L'histoire
La riche héritière Tracy Lord (Grace Kelly) doit épouser en secondes noces George Kittredge, un riche industriel appartenant comme elle à la haute société de Newport. Dans la villa voisine, son ex-mari Dexter (Bing Crosby), modeste compositeur de chansons populaires, est là pour présenter un festival de jazz. N’ayant jamais cessé de l’aimer, Dexter vient sans cesse la relancer en lui prédisant un mariage ennuyeux avec George. Parallèlement, un magazine People menace la famille Lord de révéler l’adultère du père de Tracy si celle-ci n’accepte pas que deux de ses journalistes, Mike (Frank Sinatra) et Liz (Celeste Holm), viennent couvrir la cérémonie et ses préparatifs. La mère de Tracy le permet pour éviter tous scandales. Mike tombe à son tour sous le charme de Tracy ; la jeune femme ne sait plus trop où donner de la tête avec ces trois hommes qui lui tournent autour avec insistance alors que le mariage est prévu pour le lendemain…
Analyse et critique
Dans son ouvrage sur la comédie musicale aux éditions La Martinière, Patrick Brion, étonnement pas très fan du film, replace cet extrait d’un entretien avec Charles Walters : "La distribution était très impressionnante. Crosby est un des êtres les plus agréables avec qui j’aie jamais travaillé. La musique était très bonne, ce dont j’étais particulièrement content étant donné que j’allais régler tous les numéros moi-même. Il y a une seule chanson que Cole n’arrivait pas à nous fournir et c’était très important puisque c’était celle qui allait réunir Crosby et Sinatra et que tout le monde allait attendre..." Finalement, en plus de chansons toutes inédites, ils reprirent pour ce numéro mémorable Well, did you Evah? que Charles Walters chantait et dansait en duo avec Betty Grable en 1939 dans le musical de Broadway DuBarry was a Lady. Et avant de devenir réalisateur, Charles Walters dirigea en 1943 des séquences de danse du très plaisant… Du Barry was a Lady de Roy Del Ruth. Une chanson qui l’aura poursuivi durant une quinzaine d’années et qui est devenu un classique au travers justement cette séquence éminemment sympathique rassemblant pour la première fois à l’écran les deux plus grands crooners américains de l’époque.
Beaucoup diront qu’il était peut-être présomptueux de vouloir faire un remake de The Philadelphia Story (Indiscrétions) de George Cukor ! Pourtant on a déjà vu à maintes reprises d’autres remakes très réussis de chefs d’œuvres soi-disant intouchables. Et me concernant c’est bien évidemment encore le cas ici. Nous tenons même avec High Society l’une des plus charmantes comédies musicales de la MGM et il n’est d’ailleurs pas interdit de prendre encore plus de plaisir à cette version musicale qu’à l’original. Le film de Cukor étant à la base l’adaptation d’une pièce de théâtre, pourquoi d’ailleurs parlerions-nous de remake pour Haute société alors qu’il pourrait tout simplement s’agir d’une autre adaptation de cette pièce ? Et quoi qu’il en soit, certains pourraient me rétorquer tout à fait légitimement qu’il est de fait assez ridicule de comparer les deux films, l’un étant une vigoureuse ‘Screwball Comedy’, l’autre un pur ‘musical’ au tempo expressément bien plus apaisé ; mais l’intrigue reposant sur la pièce de Philip Bany étant quasiment identique, il peut être compréhensible d’en parler, les détracteurs du film de Charles Walters ne se gênant d'ailleurs pas pour enfoncer ce dernier en le mettant en parallèle avec son prédécesseur. Je ne me permettrais pas ce jeu stupide, les deux films dans leurs genres respectifs s’avérant tout aussi jubilatoires l’un que l’autre.
