Critique de film
Le film
Affiche du film

Dans la poussière des étoiles

(Im Staub der Sterne)

L'histoire

Nous sommes dans un lointain futur. La Terre a reçu un appel de détresse venu d’une la planète jusqu’alors inexplorée : Tem 4. La commandante Akala et l’équipage du vaisseau Cynro rejoignent la planète en question et y découvrent les représentants d’une société arrogante et lascive. Ils sont accueillis par leur chef, Ronk, qui affirme avoir envoyé ce message par erreur. Alors qu’il les invite à une fête pour sceller leur amitié avant leur retour, Ronk hypnotise l’équipage. Seul resté à bord, le navigateur Suko soupçonne un piège et enquête de son côté. Il découvrira que les véritables habitants de la planète font l’objet d’une terrible entreprise de domination et d’exploitation par le travail forcé.

Analyse et critique

N’ayons pas peur des mots, Dans la poussière des étoiles est un improbable nanar communiste. Mais son origine Est-allemande, son appartenance à cette filmographie mal connue des productions DEFA, ainsi que son statut d’incongruité au sein même de ce corpus, nous motive à y consacrer une chronique. D’autant que, contrairement à beaucoup des œuvres qui appartiennent habituellement à la catégorie nanar, Dans la poussière des étoiles n’est pas une petite série Z initiée par un producteur opportuniste. A l’inverse, il s’agit d’une production de prestige, commandée par l’état, tournée dans les prestigieux studios Est-Berlinois de Babelsberg. Le film avance donc sur de lui, déroulant son intrigue, ses effets spéciaux et son discours politique avec la conviction de pouvoir éclairer un peu plus l’humanité quant aux vertus du marxisme-léninisme. Le tout baigné dans une esthétique 70’s déployée tous azimuts, autant pour critiquer sa vacuité que pour exploiter son pouvoir d’attraction sur la jeunesse. Un spectacle tellement inattendu qu’il serait bien dommage de ne pas vous donner envie d’y jeter un œil !

UN PROJET DEFA FUTURUM

Il s’agit du quatrième et dernier film de science-fiction spatiale de la DEFA, faisant suite à L’étoile du silence (1960), Signal (1970) et Eolomea (1972). Nous vous renvoyons à la critique de ce dernier pour y lire l’état des lieux du cinéma Est-Allemand au début des années 70. Une époque où les dirigeants de l’état communiste s’efforcent désespérément de détourner le public des télévisions (capables de capter les programmes Ouest-Allemands) au profit des salles de cinéma. Jusque-là la référence était encore le film sérieux et réflexif de Stanley Kubrick, 2001 l’Odyssée de l’espace (1968), mais les relectures socialistes proposées par Signal et Eolomea ne menèrent qu’à des échecs publics. En conséquence ce nouveau film devait prendre une direction complètement opposée. Il serait musical, romantique, et offrirait une aventure semblable à celles proposées par les westerns qui régnaient alors sur le box-office. Nous y reviendrons.

Le film appartient par ailleurs à un programme de réflexion et de création nommé « DEFA Futurum », dont l’ambition était de contrer la représentation du futur propagée par les médias occidentaux et ouest-allemand [1]. Il fut mis en place au début des années 70 par les auteurs et scénaristes Claus Ritter et Joachim Hellwig (Hellwig qui cosigne le scénario de Dans la poussière des étoiles). Son objectif était de responsabiliser le citoyen communiste quant à la bonne manière de mettre à profit les outils et les changements permis par le progrès technologique, ainsi que d’informer sur les dangers encourus en cas de dévoiement de ces progrès (par un usage individualiste et impérialiste, ou plus simplement capitaliste). Il était important que l’image donnée du futur ne soit pas trop éloignée du présent, en ce qu’il ne fallait pas sous-entendre que les sociétés communistes étaient perfectibles. C’est pour ces raisons probablement que plusieurs éléments de la direction artistique associée aux terriens semblent très contemporains de la date de tournage du film. Les costumes typés années 70 en premier lieu mais également le design des vaisseaux spatiaux, qui rappelle fortement celui des vaisseaux fabriqués par l’URSS à la même époque (Soyouz et ses évolutions).

