Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Aube Rouge

(Red Dawn)

L'histoire

Dans le monde uchroniquement réinventé de L’Aube rouge, le contexte géopolitique planétaire du début des années 1980 amène l’URSS à entrer en guerre contre des États-Unis privés de l’alliance ouest-européenne. Tandis que la RFA et d’autres puissances otaniennes du vieux continent décident de se retirer de la guerre froide toujours en cours, l’Amérique doit affronter seule une attaque massive et conjointe des Soviétiques aidés de leurs affidés latino-américains. C’est ainsi que la modeste cité de Calumet sise au cœur du Colorado est bientôt occupée par des soldats soviétiques et cubains, emmenés par le colonel Ernesto Bella (Ron O’Neal) et le général Bratchenko (Vladek Sheybal). Face à la vague rouge submergeant littéralement ce coin d’Amérique profonde, une résistance aussi locale que modeste se dessine bientôt. Celle-ci est le fait d’un groupe de très jeunes gens du cru parmi lesquels l’on compte Jed Eckert (Patrick Swayze) et son frère Matt (Charlie Sheen) et quelques-uns de leurs amis d’enfance tels Robert Morris (C. Thomas Howell), Daryl Bates (Darren Dalton) et Aardvark Mondragon (Doug Toby). D’abord exclusivement masculin, le maquis des « Wolverines » (ainsi nommé d’après le nom de l’équipe scolaire de football américain de Calumet) est ensuite rejoint par les sœurs Mason, Erica (Lea Thompson) et Toni (Jennifer Grey). C’est la lutte de moins en moins clandestine, se muant bientôt en guerre ouverte, de cette poignée de partisans made in USA contre l’Occupation communiste que narre John Milius avec L’Aube rouge…  

Analyse et critique


La fiction qu’est L’Aube rouge sort sur les écrans étasuniens le 10 août 1984. Soit en un temps historique marqué par une remontée des tensions inhérentes à la guerre froide, si vive que l’on parle à propos de ce début de la décennie 1980 de « guerre fraîche ». Celle-ci tient autant au choix soviétique d’un expansionnisme de plus en plus agressif, se traduisant notamment par l’invasion de l’Afghanistan en 1979, qu’à celui des États-Unis de renouer avec un affrontement ouvert à l’encontre de son principal adversaire. Rompant avec l’attentisme de la présidence démocrate de Jimmy Carter (1977-1981), celles républicaines de Ronald Reagan (1981-1985/1985-1989) voient les États-Unis s’engager de plus en plus ouvertement contre l’URSS. Entre autres armes au service de l’offensive menée contre celle-ci, l’ex-acteur devenu locataire du bureau ovale développe une rhétorique aussi spectaculaire que martiale. Après avoir notamment qualifié l’URSS d’« empire du mal » lors d’un discours célèbre de 1983, le président Reagan annonce à l’occasion d’une prise de parole toute aussi connue en janvier 1984 que « l’Amérique est de retour ». Exacts contemporains du tournage de L’Aube rouge se déroulant entre novembre 1983 et février 1984, ces mots fameux de Ronald Reagan entrent immanquablement en résonance avec l’odyssée guerrière des Wolverines. Le film s’affirme en effet comme la parfaite déclinaison fictionnelle de cet « America is back » pour citer le président-comédien cette fois-ci dans le texte …


Il n’est nullement question pour John Milius de dépeindre ici une nation militairement paralysée par le trauma de la guerre (mal) perdue du Vietnam (1), mais au contraire de mettre en scène des États-Unis à nouveau en pleine possession de leur capacité guerrière. Production hollywoodienne oblige, cette peinture d’une Amérique non seulement combattante mais encore triomphante se déploie sous sa forme la plus immédiatement identifiable comme un mixte patriotique de film de guerre et d’action emblématique des années 1980. À l’instar de Portés disparus (1984) de Joseph Zito et autre Rambo 2 : La Mission (1985) de George Pan Cosmatos acclimatant au récit guerrier les codes du super-héroïsme, L’Aube rouge nantit sa poignée de combattants aussi irréguliers que juvéniles (2) de talents martiaux tels qu’elle parvient à mettre en échec la considérable puissance de feu mobilisée par l’envahisseur communiste. Les séquences de combat montrent ces teenagers dénués de formation militaire et modestement armés, parvenant pourtant à frapper avec une même efficacité létale régiments de Spetsnaz et autres vagues de troupes d’élite ou bien encore blindés et hélicoptères pareillement déployés en nombre. Le climax de cette montée aux extrêmes (pour paraphraser Clausewitz) étant constitué par l’assaut final donné par la seule fratrie Eckert à la pléthorique garnison communiste tenant Calumet et qu’elle annihile quasiment…


