Critique de film
Le film
Affiche du film

Il marchait la nuit

(He Walked by Night)

L'histoire

Dans une rue de Los Angeles, un officier de police rentrant chez lui interpelle un individu suspect, qui s’afférait autour de la porte d’un magasin d’électronique. L’échange dégénère rapidement et l’officier de police est mortellement blessé. Une chasse à l’homme va se mettre en place, pour identifier le suspect et l’appréhender. Pour cela, la Police va déployer un impressionnant arsenal de moyens humains et technologiques.

Analyse et critique

Des rues sombres, un récit méticuleux et nerveux, quelques séquences spectaculaires, voici qui fait systématiquement le plaisir de l’amateur de film noir, et particulièrement du ‘procedural’, ce sous-genre qui s’intéresse particulièrement aux méthodes des forces de l’ordre. Il marchait la nuit, film un peu méconnu, répond à tous ces critères. Voici un archétype du genre, qui propose un récit relativement traditionnel, celui de la traque d’un criminel connu du spectateur, qui va permette de mettre en exergue les procédures mis en œuvre par la police ainsi que, dans un montage parallèle, les faits et gestes du hors-la-loi. Le spectateur découvre ainsi le fonctionnement de ses institutions, ici la police Los Angeles, et notamment une police scientifique naissante dont la principale illustration est la longue scène de construction d’un portrait-robot, probablement une des premières du genre dans le cinéma américain. Simultanément, il voit la construction du portrait psychologique d’un homme à première vue comme les autres, qui va petit à petit dévoiler sa dureté et sa violence comme incarnation d’un mal qui peut se cacher en tout homme.


Il Marchait dans la nuit est une production Eagle-Lion, studio anglais prestigieux (Les Chaussons rouges, The Blue Lamp entre autres) qui se spécialisera aux Etats-Unis dans la production de série B, et notamment le film noir. En 1948, Alfred L. Werker et Anthony Mann sont sous contrat chez Eagle-Lion, et Il Marchait dans la nuit est principalement connu pour cette mention des deux réalisateurs. Qui a fait quoi ? A-t-on affaire au film d’un petit réalisateur de série ou à celle d’un grand nom. Il est difficile de trancher formellement. Il semble acquis que les deux hommes ont travaillé sur le film, plusieurs sources indiquant que Werker a commencé le film et Mann l’a terminé. On ne sait pas pourquoi, ni à quel moment. Certains biographes vont jusqu’à dire que Mann aurait tourné l’essentiel du film, alors que certains critiques font le tri, à notre sens un peu simpliste, entre des scènes frappantes marquées par le génie de Mann et des scènes plus faibles qui seraient l’œuvre de Werker. Il est impossible de connaitre totalement la vérité, mais ce qui est certain c’est qu’Il Marchait dans la nuit s’inscrit parfaitement dans la carrière de Mann dans les années 40, le rapprochement étant évident avec La Brigade du suicide, Marché de brutes et Incident de frontière. Un argument qui plaide pour un rôle majeur de Mann, mais qui illustre aussi le rôle de deux personnages majeurs, le scénariste John C. Higgins et le chef opérateur John Alton, dont la marque sur Il Marchait dans la nuit est indéniable.


Le premier des deux noms à retenir est forcément celui d’Alton, l’incarnation même de la photographie du film noir s’il devait y en avoir une. Il Marchait dans la nuit doit beaucoup à son éclairage, et est certainement à classer parmi les chefs d’œuvre du technicien qui comme à son habitude utilise des sources de lumières réelles, souvent unique pour créer une atmosphère typique de son travail. Le résultat une image sombre, propice au suspense et, bien sûr, à la description de la personnalité trouble du tueur. Le procédé fonctionne dès l’ouverture, lorsque Roy Morgan tue le policier, et se prolonge tout le long du film, pour culminer lors de son final dans les égouts où, combiné avec des plans remarquablement composés et une utilisation astucieuse du son, avec les coups de feu dont l’écho se propage dans les canalisations, l’éclairage particulier d’Alton produit un effet impressionnant. L’écriture d’Higgins fait le contre-point de cette lumière qui tire le film vers une dimension presque surréaliste. Inspiré du parcours d’un véritable criminel, Erwin « Machine-Gun » Walker, le scénario est particulièrement précis, se rapprochant du documentaire, y compris dans ses dialogues très naturels, secs et efficace. La combinaison du talent des deux hommes, et leur contraste, font d’Il Marchait dans la nuit une réussite comparable aux autres films de Mann que nous avons cité, à situer parmi les œuvres majeures du genre.


Si la démarche du film est celle d’un procedural, Il Marchait dans la nuit ne suit pas complètement la démarche habituelle du genre qui serait la mise en valeur exclusive des forces de l’ordre, et du corps qui est mis à l’honneur. Au contraire, le personnage qui se démarque du film est bien celui de Ray Morgan, le criminel. Ceci grâce à l’impressionnante performance e Richard Baseheart, qui n’est pas sans faire écho à celle de Richard Widmark dans Le Carrefour de la mort et qui parvient à exprimer toute la folie de son personnage par quelques goutes de sueur qui perlent sur son visage lors du final, ou lors de ce moment particulièrement intense où il s’extrait lui-même une balle du corps, filmé en gros plan par la caméra d’Anthony Mann (ou d’Alfred Werker)


Il Marchait dans la nuit est une production typique de la série B de la fin des années 40 : un film noir à petit budget, au récit particulièrement direct et efficace. S’il ne s’embarrasse pas d’un excès de psychologie ou d’une multiplication des niveaux de lecture, il brille par son esthétique parfaite, fascinante, et par quelques scènes particulièrement marquantes. Un indispensable du genre qui séduira immanquablement tous les amateurs de récits policiers.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 26 septembre 2024