Critique de film
Le film
Affiche du film

Classe tous risques

L'histoire

Recherché par toutes les polices, le criminel Abel Davos est planqué en Italie. Acculé par les forces de l’ordre, il fait le choix de rentrer en France avec sa femme Thérèse et ses enfants, et son complice Raymond. Mais l’opération ne se passe pas comme prévu, le groupe est surpris par les douaniers sur la plage, et une fusillade s’ensuit, au cours de laquelle meurent les douaniers ainsi que Thérèse et Raymond. Caché à Nice avec ses enfants, Davos fait appel à ses anciens amis du milieu, qui lui envoient un inconnu, Eric Stark, pour l’aider.

Analyse et critique

Après avoir accepté de mettre en scène le navrant Bonjour Sourire en 1956, Claude Sautet n’accède pas immédiatement au rôle de réalisateur et revient, durant quatre années, au rôle d’assistant, travaillant principalement sur des polars, comme Le Dos au mur ou Action immédiate, exemples parfait de la modernité qui se fait jour dans le genre en France durant la seconde partie des années cinquante. Il faut donc attendre 1960 pour le voir enfin débuter réellement sa carrière de réalisateur, grâce à l’intervention de Lino Ventura, qui avait apprécié ses collaborations avec lui, notamment pour Le Fauve est lâché son premier rôle après son succès considérable dans le rôle du Gorille qui fit de lui une star du cinéma français. Ventura a aimé Classe tous risques, le roman policier d’un homme encore inconnu, José Giovanni, un ancien détenu devenu romancier et dont deux des trois premiers romans vont être porté presque simultanément à l’écran, Classe tous risques et Le Trou.


Si Le Trou était construit sur un récit directement autobiographique, Classe tous risques est, a priori, une fiction, ou en tout cas un récit largement romancé. A ce titre, il nous plonge dans une histoire typique du monde de José Giovanni, celui des gangsters et de leur code d’honneur. Abel Davos est un cousin peu éloigné du Gustave Minda du Deuxième souffle, un « bandit d’honneur » qui croit dur comme fer aux valeurs du milieu et les respecte. Il nous est présenté comme un bon père de famille, qui se bat avant tout pour ses enfants, même si ses activités criminelles ne sont pas cachées, ni sa violence, illustrée dès les premières minutes du film, lors du hold-up mené à Milan. Davos n’est pas du côté de la loi, mais il est du côté de la morale, par opposition à ses anciens amis, qu’il appelle à l’aide et qui lui envoient un inconnu, le jeune Eric Stark, plutôt que de se déplacer par eux même. Classe tous risques se place ainsi dans le sillon de nombreux films de gangster des années 60 et 70, avec le récit d’un monde qui change, qui perd ses valeurs. Pendant sa cavale, Davos n’a pas vu ce changement, et se trouve être un homme anachronique lorsqu’il retrouve ses anciens complices. Ceux qu’il a aidé par le passé lui tournent le dos, le temps n’est plus à la solidarité, mais aux intérêts personnels. Un état de fait que déplore Davos et qu’il exprime directement à ses anciens amis dans une scène mémorable. La seule lueur d’optimisme dans ce système, elle est portée par Stark, qui admire Davos et va l’aider, de manière presque désintéressé, par admiration pour une « figure » du milieu, incarnant la dernière lueur d’une époque révolue.


