Critique de film
Le film
Affiche du film

Comme un boomerang

L'histoire

Lors d'une soirée branchée sur la Côte d'Azur, Eddy Batkin (Louis Julien), un adolescent sous l'emprise de la drogue, tue par accident un policier. Aussitôt mis en examen, il doit attendre en cellule son prochain jugement. Jacques (Alain Delon), riche industriel et père d'Eddy, est déchiré. Maître Ritter (Charles Vanel), l'avocat de la famille, lui fait comprendre qu’il va être difficile au juge d'instruction d’être clément malgré les circonstances atténuantes. Grâce à son argent, à la sincérité de son désespoir et au fait de ressentir de l'empathie pour la famille de la victime, Jacques est sur le point de faire pencher la balance vers la mansuétude ; sauf qu’à ce moment-là son passé de gangster resurgit dans la presse, ce qui dessert totalement les affaires de son fils. Il décide alors de tout faire pour le tirer de ce mauvais pas, au prix de sacrifices irréversibles...

Analyse et critique


Valeur sûre du cinéma populaire français des années 60 et 70, l’ancien gangster José Giovanni (qui avait même été condamné à mort et sauvé in-extremis) avait commencé sa carrière au cinéma par le scénario adapté de sa propre histoire, celui du grand et inoubliable classique de Jacques Becker, Le Trou. Il continuera sur sa lancée en écrivant des films pour, excusez du peu, Jacques Deray, Claude Sautet, Robert Enrico, Henri Verneuil ou Jean-Pierre Melville. Parallèlement il réalisera ses propres films, des titres bien connus du public français - tout du moins pour les cinquantenaires qui les ont vus très souvent programmés en prime time à la télévision - tels Le Rapace, Dernier domicile connu ou La Scoumoune. Il se révèle la plupart du temps un très bon artisan, sans autre prétention que de raconter efficacement une bonne histoire qui s’inspire souvent un peu de son propre passé, ne perdant aucune occasion de tacler au passage la police, la presse ou la justice. Même après Comme un boomerang, des films comme Les Égouts du paradis ou bien Le Ruffian, malgré des critiques assassines, seront encore à mon humble avis de solides réussites.


Entre 1973 et 1976, les trois films qu’aura réalisés José Giovanni auront eu comme acteur principal Alain Delon. Dans le poignant Deux hommes dans la ville, qui narrait l’amitié entre un ex-policier devenu éducateur pour délinquants et un ancien détenu, il aura eu pour partenaire Jean Gabin ; dans le méconnu et superbe Le Gitan, il était entouré entre autres par Paul Meurisse et Annie Girardot et le film racontait à nouveau le parcours d’un criminel poursuivi par la fatalité ; Comme un boomerang marquera la fin de l’association Delon / Giovanni, peut-être parce que le film était un peu en deçà des précédents et qu’il fit un bide au box-office, le public ayant eu souvent du mal à chaque fois que la star interprétait un nanti. Ceci étant dit, Giovanni signe à nouveau avec ce film une jolie réussite, certes pas forcément mémorable mais constamment intéressante et captivante malgré quelques défauts dans l’écriture à commencer par la séquence inaugurale assez peu crédible, celle du meurtre d’un policier par un jeune drogué. Quelle étrange coïncidence que le fonctionnaire de police se trouvait justement à la porte-fenêtre de la villa au moment même où le jeune homme tirait un coup de fusil dans le vide sans d’ailleurs vouloir viser personne. Mais peu importe, le récit peut ainsi débuter, entrant immédiatement dans le vif du sujet.


Ce jeune assassin n’est autre que le fils d’un richissime chef d’entreprise, ce dernier superbement incarné par un Delon très impliqué dans ce rôle - il a cosigné le scénario -, impérial et charismatique à souhait. L'homme d'affaires revient donc plus tôt que prévu d’un voyage à l’étranger après avoir appris le drame ; un peu assommé par la nouvelle, d’autant plus qu’il se sent un peu coupable de n’avoir pas assez participé à l’éducation de son rejeton, ne pas lui avoir prêté assez d’attention au point de penser que, baignant dans une situation sociale aussi confortable et respectable que lui octroie sa famille, il n’aurait jamais eu besoin de se droguer. Beaucoup de naïveté et d’égoïsme dont il se mord les doigts. Mais avec les conseils d’un grand ami avocat (magnifique Charles Vanel) et les moyens pour dédommager correctement les victimes, Jacques se sent assez confiant même s’il n’est pas dupe et sait très bien que son fils sera emprisonné quelques années même si le crime n’a pas été du tout intentionnel. Seulement, son passé lui revient dans la figure comme un boomerang : au moment où il était sur le point d’obtenir la mansuétude du plus grand nombre, la presse dévoile le passé trouble de ce chef d’entreprise respecté qui fut un ancien gangster ayant fait plusieurs années de prison. Et comme la foule n’est que rarement prête à pardonner, à accorder une seconde chance ni le droit de se racheter, et pense qu’aucun malfrat n’a jamais complètement payé sa dette envers la société, les circonstances atténuantes pour le fils se délitent alors que la vie antérieure du père refait surface tel un honteux boulet.


On aura vite compris, au vu de cette brève description, que Giovanni aborde non seulement les dangers de la drogue pour la jeunesse (sans didactisme mais avec parfois de gros sabots, cf. la séquence assez malaisante de la visite de Jacques à des bijoutiers/dealers) mais aussi et surtout la difficulté de réinsertion des anciens détenus que souvent le corps social pousse à la récidive au lieu de chercher à les réintégrer. Et au vu de son passé, on devine que le cinéaste connaît parfaitement bien le sujet. Il nous dépeint également le portrait d’un homme qui décide de sacrifier sa position et sa carrière pour venir en aide à son fils, quitte à replonger dans l’illégalité et redevenir hors-la-loi. Enfin, il décrit avec beaucoup d’émotion et de retenue les relations qui évoluent entre un père et un fils, ce dernier tout d’abord en opposition puis en admiration devant son aîné, le drame qu’ils vivent allant les rapprocher. Comme un boomerang est un drame bénéficiant d’une belle puissance de conviction des auteurs, d’une interprétation solide (outre les comédiens déjà cités, on notera les honorables prestations de Pierre Maguelon en commissaire, Suzanne Flon dans le rôle de la veuve de la victime ainsi que du jeune Louis Julien assez convaincant) et d’un thème musical mélancolique de Georges Delerue. Pas de quoi s’en relever la nuit mais cependant une œuvre très attachante.


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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 20 juillet 2023