L'histoire
Dans le couloir de la mort de la prison d’Abashiri, plusieurs prisonniers attendent leur exécution. Parmi eux, Ichiro Kozue, un petit criminel condamné suite aux faux témoignages de certains de ses complices. Avec quelques codétenus, il s’évade et le groupe se trouve confronté au climat particulièrement rude du nord du japon. La plupart meurt quelques jours après, mais Ichiro, lui, parvient à atteindre une petite ville dans laquelle il va pouvoir se reposer, et préparer sa vengeance.
Analyse et critique
Longtemps méconnu en Europe, Teruo Ishii est pourtant une figure majeure du cinéma japonais, à la tête d’une très longue filmographie, essentiellement condensée entre la fin des années 50 et la fin des années 70, deux décennies durant lesquelles il tourne près de 90 films. Cinéaste de studio, Ishii fait l’essentiel de sa carrière à la Toei et les productions auxquelles il est associé suivent l’évolution des modes cinématographiques, représentant tous les genres, notamment l’ero guro (grotesque érotique) auquel il est souvent associé. Ce qui fera sa popularité, c’est la franchise Abashiri Prison dont il tourne le premier épisode en 1965 avec Ken Takakura dans le rôle principal. La série comptera 18 épisodes au total, dont 10 mis en scènes par Ishii entre 65 et 67. Usé par ce thème, il l’abandonne pour les 8 derniers opus, avant de voir son décor favori refaire surface en 1975. Great Jailbreak n’appartient pas strictement à la série mais Ishii y retrouve les éléments principaux de ses succès des années 60 : l’acteur Ken Takakura, la neige qui entoure Abashiri, la prison la plus septentrional du japon, et un récit d’évasion et de vengeance.
A partir d'un récit d'évasion simple et classique, Great Jailbreak se construit en trois parties distinctes, dont la première se concentre sur l’évasion, et plus particulièrement la fuite des prisonniers. En effet après une rapide présentation des personnages, Ishii expédie l’évasion en quelques minutes pour plonger ses protagonistes dans l’enfer enneigé du nord d’Hokkaido. L’occasion d’éliminer quelques-uns des évadés pour se concentrer sur le principal, Ichiro Kozue, que l’on croit, à l’issue de la première demi-heure de film, le seul survivant de l’équipée. Il s’agit probablement de la partie la plus réussie du film, révélant un Ishii particulièrement inspiré par ses décors et enchainant les somptueux tableaux lors de l’errance du groupe de prisonnier qui s’amenuise lors des minutes. Tout le savoir faire technique du cinéaste s’y impose, avec une photographie digne des plus beaux films d’Hideo Gosha. C’est à la fin de cette séquence qu’Ichiro rencontre Aki, une danseuse malade et abandonnée par sa troupe, avec laquelle il va se réfugier dans l’auberge d’un petit village. S’ouvre alors la seconde partie du film qui s’articule autour d’une romance platonique entre Ichiro et Aki qui ne fonctionne pas totalement, la faute à un personnage féminin qui manque d’épaisseur, essentiellement caractérisé par son rapport au héros. L’impression qui domine est celle d’un manque d’intérêt assez net du cinéaste pour cette partie de l’intrigue, qui ressurgira un peu artificiellement lors de la dernière scène du film, et qui crée un ventre mou au cœur du récit.
Great Jailbreak retrouve de la consistance dans sa troisième partie alors qu’Ichiro est de retour en ville pour exécuter sa vengeance. Kunizo, l’un des évadés qu’Ichiro avait laissé pour mort, réapparait alors pour finalement s’associer au héros dans une séquence d’action finale remarquablement mise en scène, qui offre un superbe rebond final au film. Conçu comme un véhicule pour Ken Takakura, star du ninkyo eiga – le film de yakuza chevaleresque – qui se retrouvait sur la pente descendante dans les années 70 avec le triomphe du jitsuroku eiga – film de yakuza plus réaliste -Great Jailbreak tire profit de bout en bout du charisme de son acteur principal. Dans un rôle un peu plus ambigu qu’à l’accoutumée, même si sa noirceur est atténuée par la deuxième partie du film, certainement imaginée pour rendre au public l'acteur qu'il connaît, Takakura est convaincant de bout en bout mais se révèle encore plus nettement dans la dernière partie, lorsqu’il est confronté puis associé au toujours génial Bunta Sugawara, la star du jitsuroku eiga et notamment des indispensables Combats sans code d’honneur de Kinji Fukasaku. Combiné à l’efficacité d’Ishii dans la mise en scène des séquences d’action qui constituent la majorité de la fin du film, le duo contribue à faire du final de Great Jailbreak un excellent moment du cinéma d’action et de gangster japonais.
Great Jailbreak ne manque pas d’arguments : deux acteurs formidables, une belle réussite esthétique, un thème musical séduisant. Mais il se trouve malheureusement handicapé par le traitement peu convaincant de sa dimension plus romantique, qui occupe le cœur du film. Cela n’en fait pas un ratage, loin de là, mais laisse le sentiment d’un film incomplet, qui restera un spectacle plaisant pour les amateurs du cinéma de gangsters japonais sans atteindre les sommets du genre.
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Great Jailbreak
Blu-Ray
sortie le 5 septembre 2024
éditions Roboto