L'histoire
Mai 1940. Pour le caporal Binns et ses hommes, l’heure est grave : l’armée allemande pilonne les troupes à Dunkerque. L’évacuation doit commencer. De l’autre côté de la Manche, l’armée réquisitionne toutes les embarcations, des gros chalutiers jusqu’aux frêles esquifs, et fait appel aux civils pour aller récupérer les « Tommies » qui vivent l’enfer à quelques miles de là…
Analyse et critique
Le contexte des films de guerre anglais produits durant les années 40 en en appelaient, selon la volonté du ministère de l’information mis en place par Winston Churchill, à une veine de propagande visant à l’unité du peuple face aux rigueurs du conflit. La décennie suivante, riche également en films de guerre, visait plus de nuances et à montrer des pans moins glorieux de cette période. Dunkirk de Leslie Norman se situe dans un habile entre-deux en assumant la débâcle des faits soit l’évacuation de l’armée anglaise à Dunkerque, mais en célébrant l’héroïsme de ses circonstances, amenées à façonner le socle de la résilience nationale future. C’est une conclusion en partie proche du Dunkerque de Christopher Nolan (2016), mais en tout cas très éloignée de la vision désespérée de Henri Verneuil sur son excellent Week-end à Zuydcoote (1964) adoptant le point de vue français.
Le scénario de David Divine et W. P. Lipscomb trouve le bon dosage entre la fiction et l’illustration rigoureuse des évènements. Cela tient aux deux sources utilisées, le roman The Big Pickup de Trevor Dudley Smith, romancier et dramaturge, et Dunkirk coécrit Ewan Butler et J. S. Bradford, deux officiers ayant participé à « l’Opération Dynamo ». En quête de projets ambitieux pour le studio Ealing depuis son rachat par la Rank, Michael Balcon va acheter les droits des deux ouvrages et obtenir un cofinancement conséquent de la MGM pour produire un des grands films de guerre britannique de la décennie. Le film progresse selon un récit choral qui va s’attarder sur le ressenti civil et militaire des faits. Sur ces deux axes, le film se montre fort critique dans un premier temps. Les autorités militaires dépassées et impuissantes face aux progressions allemandes n’ont que le terrain médiatique pour donner le change, à la population comme à leurs troupes. L’ouverture se fait ainsi sur des dessins animés de propagandes projetés à des soldats hilares, tandis qu’en coulisse des gradés anxieux s’éclipsent pour aller déterminer la marche à suivre après un énième échec. Une conférence de presse traduit cette omerta auprès de journalistes qui ne sont pas dupes du fiasco en cours.
Peu de films avaient montré le climat de suspicion et d’anxiété au sein de la population anglaise avant ou lors des prémices de la guerre (avec quelques exceptions comme L’Etranger de Anthony Asquith (1943)) et la vision qu’en a Leslie Norman est assez cinglante. Le conflit s’avère une source de profit pour l’entrepreneur John Holden (Richard Attenborough) fournissant l’armée en pièces mécaniques, et il n’y voit qu’une guerre de pacotille qui n’est pas destinée à durer – ce qui lui vaudra une altercation sévère avec un soldat en permission. Ceux plus conscients de la gravité du contexte comme le journaliste Charles Foreman (Bernard Lee) sont totalement désabusés par l’attitude des autorités militaires et politiques. La description d’une petite unité militaire passe de la bonhomie rigolarde au doute et désespoir lorsque, isolés, ils traverseront les lignes désormais ennemies françaises en subissant les bombardements des avions de la Luftwaffe et les tirs de l’armée allemande en pleine avancée. Là encore, Leslie Norman met l’accent sur les dissensions du groupe mené par le caporal Bins (John Mills) peinant à imposer son autorité à des hommes pas préparés à une telle épreuve.
C’est par touches progressives que va se dessiner l’union sacrée dans tous les pans de la population anglaise. Les circonstances forcent les protagonistes à faire face à leurs responsabilités par la force d’un collectif peu à peu au diapason. Les situations et l’interprétation subtile empêchent tout manichéisme dans cette évolution, que ce soient les hommes de Bins comprenant que les choix de ce dernier les ont sauvés, ou Holden tancé par Foreman puis honteux face au courage de son jeune employé prêt à aller au feu. Ce n’est qu’à partir de là que se dessinent une imagerie plus glorieuse tel le grand départ des bateaux civils vers Dunkerque sur le thème musical héroïque en diable de Malcolm Arnold. C’est pourtant là, sur les plages et eaux de Dunkerque, que les épreuves et pertes les plus douloureuses les attendent. Les moyens colossaux sont là pour montrer de la façon la plus spectaculaire et sombre les pertes anglaises. La pyrotechnie des multiples explosions et destructions impressionnent, tout comme l’alternance des techniques. Des stock-shots de vrais vols sont utilisés pour les scènes aériennes, d’autres issus du film La Mer cruelle de Charles Frend pour le naufrage d’un destroyer, les constructions d’ampleur se superposent à des trucages réussis (la maquette et le matte-painting de la vision enflammée de Dunkerque vue depuis la mer) dans un tout très harmonieux témoignant du savoir-faire de Ealing.
Le récit jongle entre la solennité du roman national et l’introspection dans un chaos servant de révélateur au volontarisme des autorités, du courage des individus. C’est une défaite dont les circonstances et les sacrifices douloureux posent les bases des victoires à venir. La construction est certes prévisible et les hommages un peu appuyés (l’allusion à Churchill comme homme de la situation un peu en contrepoint des réserves initiales des personnages) mais l’ensemble forme un tout cohérent, tragique et épique très efficace. Le public anglais ne s’y trompera pas, en faisant le troisième film au box-office annuel, devancé notamment par Le Pont de la Rivière Kwai de David Lean.
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DUNKERquE
Combo Blu-Ray/DVD
Sortie le 22 avril 2025
Editions Tamasa