La peinture toujours plus pyrotechnique de l’implacable geste guerrière (3) des Wolverines n’est cependant pas la seule arme filmique empoignée par John Milius pour restaurer la vigueur martiale de l’Amérique. Peut-être n’est-elle pas la plus importante dans la stratégie filmique déployée par un réalisateur appartenant à la cohorte des Movie Brats du Nouvel Hollywwod. L’on n’oubliera pas que le réalisateur de Conan le barbare (1982), autrefois condisciple à la School of Cinematic Arts de George Lucas, appartient comme ce dernier ainsi que Francis Ford Coppola, Steven Spielberg et autre Brian De Palma à cette génération de cinéastes agis par une profonde cinéphilie. Une passion dont John Milius témoigne dans L’Aube rouge en l’émaillant de références au Septième art.

Certaines de ces allusions cinéphiles se déploient à l’écran d’ostensible manière. La plus manifeste d’entre elles est sans doute la projection d’Alexandre Nevsky (1938) de Sergei M. Eisenstein dans le cinéma de Calumet, après l’invasion de la ville. Il s’agit bien évidemment d’évoquer ainsi l’entreprise d’endoctrinement totalitaire, puisque le film fameux d’Eisenstein est non seulement désormais le seul projeté, mais encore de manière permanente ! C’est par ailleurs une façon pour John Milius de rappeler que cet absolu classique de l’histoire mondiale du cinéma fut un véhicule du stalinisme le plus orthodoxe (4) à sa sortie, et le demeure en 1984 tandis que la guerre idéologique qu’est aussi celle dite froide atteint un nouveau pic. Ainsi mis en regard d’une manière fort crâne avec Alexandre Nevsky, L’Aube rouge semble dès lors s’affirmer comme une réponse, ou plutôt une contre-attaque hollywoodienne destinée à saper l’empire patrimonial qu’exerce l’URSS sur la cinématographie planétaire.


D’Empire et de contre-attaque, il peut être encore question avec la casquette indéfectiblement arborée par l’un des Wolverines et portant en guise de broderie la mention « Star Wars ». Sans doute y a-t-il un clin d’œil amical de John Milius à son ancien condisciple (5). Mais peut-être est-ce aussi une façon pour le cinéaste d’inviter à relire la première trilogie (1977-1983) de George Lucas comme une allégorie science-fictionnelle de la guerre froide, dans laquelle l’Empire de Darth Vader (6) tiendrait bien évidemment lieu de pendant galactique au bloc soviétique et la Rébellion ferait office de camp du monde dit libre. Et John Milius d’ainsi suggérer que la vision par ce Wolverine de La Guerre des Étoiles (1977) et autre Retour du Jedi (1983) aurait participé chez lui de la forge d’un esprit de résistance, trouvant à s’exercer une fois son coin d’Amérique envahi.

Ce Wolverine fan de Star Wars n’est par ailleurs pas l’unique personnage de Red Dawn à avoir en quelque sorte pris des leçons de résistance dans les salles obscures. Une séquence montre en effet le groupe de jeunes guérilleros réunis nuitamment et clandestinement autour d’une radio, diffusant les programmes de Radio Free America. Ceux-ci consistent notamment en la diffusion de messages codés émis depuis la partie encore libre des États-Unis à l’intention de celles et ceux combattant en zone occupée. Parmi les messages diffusés, les Wolverines entendent le suivant : « John has a long moustache ». Évidente référence historique à l’usage poético-militaire que fit la France libre de la BBC durant la Seconde Guerre mondiale, la séquence renvoie par ailleurs au Jour le plus long (1962). Une séquence y montre en effet un résistant hexagonal incarné par Bourvil se faire l’auditeur de la version francophone du message repris dans L’Aube rouge, à savoir « Jean a de longues moustaches ».


À ces évidentes évocations cinématographiques se combinent d’autres certes plus discrètes, mais n’en participant pas moins de la marqueterie citative qu’est fondamentalement le film. Lesdites allusions peuvent paraître plus surprenantes dans cette exaltation d’un retour en force de l’Amérique qu’est L’Aube rouge car elles proviennent de films ayant quant à eux campé une nation en pleine déliquescence. Planent en effet sur la profession de foi dans la puissance étasunienne de John Milius les ombres de Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper, de Voyage au bout de l’enfer (1978) de Michael Cimino ou bien encore d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (7). À ce dernier, L’Aube rouge emprunte la silhouette de l’hélicoptère Huey, rendue archétypale par la séquence d’attaque aérienne sur fond de charge des Valkyries constituant la séquence la plus emblématique d’Apocalypse Now. Mais alors que dans ce dernier l’aéronef était assimilé à un ange mécanique de la mort, noyant un village vietnamien sous un torrent de napalm, il devient lors d’une des premières scènes d’affrontement de L’Aube rouge un véhicule salvateur. Puisque c’est à l’intervention inopinée d’un Huey que les Wolverines doivent leur salut face à des Soviétiques sur le point de les arrêter.

