Critique de film
Le film
Affiche du film

Cinq tulipes rouges

L'histoire

Tour de France 1948. Avant même que le départ soit lancé, l’un des grands favoris est retrouvé mort, sa voiture qui l’amenait à Paris ayant terminé sa course dans un fossé. Lors d’une étape en première semaine, un deuxième coureur trouve la mort dans des circonstances problématiques d’autant que l’on retrouve sur lui une tulipe rouge, ce qui était déjà le cas pour le trépassé précédent. Ricoul (Jean Brochard), un inspecteur de police, est missionné pour mener l’enquête. Le voilà sur les routes de France à l’intérieur même de la caravane du Tour, partageant la voiture d’une journaliste sportive, Colonelle (Suzanne Dehelly). Cette femme au fort tempérament va lui être d’une grande aide pour démasquer le criminel qui sévit à nouveau, faisant régner la peur dans le peloton…


Analyse et critique

Pour background, le Tour de France 1948 (remporté par Gino Bartali) durant lequel le film a été tourné. Pour intrigue principale des morts mystérieuses qui se révèlent vite être des assassinats par le fait d’avoir un point commun les réunissant, la présence d’une tulipe rouge sur les cadavres, pas moins que la signature voulue du coupable. Pour enquêteurs, un couple totalement improbable formé par une sorte de sous-Maigret nonchalant assez effacé et d’une femme journaliste qui ne s’en laisse pas compter. De l’humour à travers une multitude de seconds rôles pittoresques dont le couple à la ville comme à l’écran Raymond Bussières et Annette Poivre. Avec déjà quelques incursions en Suisse ou en Belgique, la traversée de la France avec ce monde interlope de la petite reine, la peinture de l’atmosphère et du déroulement de cette grande course cycliste après-guerre avec moult détails documentaires assez authentiques qui pourront s'avérer passionnants aussi bien pour les mordus de la grande boucle que pour les non-initiés. Cet incertain patchwork semblait pouvoir donner un résultat bien sympathique à défaut d’être mémorable ; et c’est effectivement le cas !


Des films autour du Tour de France, il y en eut quelques-uns dès l’époque du muet. En 1939, le prolifique Jean Stelli réalise Pour le maillot jaune qui comme son titre l’indique se déroule déjà durant la célèbre épreuve cycliste, narrant une romance entre une journaliste et un coureur interprété par Albert Préjean. Dix ans plus tard, ayant entre temps eu l’insigne honneur d’avoir signé le film français le plus rentable durant l’occupation avec Le Voile bleu, le réalisateur décide de repartir dans les roues des héros de la grande boucle pour rendre hommage à cette grande compétition avec cette fois non plus une romance en arrière-fond mais une intrigue policière à la Agatha Christie comme le laissait sous-entendre le titre de son nouveau film, Cinq tulipes rouges. Le méconnu Marcel Rivet signe le scénario pittoresque tandis que Charles Exbrayat semble avoir pris plaisir à écrire de savoureux dialogues, sachant qu’à cette époque il n’avait encore rédigé aucun des romans policiers qui allaient le rendre célèbre au sein de la glorieuse collection 'Le Masque'. Les amateurs de Georges Simenon reconnaitront de nombreux hommages et clins d’œil d’Exbrayat à son ainé au travers non seulement le personnage du commissaire aux petits airs de Maigret et à quelques autres allusions, par exemple son collègue de la PJ qu’il appelle pour obtenir quelques renseignements se nomme Janvier comme l’un des principaux collaborateurs du célèbre commissaire.


Le film narre donc durant le Tour de France de 1948 l’enquête menée pour faire le jour sur tout un enchainement de morts mystérieuses décimant le peloton. L’intrigue policière n’est pas spécialement captivante ni très crédible et on peut le déplorer d’autant que la résolution s’avère extrêmement prévisible et décevante, les mobiles de l’assassin on ne peut plus idiots. Mais peu importe, l’essentiel n’est bien évidemment pas là comme la plupart s’y attendait ! Non, l’essentiel est que ce petit film fort bien réalisé nous fasse passer un très agréable moment. Avec de l’humour dont le ressort comique est surtout porté par le couple Raymond Bussières & Annette Poivre mais aussi par les relations piquantes qui se font jour entre le commissaire et la journaliste. Sans aucune romance entre ces deux personnages, Suzanne Dehelly campant une femme moderne probablement lesbienne alors que Jean Brochard tient le rôle d’un inspecteur de police introverti et d’un sérieux papal. Leur confrontation est souvent savoureuse notamment lors de leur rencontre au cours de laquelle, les hôtels étant complets, ils se voient obligés de partager la même chambre. Autre point positif du scénario, les coureurs ne sont pas décrits comme des héros mais n’en acquièrent que plus d’humanité et de crédibilité, préférant quitter le tour plutôt que de risquer leurs vies, leur arrivant même de déprimer ou de jeter l’éponge par fatigue. A l’époque des oreillettes et des vélos à la pointe de la technologie, il est délectable de voir ceux de l’époque porter leurs chambres à air autour de l’épaule, rouler sur des routes non goudronnées ou d’être obligés de s’arrêter devant un passage à niveaux…


Mais au-delà de son intrigue policière à énigme certes pas désagréable mais assez banale et superficielle, d’un humour délectable mais gentillet et l’excellente interprétation notamment de la mémorable Suzanne Dehelly habillée à la garçonne, la principale qualité du film est bien évidemment dans son contexte d’aspect documentaire, dans sa captation à postériori nostalgique de l’atmosphère et des coulisses du Tour de France à cette époque. En filmant ses comédiens durant l’évènement, les faisant prendre la route quelques heures avant les coureurs, c’est tout un petit monde qui prend vie derrière la caméra avec tout ce qui concerne l’organisation de la compétition, les villes-étapes, la presse, les journalistes, les directeurs sportifs, les tactiques de course, la fatigue, les coups de blues, les rapports entre cyclistes et équipes (à l’époque il ne s’agissait pas d’équipes de sponsors mais d’équipes nationales), les mécanos et soigneurs… le tout et ses décors filmés avec aisance et efficacité par des caméras embarqués à bord des véhicules suivant la course avec nombreux et variés paysages français parmi lesquels les fameux cols du Galibier, de l’Aubisque, le lac du Bourget, Aix-les-Bains et j’en passe. A signaler une bonne musique de René Sylviano, auteur entre autres de l’entêtante mélodie de la chanson principale de Premier rendez-vous de Henri Decoin. Pour résumer le plus brièvement possible, une intrigue pas trop mal ficelée malgré son peu d’intérêt mais une mise en scène de bonne facture, des personnages et un background très sympathique, témoignage d’une époque. Un grand merci à Pathé de nous offrir cette sympathique et charmante curiosité au sein d’une copie restaurée aussi belle.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Cinq tulipes rouges
Combo Blu-Ray + DVD
Édition Limitée

sortie le 16 octobre 2024
éditions Pathé

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Par Erick Maurel - le 24 octobre 2024