Classe tous risques ouvre ainsi la porte à de nombreux récits de gangster durant les deux décennies suivantes, en France comme ailleurs, puisque de nombreux films anglais (La Loi du milieu), américains (Echec à l’organisation, entre autres) ou japonais (Les Combats sans code d’honneur de Kinji Fukasaku par exemple), qui exploreront la même problématique, le glissement moral du milieu comme métaphore de l’évolution de la société toute entière. Sautet et Giovanni offrent, en 1960, une lecture moderne de leur sujet. Toutefois, en filigrane, un second degré de lecture est incontournable pour Classe tous risques. Tout comme Gustave Minda sera inspiré du véritable Auguste Méla, un des braqueurs du train d’or en 1938, Abel Davos est inspiré d’un personnage réel, Abel Danos, au passé encore plus trouble. Surnommé le « Mammouth », il est une de ces figures du milieu qui, durant l’occupation, jouera sur plusieurs tableaux. Porte flingue de la carlingue, ils se livrera à de nombreuses exactions avant, dans l’immédiat après-guerre, d’être un membre du gang des tractions avant, puis d’être fusillé en 52 pour faits de collaboration. Voici l’arrière-plan du personnage Davos, qui colle difficilement à l’idée du « Bandit d’honneur ». A l’écran, il y a peu de chose qui font référence à cet arrière-plan qui n’est pas mis en scène par Sautet. Le cinéaste affirmera d’ailleurs beaucoup plus tard qu’il ignorait lors du tournage le passé de Danos dans la carlingue, et que s’il l’avait su, il n’aurait peut-être pas fait le film. Mais si ces faits sont invisibles, il est impossible, l’histoire connue, de ne pas y penser.


Que nous raconte alors Classe tous risques ? On peut y voir, peut-être, une réhabilitation de ce milieu, dont on sait aujourd’hui qu’il a souvent eu un pied dans la collaboration et l’autre dans la résistance, à des degrés divers, et pas toujours pour les bonnes raisons. Le film serait alors, en creux, une réhabilitation de Giovanni lui-même, également condamné à mort avant d’être gracié, et qui a, malgré ses nombreux récits, toujours tenté de passer sous silence sa vie sous l’occupation pour préférer s’associer à un gangstérisme à ses yeux plus « nobles ». On peut y voir aussi une idée presque opposée, et considérer que ce sont les anciens amis de Davos auquel le récit donne raison, en imaginant que leur abandon de Davos est une punition. Si on les associe aux membres du gang des tractions avant, il ne faut pas oublier qu’il comptait, outre d’anciens bras armés de la rue Lauriston, un rescapé de Mauthausen (Jo Attia), qui eut un comportement peu compatible avec celui de Danos pendant la guerre. Ainsi, le fourgue interprété par Dalio ne serait-il pas l’incarnation d’une justice immanente pour Danos, qui prolonge encore ses crimes en l’abattant ? Impossible de trancher, mais il est certain que cette dimension confère une épaisseur exceptionnelle au récit, et à la réflexion morale qu’il induit, à l’insu même de son metteur en scène. Il en résulte un film à la posture morale étrange, mais à l’ambiguïté passionnante, qui échappe, comme toutes les grandes œuvres, à son créateur.


Ce constat ne doit toutefois pas exclure l’importance de Claude Sautet dans la réussite du film. Héritier du polar français de la seconde partie des années 50, modernisé par Edouard Molinaro, Frédéric Dard et Robert Hossein notamment, Sautet fait passer un cap supplémentaire au genre avec Classe tous risques en le menant sur le terrain de la nouvelle vague, alors en pleine explosion. One ne peut pas voir le film sans penser à la modernité d’A bout de souffle, qui sort en salle la semaine précédente. Ce n’est pas seulement la présence de Belmondo qui impose ce sentiment, mais surtout l’abondance des scènes tournées en extérieurs, ainsi que les dialogues naturels des personnages, qui imposent Classe tous risques comme un polar d’un nouveau genre. Avec un montage fluide et un rythme soutenu, on peut même y voir l’un des films les plus réussis de l’époque, un coup d’essai qui est déjà un film abouti, pour un cinéaste débutant, et un style novateur. Avec Classe tous risques, Sautet forge aussi un nouveau Ventura, qui commence ici à s’éloigner franchement du gorille et de ses succédanés pour forger le personnage qui sera le sien pendant plus d’une décennie, notamment chez Melville puis chez José Giovanni cinéaste.  Sautet poursuivra dans cette veine avec L’Arme à gauche, dans un style encore plus abouti mais avec des personnages moins passionnants. Le virage vers son style habituel se fera ensuite, même si l’on trouve déjà dans Classe tous risques une réflexion sur l’amitié, bien différente de celle qu’il explorera ensuite, mais qui lui est complémentaire. Il entame en tout cas sa carrière, si l’on fait abstraction de son oubliable première réalisation, par un coup de maître.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 6 juin 2024