Le réalisateur assigné au projet est l’un des experts du cinéma de divertissement Est-Allemand, Gottfried Kolditz, qui co-signe également le scénario [2]. Il officie pour la DEFA depuis le milieu des années 50 et s’est essayé à pratiquement tous les genres, film de réalisme social sur les réussites du monde ouvrier (Simplon Tunnel, 1959) ; adaptation d’opérette (Die schöne Lurette, 1960) ; film de conte de fée (Blanche-Neige, 1961) ou encore comédie musicale (Revue um Mitternacht, 1962). Mais dans les années 70 c’est dans le genre du western qu’il excelle et parvient à faire revenir les spectateurs dans les salles obscures, en particulier avec Les Apaches (1973), qui ressemble 3,7 millions de spectateurs et devient le plus gros succès de l’année. La spécificité du western socialiste est de prendre pour protagonistes, non pas les cow-boys, mais le peuple indien opprimé en lutte contre les occidentaux impérialistes. Une situation qui se retrouvera dans le film qui nous intéresse ici. Kolditz a également réalisé un premier film de science-fiction, Signal en 1970, que nous avons évoqué plus haut. Un film particulièrement ennuyeux, sous influence de 2001, qui ne convainquit pas les spectateurs. Cependant, lors de son travail préparatoire de l’époque, le second film occidental de science-fiction qu’avait regardé Kolditz n’était autre que le Barbarella de Roger Vadim (1969). Un film à forte composante comique et érotique auquel il est difficile de ne pas penser devant Dans la poussière des étoiles.

UNE AVENTURE COMMUNISTE A LA CROISÉE DES GENRES

Ce qui participe à l’incongruité totale qu’est le film est sans doute cet aspect patchwork de genres. Si le point de départ de l’intrigue, l’arrivée de terriens ayant capté un appel de détresse sur une planète inconnue, rappelle un classique comme Planète Interdite (1955) celle-ci évolue rapidement vers le récit de libération et émancipation d’un peuple opprimé dans des décors désertiques [3], un thème et une imagerie qui renvoient donc avant tout aux westerns pro-indiens grâce auxquels Kolditz avait séduit le public. Mais à ce canevas-là s’ajoutent plusieurs étranges séquences musicales et dansées, la plupart d’entre elles illustrant, a priori, la décadence de la société impérialiste à laquelle sont confrontés nos héros. À cette société antagoniste est associée une esthétique bariolée et psychédélique, des pratiques étranges qui lorgnent plus du côté de l’ésotérisme new age que de la science-fiction prédictive.


Pour autant les protagonistes terriens eux-mêmes sont parfois rattachés à ces codes visuels, on pense à leurs tenues de soirée en cuir rouge, à col pelle à tarte et patte d’éléphant, ou à leurs cabines colorées, moquette au sol et sur les murs, motifs tout en rondeurs. 

Le film n’est également pas avare en nudité. C’était une récurrence dans l’Allemagne de l’Est, société où le naturisme devint très populaire à la fin des années 70 [4]. Mais encore une fois il y a la nudité des méchants impérialistes, qui se débauchent dans des formes de danses lascives et séductrices, tandis que celle des astronautes, représentée par l’hallucinante danse en contre-jour de l’actrice allemande Regine Heintze, semble incarner une recherche d’apaisement et de beauté qu’il faudrait comprendre comme saine et profitable au corps social.

La dimension marxiste-léniniste du récit s’exprime ainsi à tous les niveaux du récit, mais bien sur de façon particulièrement saillante dans la représentation de la société antagoniste, de son entreprise d’exploitation d’un peuple indigène ainsi que de corruption du groupe des astronautes. Selon les critiques de l’époque il s’agissait d’une allusion à certains pouvoirs africains dont les dictateurs, téléguidés par les intérêts des pays occidentaux, exploitaient leur population dans les mines de métaux précieux ou de diamant et affichaient leur opulente richesse sans honte devant les observateurs internationaux. Les astronautes cèdent par ailleurs aux tentations offertes par Ronk lors de sa fête, qui rappellent l’ambiance des casinos des sociétés capitalistes, où l’argent et le vice sont rois. La société indigène enfin, dont les costumes font fortement penser aux tenues des tribus amérindiennes, renvoie bien sûr à l’arrogance et à l’impérialisme américain vis-à-vis de son propre peuple autochtone.

Restent les éléments de torture, de lavage de cerveaux et d’hypnose, autant d’outils dont usent les antagonistes pour manipuler les terriens. Il faudrait y voir sans doute une allusion aux méthodes brutales des agences d’espionnages américaines telles que la CIA, mais difficile pourtant de ne pas penser à celles qu’employaient avec au moins autant de détermination les ministères de sécurité et surveillance socialistes tels que la Stasi est-allemande ou le KGB soviétique. Libre au spectateur d’y voir une critique cachée du régime producteur, ou non.  

Le casting en général ne brille malheureusement pas par son charisme aventurier. Comme souvent pour ses productions couteuse le cinéma Est-allemand fait appel à un casting international issu des différents pays frères, la comédienne principale tchèque Jana Brejchová, ex-épouse de Milos Forman, et le comédien polonais de renom Léon Niemczyk entourent des acteurs allemands, roumains, serbes et bulgares. Le film est conséquemment entièrement postsynchronisé. Reconnaissons en tout cas à nouveau au cinéma socialiste de mettre les personnages féminins au premier plan de leurs intrigues, l’équipage d’astronaute étant paritairement composé d’hommes et de femmes.

