L'histoire
Un jeune homme passionné et idéaliste, dont l'équilibre est précaire, s'oppose à son père, avocat autoritaire qui le fait enfermer dans un asile psychiatrique.
Analyse et critique
La Tête contre les murs compte parmi les tentatives les plus réussies de visions du monde psychiatrique au cinéma, aux côtés du Shock Corridor de Samuel Fuller ou plus tard Vol au-dessus d'un nid de coucou de Milos Forman. Contrairement à ces films, la veine dramatique est cependant moins appuyée avec un récit minimaliste et resserré au réalisme froid et austère. Cette touche est en grande partie due à Georges Franju dont c'est le premier long-métrage. Au départ, le projet est entièrement façonné par un tout jeune Jean-Pierre Mocky qui adapte le roman semi-autobiographique de Hervé Bazin (qui fut lui-même interné par sa famille), recrute l'équipe technique et le casting (c'est notamment lui qui a la judicieuse idée de confier un mémorable rôle à Charles Aznavour). Cependant, freinés par son jeune âge et son manque d'expérience (nous sommes juste avant la Nouvelle vague qui décoincera heureusement bientôt ce genre de crainte) la réticence des producteurs obligent Mocky à faire appel à Georges Franju dont ce sera la première oeuvre de fiction. L'ensemble du film fonctionne donc sur l'équilibre entre les personnalités de Mocky et Franju.
A Franju, on peut attribuer une grande part de l'impressionnante force esthétique du film. Il s'était au départ fait connaître grâce à deux court-métrages au réalisme saisissant, Le sang des bêtes (1949) sur le monde des abattoirs et Hôtel des Invalides (1951) consacré aux "gueules cassées". C'est cette même approche qui domine ici dans la description du quotidien d'un asile et des différentes pathologies que l'on peut y rencontrer. Ce parti pris fait ainsi froid dans le dos par son absence d'artifice, autant par la vétusté des lieux où les malades sont entassés comme des bêtes que par la violence sourde pouvant surgir à tout moment chez les plus déséquilibré (Mocky raconte d'ailleurs une scène assez glaçante à laquelle il assista avec Franju lors du tournage dans un vrai asile) le tout porté par la musique anxiogène de Maurice Jarre qui signait là son premier score au cinéma.
Mocky porte lui la force dramatique du récit en jouant ce jeune homme en colère et écorché vif, interné malgré lui. Sa jeunesse l'identifie à la rébellion, d'autant qu'il a été témoin à l'époque de cette pratique révoltante qui voyait les familles interner abusivement, avec la complicité des médecins, leurs progénitures rétives d'autorité. Il livre une belle et fragile interprétation dont la touche romantique est un peu atténuée par une Anouk Aimée jolie mais nettement moins habitée dans le couple qu'ils forment. On aurait cependant tort de n'attribuer que la seule réussite visuelle à Franju qui pose là toute les base de son chef d'œuvre à venir Les Yeux sans visage. Comme dans ce dernier ici la froideur clinique se croise à une vraie poésie et une atmosphère à lisière du fantastique. Les scènes nocturnes dégagent ainsi une aura unique et oppressante où peuvent surgir de purs instants de cauchemar (l'insoutenable crise d'Aznavour durant l'évasion) mais aussi rendre la violence belle comme ce plan somptueux où un chasseur abat à fusil Mocky sur le point de s'échapper.
Les questionnements déontologiques annoncent également ceux de Les Yeux sans visage avec les méthodes antinomiques des professeurs incarnés par Pierre Brasseur (futur chirurgien meurtrier des Yeux sans visage) et Paul Meurisse, l'un froid et pragmatique sur les patients qu'il a à traiter (des fous dont on doit protéger le monde extérieur) tandis que l'autre œuvre dans l'idée d'une réelle guérison. L'imagerie menaçante de l'asile s'estompe donc par intermittence sans que le malaise disparaisse complètement lors des courts moments où l'on assiste à l'approche humaniste de Meurisse, et la manière dont il tente de tirer la fibre artistique de ses malades. C'est cette subtilité qui rendit le film si réputé dans les milieux médicaux, qui en firent souvent usage pour illustrer leurs théories durant des colloques. Bien qu'abrupte, la conclusion magistrale opère une fusion parfaite des approches de Mocky et Franju, l'esthétisme de l'un magnifiant l'humanisme de l'autre. Le héros rattrapé une ultime fois alors qu'il pensait avoir retrouvé sa liberté se voit ainsi emprisonné dans une voiture d'infirmier, son visage en détresse nous accompagnant et s'estompant peu à peu tandis que le véhicule s'éloigne dans des ténèbres de cauchemar. Le découpage de la scène finale répond par mimétisme à l'internement du début et renforce ainsi le côté inéluctable et implacable de ces jeunes gens brisé par l'autorité inhumaine de leurs aînés.