film autour de la figure de Dalla Chiesa, presque comme un hommage à une figure qui incarne la droiture et la rigueur face à la violence mafieuse, avec toutefois une extrême retenue, sans émotion ou presque, à l’image de son personnage principal. Le choix de Lino Ventura dans le rôle apparait alors comme une évidence. Son Dalla Chiesa ressemble à ce que l’on sait de l’homme, fermement attaché à ses valeurs et d’une grande pudeur, comme l’illustrent les scènes très chastes qui l’associent à la très convaincante Giuliana De Sio qui incarne Emmanuela Setti Caro, la femme de Dalla Chiesa. De presque tous les plans, hormis lors des premières minutes, Ventura domine le film est son interprétation en est une des qualités majeures, malgré les relations froides qu’il entretiendra avec Ferrara lors du tournage. Alors qu’il ne tournera plus que dans La Jonque chinoise, un film inachevé, et dans La Rumba pour une simple apparition, Ventura fait ici sans le savoir ses réels adieux au cinéma. Alors qu’il peine à trouver des rôles qui correspondent à sa vision des hommes et du monde, Cent jours à Palerme lui donne un dernier grand rôle totalement cohérent du reste de sa carrière et la personnalité qu’il affichait, celui d’un homme inflexible, fermement attaché à ses convictions.
Tourné dans les années 80, Cent jours à Palerme est pourtant, par sa forme, un film typique des années 70, qui emprunte beaucoup au film dossier et un peu au polar italien. L’ouverture pourrait d’ailleurs être celle de n’importe quel poliziotescho. Nous y voyons une succession de meurtres, sans autre commentaires que des dates et des noms, qui nous plongent dans l’atmosphère de violence qui entoure la Sicile de l’époque. Ces séquences de violence reviendront plusieurs fois dans le film, jusqu’à la glaçante scène finale, comme pour mieux ancrer le récit et les personnages dans la réalité qui les entoure, filmée sans fioriture, avec une impressionnante sécheresse. Entre ces moments, Cent jours à Palerme est construit comme une enquête, faisant directement écho aux travaux de Francesco Rosi. Ferrara porte à l’écran un récit biographique, aux bornes temporelles très marquées – nous ne voyons rien de la vie de Dalla Chiesa avant sa nomination – afin de se concentrer sur les quatre mois qu’il a passé en Sicile, et de mettre en lumière la situation de la région. Ferrara choisit des scènes, des rencontres qui illustrent à la fois le parcours de Dalla Chiesa et l’environnement qu’il doit affronter, mais ne les contextualise jamais plus que ce qui est nécessaire au spectateur pour suivre le récit. On pense ainsi beaucoup au Lucky Luciano de Rosi, où le cinéaste choisissait quelques éléments marquants de la biographie du criminel pour illustrer sa vision, laissant au spectateur le soin de combler les volontaires oublis biographiques et contextuels du cinéaste. La démarche de Ferrara est ici la même, il s’intéresse à la démarche d’un homme rendu particulier par son inflexibilité et son courage dans le combat, ainsi qu’au pouvoir de la mafia, qui s’insinue partout dans la société, sans se perdre dans des détails qui transformerait le film en une leçon d’histoire trop didactique.
Ainsi, il n’est jamais fait mention explicite de Riina ni ne la guerre de la mafia, qui se traduit surtout par les scènes d’assassinats. Il n’est pas fait non plus mention d’Andreotti, ni directement de la posture ambigüe de la démocratie chrétienne. Le spectateur voit la collusion entre mafieux et politique, mais doit tirer les derniers liens lui-même. Les évènements étant récents à la sortie du film, cette confiance dans le spectateur est facilitée pour Ferrara, mais elle reste l’illustration d’une démarche qui est l’une des caractéristiques majeures de l’âge d’or du cinéma italien, celle qui consiste à ne pas chercher le plus simple dénominateur commun, mais à produire des films qui sollicitent la curiosité et la connaissance du spectateur. Si Cent jours à Palerme n’égale pas totalement les plus grands films de Rosi, il en creuse parfaitement le sillon et est l’un des derniers films à en reproduire avec succès la démarche, divertir en éduquant et en rendant curieux le spectateur. En nous offrant un éclairage sur un pan souvent oubliée de l’histoire européenne contemporaine, Cent jours à Palerme est ainsi, quarante ans après sa sortie, un film toujours passionnant.