UN PEU D’HUMOUR, BEAUCOUP DE NANAR

Le film enfin ne manque pas d’une certaine dose d’humour, mais il s’agit surtout de certains gags ponctuels ayant traits à aux différences d’us et coutumes entre les cultures ou à des innovations technologiques inconnues (par exemple l’astronaute Thob qui ne parvient pas à se servir d’un vaporisateur qui lui est servi comme un verre de vin). Car par ailleurs le réalisateur et son équipe semblent complètement inconscients du potentiel de ridicule de leur création et ne font preuve d’aucun second degré dans le déroulement d'une intrigue en définitive simpliste et composées de péripéties rocambolesques. Le cas du chef suprême de la société impérialiste est exemplaire : présenté comme un tyran capricieux, vêtu de manière exubérante, plus préoccupé par les femmes, la musique et le dressage de serpent que par ses responsabilités de gouvernant, il ne semble jamais menaçant et suscite bien plus le rire que l'effroi. Pris au sérieux par les autres personnages, jamais le scénario ou la réalisation ne nous donnent l'impression qu'il faudrait rire à ses dépens.


Le problème vient au fond principalement d’une incapacité totale à susciter des effets dignes d’une production de ce genre tels que l’émerveillement ou le suspense, à filmer efficacement les scènes de cascade et d’action, ou à créer des effets spéciaux convaincants. Gottfried Kolditz, malgré sa longue expérience derrière la caméra, ne démontre aucune réelle qualité de metteur en scène, condamnant son film à ne pouvoir être apprécié que pour la bizarrerie de l’ensemble de ses choix esthétiques. Peut-être faut-il voir dans cette excentricité l’héritage laissée par ses nombreuses réalisations dans le genre du film pour enfant et du musical. Le film recèle en tout cas de nombreuses surprises dont la présente chronique ne fait en réalité qu'effleurer la surface... 

LA DERNIÈRE SORTIE SPATIALE DE LA DEFA

En termes de cinéma de science-fiction le film est finalement complètement détaché des références de son temps. Avec son allure de réinvention 70’s d’une combinaison de Star Trek et de Barbarella, il sera définitivement ringardisé par l’arrivée de Star Wars l’année suivante. Malgré son discours politique sans ambiguïté, la débauche d’éléments visuels, sonores et narratifs déconcertants font du film une exception dans le paysage cinématographique généralement plutôt sage de la RDA. La politique culturelle du régime évolue par phase et la période de production de Dans la poussière des étoiles incarne une forme de détente et de liberté créative de courte durée. Elle s’atténuera avec les tensions qui feront suite à l’expatriation forcée de plusieurs artistes est-allemands en 1978, lesquels furent accusés de ne pas être assez en accord avec la doxa du régime. Jamais plus le studio n’ira aussi loin dans l’expérimentation pop, tout comme il ne ne s'aventurera plus jamais dans les confins de l'espace. Avis donc aux cinéphiles curieux et audacieux, il s'agit d'un spectacle unique que vous ne devriez pas regretter.

NOTES :

[1] On peut penser au documentaire ouest-Allemand Souvenirs du futur (Erinnerungen an die Zukunft,Harald Reinl,  1970) adapté du livre best-seller Présences des extraterrestres de Erich von Däniken sorti en 1968, à la série de bande dessinées jeunesse allemande à succès Perry Rhodan, adaptée au cinéma dans une co-production européenne Quatre, trois, deux, un, objectif Lune (Primo Zeglio, 1967), ou encore Alpha Alpha, série d’anticipation ouest-allemande de 1972. Sans compter bien sur les séries étrangères qu’étaient l’américaine Star Trek (1966-69) ou l’anglaise UFO, alerte dans l'espace (1970-73).
[2] Kolditz a-t-il été à l’origine de l’idée originale ? Ou cela vient-il de Joachim Hellwig ? Nous n’avons pas d’éléments pour le déterminer
[3] Les plaines désertiques où sont tournées les scènes en décor réel appartiennent à ce qui était alors l’un des pays frères, la Roumanie communiste de Ceaușescu, co-productrice du film. 
[4] Après avoir essayé d’interdire les mouvements naturistes au début des années 50, l’état socialiste fait face à de grands mouvements de protestation et finit par autoriser la pratique en 1956. Sa popularité grandissante au fil des décennies peut s’expliquer en ce que les citoyens pouvaient ainsi pratiquer une activité où la surveillance de l’état est absente car, une fois tout nu, il n’y avait plus rien à cacher, en quelque sorte.  

En savoir plus

La fiche IMDb du film


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Sortie le 03 décembre 2024
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SOURCES :

Défunte DEFA, Cyril Buffet, cerf-corlet, 2007

Le cinéma allemand, Bernard Eisenchitz, Armand Colin, 2008

• Site Web de la fondation DEFA : https://www.defa-stiftung.de/

• East German Cinema Blog : https://eastgermancinema.com/

• Livrets et bonus vidéos des éditions Artus Films réalisés par Christian Lucas

Par Nicolas Bergeret - le 13 février 2025