L'histoire
Claire (Marlène Jobert) est interprète à l'UNESCO. En le traduisant lors d’un colloque, elle rencontre Simon (Jean-Michel Folon), un océanographe qui vit avec sa fille. C'est le début d’une touchante histoire d’amour. Mais un jour Claire découvre en prenant sa douche une inquiétante boule au niveau de la poitrine. Les divers examens confirment qu’il s'agit bien d’un cancer du sein qu’il va falloir soigner par radiothérapie. Claire refuse d'en parler à Simon qui est parti en mission à l’autre bout de la terre. Le traitement ne fonctionne pas : il va falloir pratiquer l’ablation du sein touché. La jeune femme a du mal à l’accepter considérant qu’il s’agit d’une atteinte à sa féminité. Dès que Simon revient de voyage, par peur de lui dire la vérité, sans plus d’explications, elle provoque une rupture brutale…
Analyse et critique
"C’est un film sur le bonheur, où la vie a une présence aussi forte que la maladie ou la mort. Le film repose sur un double mouvement. C’est d’abord une histoire d’amour, mais c’est aussi la rencontre d’une femme avec la maladie. En effet, les premiers moments de l’amour entre Claire et Simon donnent le sentiment d’une complicité sans réserve, d’un bonheur à la fois simple et éclatant. Mais très vite ce bonheur se brise, et c’est précisément cette brisure qui va donner à leur histoire une dimension exceptionnelle" déclarera Yannick Bellon en 1981 lors de la sortie en salles de son film.
Avant ce dernier, cette cinéaste encore bien trop méconnue, dès son coup d’essai, Quelque part, quelqu'un, signait un premier film aussi intrigant et envoutant que touchant sur la solitude en milieu urbain. Dès lors un style immédiatement reconnaissable se dégageait, mélange de Nouvelle Vague, de réalisme, de documentaire et de poésie. La Femme de Jean était encore plus marquant, poignant portrait d’une femme quittée par son mari et qui accomplissait son ‘travail de deuil’, finissant par y trouver indépendance et liberté. Du féminisme intelligent superbement réalisé et interprété avec notamment un tout jeune Hippolyte Girardot qui refait une courte apparition dans L’Amour nu. Puis ce sera ce qui restera son chef d’œuvre, Jamais plus toujours, un poème en images quasi-proustien sur la vie des objets, la nostalgie, l'amour, la vie et la mort ; rien cependant de prétentieux mais un film tout en tendresse, finesse et sensibilité. Les films suivants seront plus classiques sur la forme mais toujours aussi passionnants sur le fond, plus engagés et militants aussi puisque L’Amour violé abordera crûment et frontalement la thématique du viol, avec sa victime passant pour ‘la coupable’ : on ne peut proposer débat plus actuel !
Plus classique également sera L’Amour nu qui brosse le portrait d’une femme (superbe Marlène Jobert) qui se découvre un cancer du sein tout en dépeignant avec sa sensibilité habituelle une touchante histoire d’amour. C’est le retentissement de L’Amour violé (quasiment 2 millions d’entrée) qui donna à Yannick Bellon une notoriété nouvelle auprès des professionnels comme du public car malheureusement ses trois merveilleux premiers films étaient passés relativement inaperçus. Dans Ma Vie en plus, l’actrice Françoise Prévost écrivait un témoignage de son vécu durant la période où elle s’était découvert un cancer du sein au début des années 70. Yannick Bellon part de ce best-seller pour l’adapter en collaboration avec son auteur qu’elle avait côtoyé sur les tournages des films de Pierre Kast pour qui elle était alors monteuse. Depuis 40 ans, il y en a eu des dizaines de films osant aborder le sujet de la maladie mais avant ça on pouvait les compter sur les doigts d’une main. Il y avait eu le chef d’œuvre d’Arthur Hiller, le célébrissime et splendide mélo Love Story, en France Docteur Françoise Gailland de Jean-Louis Bertuccelli avec Annie Girardot dans le rôle titre. Mais c’était à peu près tout à l’époque, surtout concernant le cancer. Avec L’amour nu et son sujet douloureux, comme pour son précédent, Yannick Bellon oublie expressément toutes 'afféteries' de mise en scène, ou plutôt préfère mettre la forme en retrait (car on a vu auparavant de quoi elle était capable), pour rendre son film le plus sobre et le plus naturel possible ; les quelque moments au cours desquels elle y cédera, ces séquences ou ces images affaibliront selon moi son propos.