Que cette réappropriation d’un matériau à succès soit musicale est une bonne chose car Charles Walters aura toujours eu beaucoup plus d’affinités avec la comédie musicale qu’avec la comédie classique. Effectivement, la plupart des comédies vaudevillesques de Walters valent surtout ce que valent leurs scénarios et leurs comédiens, le réalisateur se reposant avant tout sur eux et ne faisant pas forcément beaucoup d'efforts sur la forme. Hormis Ne mangez pas des marguerites, la plupart d'entre elles s’avèrent au final un peu ternes et mal rythmées, que ce soient The Tender Trap (Tendre piège) avec Frank Sinatra et Debbie Reynolds, Ask Any Girl (Une Fille très avertie) avec David Niven et Shirley MacLaine, voire même son dernier film, Walk Don’t Run (Rien ne sert de courir) avec Cary Grant et Samantha Eggar. Il n’en va pas de même pour ses comédies musicales, au contraire pour beaucoup mémorables et pour certaines faisant même partie des plus exquises de l’équipe MGM d’Arthur Freed aux côtés de celles de Vincente Minnelli, Stanley Donen ou George Sidney, les 4 mousquetaires du musical de la MGM comme les a surnommé René Gilson. Citons notamment, produites par Arthur Freed ou non, le sublime Easter Parade avec Fred Astaire et Judy Garland ; le splendide et touchant Lili avec Leslie Caron et Mel Ferrer - dont on attend toujours qu’il sorte sur support numérique ; deux des meilleurs films avec Esther Williams, Easy to Love mais surtout le superbe Dangerous when Wet ; ou enfin le film qui nous concerne ici avec l’inoubliable quatuor réunissant - excusez du peu - Grace Kelly, Frank Sinatra, Bing Crosby et Louis Armstrong.
Car High Society est bel et bien une charmante comédie musicale champagnisée, sans nécessairement de chorégraphies mais aux chansons de Cole Porter toutes aussi délicieuses les unes que les autres même s’il aura fait beaucoup plus inoubliable dans le genre avec par exemple son travail absolument formidable sur Kiss me Kate. N’empêche que celles contenues dans High Society constituent une véritable mine de petits délices mélodiques, que ce soient, par ordre d'apparition, la chaleureuse Calypso par Louis Armstrong, Little One susurrée par Bing Crosby, l'amusante Who Wants to be a Millionaire par Frank Sinatra et Celeste Holm, la célébrissime True Love par Bing Crosby et Grace Kelly qui prit des cours de chants pour l'occasion, la très romantique You're Sensational 'croonée' à merveille par Frank Sinatra, son alter-ego 'Crosbyenne' I Love You Samanta, la divertissante Now You Has Jazz durant laquelle Bing Crosby présente les membres de l'orchestre d'Armstrong, la fameuse Well did you Evah?, et enfin la splendide Mind if I Make Love to You par Sinatra. Un joli programme musical ! Sinon les dialogues sont pétillants à souhait, la mise en scène s’avère très solide à défaut d’être mémorable et l'interprétation d’ensemble parfaite. La lumineuse Grace Kelly, minaudant et cabotinant avec talent, démontrant à cette occasion un potentiel de jeu peu exploité, y est plus charmante que jamais dans son dernier rôle avant de devenir princesse et l’exquis duo Bing Crosby et Frank Sinatra n’a rien à envier à celui précédemment formé par James Stewart / Cary Grant. Quant à la trop peu connue Celeste Holm, elle s’avère une nouvelle fois enchanteresse dans le rôle de la journaliste éperdument amoureuse de son collègue sans vouloir le montrer.
Voilà pour la forme, les équipes techniques et artistiques de la MGM se révélant toujours aussi efficaces et talentueuses. Quant au fond, il n’est pas aux abonnés absent : Charles Walters et son scénariste John Patrick (très beau palmarès au passage : La Colline de l'adieu de Henry King ; Les Girls de George Cukor ; Comme un torrent de Vincente Minnelli…) atténuent certes la satire sociale de l’original sans pour autant l’éliminer ; la haute société de Newport qui se vautre dans la futilité et l’oisiveté mais qui ne respire pas la joie de vivre est gentiment tourné en dérision. Et entre deux quiproquos et traits d'humour, les auteurs s’appesantissent avant tout sur l’évolution morale du personnage très attachant de Tracy qui sous ses airs bravaches et glaciaux se révèle un être tourmenté en plein questionnement. Avec son élégance et sa délicatesse habituelle, le réalisateur fait le portrait d’une femme horripilante d’intolérance, superficielle et insatisfaite qui, en abandonnant ses idées arrêtées et en faisant fi de la bienséance, va parvenir à trouver le bonheur et à se rendre sympathique aux spectateurs. Certes le tout au sein d’un charmant et inconséquent marivaudage matrimonial. Mais ne boudez pas votre plaisir et allez vous rendre compte par vous-même du charme que dégage l’un des films les plus rentables de l’année 1956. Un divertissement de haute tenue, savoureux, plein de fraicheur et à la bonne humeur communicative. Comme on dirait de nos jours, un Feel Good Movie !