Pareillement salvatrice est, dans L’Aube rouge, la pratique de la chasse au cerf. Les frères Eckert y sont en effet présentés comme des « deer hunters » à l’instar des protagonistes de Voyage au bout de l’enfer. L’on rappellera que dans ce dernier les séquences cynégétiques participaient d’abord de la peinture d’une Amérique comme malade d’une violence civilisationnellement chronique et trouvant son point d’aboutissement catastrophique lors de la guerre du Vietnam. Et c’était à l’occasion d’une même scène de chasse que le vétéran du Nam Michael (Robert de Niro) se guérissait de ladite violence en renonçant à abattre un cerf croisant sa ligne de mire. Soit une manière de renoncement teinté de pacifisme auquel ne cèdent nullement les Wolverines de L’Aube rouge ! Initiés par la fratrie Eckert à un art de la vènerie que d’aucuns qualifieraient de "décomplexé" (à l’abattage du cerf succède la consommation de son sang encore chaud…), les Wolverines useront ensuite de ce savoir-chasser contre ces manières de proie que sont les envahisseurs communistes.


Ne se contentant pas de réinterpréter à l’aune d’« America is back » le vol du Huey et la chasse au cerf, autrefois symptômes honteux de la dépression étasunienne et désormais emblèmes orgueilleux de sa vitalité conquérante, L’Aube rouge applique encore le slogan reaganien à l’un des lieux nodaux de Massacre à la tronçonneuse qu’est la station-service campagnarde. Celle-ci faisait en effet office dans le cauchemar de Tobe Hooper d’un autre genre de station, c’est-à-dire l’une de celles scandant le chemin de croix des victimes de la famille anthropophage de Leatherface. On se souviendra que celle-ci y possédait une gas-station d’anodine apparence, constituant de la sorte un piège d’autant plus redoutable pour circonscrire quelques-unes de leurs proies. Non plus terminus du voyage au bout de l’enfer qu’était l’american way of life dans Massacre à la tronçonneuse, la station-service s’affirme au contraire dans L’Aube rouge comme le lieu de la renaissance des États-Unis. Puisque c’est là que les Wolverines, avec l’active complicité de son tenancier, s’approvisionnent et même s’arment avant de gagner leur maquis montagnard. Et c’est encore dans cette gas-station que les jeunes résistants parviennent à mettre hors de combat un premier blindé soviétique…

N’empruntant en réalité que superficiellement aux codes du film d’action des 80’s, et jouant tout aussi illusoirement de ceux du teen-movie alors particulièrement en vogue, L’Aube rouge est en réalité l’un des films de John Milius témoignant le plus intensément de sa passion cinéphile. Et c’est donc avant tout par un savant jeu citatif que le cinéaste forge une arme cinématographique, au service du combat alors mené par l’Amérique républicaine contre l’URSS. Pareil choix stratégique fait in fine de L’Aube rouge un singulier et passionnant exemple de film d’auteur reaganien…

(1) Un trauma que John Milius avait notamment affronté quelques années auparavant à l’occasion d’Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola dont il fut, rappelons-le, l’initiateur en en rédigeant le scénario original. Ce dernier fut cependant et in fine remanié par son réalisateur...
(2) L’on notera que la modestie numérique de la troupe des Wolverines était ostensiblement soulignée par le titre initial du script de L’Aube rouge, à savoir Ten Soldiers.
(3) De celle-ci participe activement la bande-originale composée par Basil Poledouris, véritable frère d’armes cinématographiques de John Milius, pour lequel il composa les musiques de Graffiti Party (1978), Conan le barbare (1982) puis, après L’Aube rouge, L’Adieu au roi (1989) et Le vol de l’Intruder (1991).
(4) Ce que John Milius avait sans doute déjà suggéré, de manière certes plus cryptée, dans l’ouverture de Conan le barbare en calquant la chevauchée du maléfique Thulsa Doom – soit un tyran totalitaire à la sauce Heroic Fantasy – et de ses séides sur celle des chevaliers teutoniques d’Alexandre Nevsky.
(5) Une manière de constante chez John Milius ? Les amateurs d’easter eggs cinématographiques se rappelleront sans doute que le personnage incarné par Harrison Ford dans Apocalypse Now était un colonel du nom de Lucas…
(6) Darth Vader dont la voix originelle n’est autre que celle du comédien James Earl Jones… c’est-à-dire l’interprète de Thulsa Doom dans Conan le barbare !!!
(7) Quant au rapport complexe, pour ne pas dire contrarié, liant John Milius à ce film dont il fut l’écrivain original, cf. la note n°1 de la présente analyse…

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La fiche IMDb du film

Par Pierre Charrel - le 6 décembre 2023