Le film dépeint le quotidien le plus banal de cette femme qui non seulement craint pour sa survie mais avant tout pour sa féminité, la nécessaire ablation d’un sein lui faisant perdre confiance en elle et en son futur pouvoir de séduction, décidant ainsi de mettre fin à sa pourtant magnifique histoire d’amour par honte et par peur qu’elle ne résiste pas à cette chirurgie, conditionnée par l’image de la femme que la société renvoie et où la perfection du corps est constamment mise en avant. On la voit d’une manière quasi documentaire se rendre aux examens, se faire ausculter, passer ses séances de radiothérapie au cobalt au cours desquelles elle fait de touchantes rencontres, en l’occurrence ici celle d’une dame au tricot interprétée par Tatiana Moukhine. Le film nous questionne sur la difficile appréhension de la maladie, sur l’acceptation de ses séquelles, sur nos propres préjugés contre lesquels nous devons lutter, nous décrit l’asthénie que la maladie entraine, l’évolution des relations avec les autres, dans le regard des autres. Yannick Bellon en profite pour aborder en filigrane d’autres sujets qui lui tiennent à cœur comme l’écologie ou le féminisme ; tout n’est pas toujours d’une grande finesse lorsque la cinéaste rue dans les brancards mais on mettra ça sur le compte de maladroites idées de mise en scène ou de montage, de naïvetés scénaristiques ou de quelques lourdeurs dans les dialogues ; car une fois encore ces thématiques sans cesse ressassés aujourd’hui (souvent pour de très légitimes raisons d’ailleurs) étaient presque tabous au début des années 80, en tout cas très peu mises en avant au cinéma.
Après le tétanisant L’Amour violé et sa très longue et presque insupportable séquence de viol, c’est à nouveau avec un certain courage que cette cinéaste indépendante se lance dans ce récit qui frôle de justesse la mièvrerie à deux ou trois reprises (notamment à cause d’une musique un peu trop simplette signée Richard de Bordeaux ; l’idée du chant des baleines…) mais qui retombe constamment sur ses pieds grâce surtout au couple formé par Marlène Jobert et le célèbre affichiste Jean-Michel Folon qui a également, avec ses bonhommes volants bleus, fait rêver les noctambules téléspectateurs d’Antenne 2 puisque les programmes de la chaine se refermaient entre 1975 et 1983 sur ce générique, l’un des plus inoubliables de la télévision française. Une postsynchronisation pas toujours très réussie empêche parfois l’alchimie d’opérer mais dans l’ensemble le couple se révèle extrêmement touchant ; d’un côté Claire, une femme libre, forte et battante mais qui pense cependant que l’ablation de son sein va l’empêcher de poursuivre une harmonieuse histoire d’amour ; de l'autre Simon, écologiste de la première heure, personnage lunaire et d’une profonde gentillesse. On ressent parfois le manque de métier de Folon en tant que comédien mais sa sympathie naturelle et son côté fantaisiste doux-rêveur finissent par emporter le morceau ; quant à Marlène Jobert, à l’époque souvent ‘castée’ dans des personnages de femmes assez ‘couillues’ dans quelques polars plus ou moins bons, elle se voit offrir ici l’un de ses plus beaux rôles. A leurs côtés, des artistes que l’on est peu habitué à voir devant la caméra : le cinéaste Georges Rouquier (Farrebique et Biquefarre) interprétant un personnage lui aussi très émouvant, un vieil homme meilleur ami de Simon, Jean-Claude Carrière dans le rôle d’un éminent professeur ou encore un tout jeune Florent Pagny qui se voit tacler avec virulence par Claire pour son côté macho.
Le film eut un certain succès mais reçut un accueil assez mitigé, ce qui n’empêchera pas la cinéaste de tourner encore quelques très bons film comme Les Enfants du désordre sur la difficile réinsertion des jeunes drogués (avec Emmanuelle Béart en tête d’affiche), et surtout l’excellent La Triche qui, sous ses atours de polar, narrait une touchante histoire d’amour entre Michel, un respectable commissaire, bon époux, et Bernard, un jeune musicien homosexuel joués respectivement par Victor Lanoux et Xavier Deluc. Pour en revenir au film qui nous concerne ici et conclure en essayant de donner envie de le découvrir, sachez que L’amour nu n’est pas un film sombre malgré son thème mais qu’il s’agit au contraire d’une œuvre juste, apaisée et délicate, d’un hymne à la vie prônant le bonheur accessible quelles que soient les circonstances ; car l’amour nu ou le véritable amour dépouillé de toutes ses hypocrisies peut s’affranchir du handicap physique nous dit l’attachante cinéaste. Suite à cette réception critique mi-figue mi-raisin, le film ne fit que moitié moins d’entrée que son prédécesseur. Tamasa nous offre la possibilité de réparer cette injustice grâce à leur Blu-ray qui vous fera découvrir un sujet douloureux traité avec sobriété en même temps qu'un beau et noble portrait d’une femme moderne et indépendante.