Critique de film
Le film
Affiche du film

Gothic

L'histoire

Le 16 juin 1816 en Suisse, la nuit la plus célèbre de la littérature fantastique moderne. En effet, sont réunis dans une luxueuse villa qui surplombe le lac Léman deux illustres poètes, Lord Byron et Percy Shelley, leurs compagnes Claire Clairmont et Mary Shelley, ainsi que le docteur Polidori, le médecin de Byron. Le docteur propose un concours d'histoires "gothiques". C'est ainsi que naquirent les deux mythes de la littérature fantastique : Frankenstein et The Vampyre. Gothic est le récit des étranges événements qui se déroulèrent cette nuit-là dans la villa Diodati.

Analyse et critique

Gothic est le film du retour en Angleterre, mais aussi d’un certain retour aux sources, pour Ken Russell. L’expérience américaine s’est révélée assez mitigée pour le réalisateur, davantage d’un point de vue commercial qu’artistique. Valentino (1977), son biopic sur Rudolph Valentino fut un échec commercial, Au-delà du réel (1980) fut agité par les conflits entre Russell et son prestigieux scénariste Paddy Chayefsky (qui en définitive signera le script sous un pseudo en désapprobation) et Les Jours et les nuits de China Blue (1984) - malgré la présence de la star Kathleen Turner - ne rencontra pas son public non plus. Les trois films sont des réussites mais leur faillite au box-office, ainsi que l’incompréhension des exécutifs de studios et des équipes techniques face à la personnalité fantasque de Russell, scellèrent les rêves hollywoodiens de ce dernier. Gothic marque donc le retour au pays à travers un sujet typique de Ken Russell, celui de la création et de la figure de l’artiste au cœur de certains de ses plus grands films comme The Music Lovers (1971), Le Messie sauvage (1972), Mahler (1974) ou Lisztomania (1975), ainsi que de ses premiers travaux télévisés au sein de la BBC.

Le scénario de Stephen Volk prend comme point de départ la légendaire nuit du 16 juin 1816 qui vit le poète Percy Shelley, sa compagne Mary Shelley, Claire Clairmont et le docteur Polidori séjourner à la villa Diodati en Suisse chez Lord Byron. Les évènements de cette nuit aboutiront à la création de deux œuvres majeures de la littérature gothique, Le Vampire de John Polidori et surtout Frankenstein de Mary Shelley. Cette nuit fructueuse et apparemment agitée a toujours nourri un grand fantasme de fiction, avant et après le film de Ken Russell. Le classique La Fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale prend ce cadre pour prémices, tout comme Un été en enfer (1988) d'Ivan Passer, et le récent biopic Mary Shelley (2017) de Haifaa al-Mansour en fait le fil rouge et le climax de son récit. Ken Russell lui-même faillit réaliser un film sur le sujet dans les années 1970, avec l’acteur Robert Powell, mais dû renoncer faute de financements.

Gothic s’attarde moins sur le processus de création des œuvres à venir que sur le contexte et l’excentricité des artistes en place. Si les dialogues, les situations et l’imagerie suggèrent largement que les caractéristiques de Frankenstein et du Vampire sont inscrits dans l’inconscient collectif, ou repérables par les initiés, il n’est nullement question de dépeindre explicitement l’inspiration future des romans/nouvelles. On retrouve ici la démarche de déconstruction provocatrice au cœur des grands portraits d’artistes de Russell. Lord Byron (Gabriel Byrne) est un narcissique torturé et ténébreux, se plaisant à exacerber pour choquer les élans morbides de ses écrits. Percy Shelley (Julian Sands) est, quant à lui, un toxicomane accro au laudanum, un homme-enfant aux humeurs vacillantes selon le degré de sensations de manque. Autre élément typique de Russell, derrière chaque artiste il y a toujours une femme sacrificielle et prête à un voyage au bout de la nuit pour mettre l’être aimé dans des conditions créatrices idéales.

Claire (Myriam Cyr) est entièrement soumise aux désirs, fantasmes et maltraitances de Byron, moins muse que jouet dont il finira probablement par se lasser. Mary (Natasha Richardson) nourrit plutôt des instincts maternels et protecteurs envers Shelley, écorché vif et vulnérable. Les dialogues d’abord, puis les situations vont laisser deviner le passif et les interactions entre chacun d’eux. Natasha Richardson, par sa prestation, laisse entrevoir une Mary amoureuse mais néanmoins indépendante, n’existant pas dans une position de pure soumission face à Shelley, au contraire du couple Byron/Claire au sein duquel cette dernière n’est qu’un pantin soumis à ses caprices. L’atmosphère oppressante ne doit ainsi rien à une supposée présence surnaturelle dans la demeure mais tout aux démons bien intérieurs que tous ont apportés avec eux. Russell les filme d’abord comme des rocks stars, des adolescents turbulents, imbus d’eux-mêmes et avides d’expériences (opiacées, sexuelles, de spiritisme) avant de les exposer comme les enfants névrosés et apeurés qu’ils sont.

Le réalisateur entremêle les poncifs du cinéma gothique (crypte inquiétante, ombres menaçantes, bande-son hurlante) avec les traumas relatifs au passé des protagonistes, des flash-forward sur le futur tragique de certains mais aussi des éléments fondamentaux des deux œuvres littéraires qui découleront de cette nuit. Le bébé perdu par Percy/Mary, la présence vampirique de Byron qui inspire John Polidori (ainsi que des visions dans lesquelles il dévore Claire), la noyade annoncée de Shelley, tout cela forme un kaléidoscope entre illusion et réalité, vérité et fiction, passé, présent et futur. C’est l’occasion pour Russell de lâcher les chevaux comme il se plaît tant à le faire à travers des vision outrées, baroques et provocantes dans une hystérie de tous les instants. C’est d’ailleurs l'un des problèmes du film. L’amateur de Russell vient pour cet excès typique du réalisateur, mais ce dernier sait toujours le mettre au service d’une émotion. C’est ce qui manque un peu ici où l’interprétation défaillante d’un Julian Sands et d'un Gabriel Byrne trop cliché dans son tempérament carnassier, ne parviennent pas retranscrire cette dimension d’artistes qui malgré leurs travers "mériteraient" la dévotion de Mary et Claire. Seule Natasha Richardson parvient à susciter une relative empathie, mais pour le reste, c’est un bruit et une fureur qui tournent parfois un peu à vide. Comme un aveu d’échec, la dernière scène révèle par la voix-off tout ce qui était tapageusement suggéré par l’image concernant les personnages, comme si le langage du cinéma n’avait pas suffi à impliquer le spectateur. Il n’en reste pas moins que Gothic sera un succès commercial qui relancera, pour la fin des années 80 du moins, la carrière de Ken Russell.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 17 mars 2023