L'histoire
Hugo Senart, dit ‘le Gitan’ (Alain Delon), est devenu bandit par révolte contre une société qui n’accepte pas sa communauté. S'estimant comme une sorte de Robin des Bois, s’il vole, c’est pour réparer ce qu’il considère comme des injustices et pour donner les butins qu’il dérobe aux membres de sa famille qui sont dans le besoin. Ça ne va pas parfois sans casse ni tueries. A ses trousses le commissaire Blot (Marcel Bozzuffi) qui est dans le même temps alerté suite à un important vol de bijoux qui aurait été commis par Yan Kuq (Paul Meurisse), un perceur de coffres qui mène grand train et dont la femme vient de tomber de la fenêtre de leur appartement parisien. Le policier suit désormais simultanément les traces des deux hommes qui vont, hasard aidant, se croiser à multiples reprises et tout d’abord aux alentours de Palavas-les-Flots…
Analyse et critique
José Giovanni vient de réaliser Deux hommes dans la ville avec le duo gagnant Alain Delon/Jean Gabin ; le résultat s’avère non seulement une très belle et touchante réussite mais aussi un grand succès en salles. Le cinéaste est contacté par le producteur Raymond Danon qui a un contrat de sept films avec Alain Delon et qui est à la recherche de sujets susceptibles de convenir aussi bien à la star qu’à son public. Connaissant le goût de l’acteur pour les marginaux et souhaitant attirer l'attention sur la condition de la communauté gitane selon lui méprisée, Giovanni propose au producteur l'idée d’un récit librement inspiré d’un personnage secondaire de son roman de 1959, ‘Histoire de fou’, un gangster issu de la communauté des gens du voyage surnommé tout simplement ‘le gitan’. L’aspect cocasse de cette histoire – ce pourquoi José Giovanni dira de son film qu’il aurait pu tout aussi bien se transformer en comédie – est qu’elle va suivre en parallèle le parcours de deux truands qui n’ont rien à voir entre eux mais qui, hasards aidant, vont se retrouver à multiples reprises aux mêmes endroits en France, se gênant ainsi beaucoup sans le savoir, le déploiement des forces de police se déplaçant pour traquer l’un des deux allant nécessairement susciter l’inquiétude chez l’autre.
[Attention, quelques petits spoilers à venir au sein de ce paragraphe] Le premier de ces deux hors-la-loi aux profils totalement différents est ‘le gitan’ interprété par Alain Delon, décrit par le commissaire qui le traque comme "un loup solitaire, qui chasse pour sa meute". Etant persuadé que lui et les siens sont rejetés et exclus par la société qui ne supporte pas leur mode de vie ("on n'est même pas considérés comme des chiens puisque la société réserve un meilleur accueil aux chiens"), le Gitan est parti en rébellion en braquant des banques ; une sorte de Robin des Bois faisant profiter le produit de ses exactions aux membres de sa famille et de sa communauté, ne gardant quasiment rien pour lui. N’acceptant pas l’autorité, il peut se révéler violent et sans pitié mais possède également un formidable sens de l’honneur, de l’amitié et de la parole donnée. Le second, Yan, joué par Paul Meurisse, est un perceur de coffres, un voleur habile et raffiné qui mène un train de vie confortable. Ses coups sont tellement préparés avec minutie qu’il n'a quasiment jamais été pris sur le fait ni condamné. Mais voilà qu'il est soupçonné non seulement d’avoir commis un gros hold-up de bijoux mais également d’avoir tué son épouse dans la même journée ; il décide de prendre la tangente mais, au cours de sa cavale, son chemin va croiser plusieurs fois celui du gitan, au point de se faire appréhender à sa place à Champigny sur Marne où il s’était réfugié chez une amie fidèle – Annie Girardot, égale à elle-même - qui tient un petit hôtel en face de la rivière. Ce dont le Gitan se souviendra au point de vouloir payer la dette qu’il considère lui devoir. Ce sera l’occasion de leur unique et très beau face à face, Yan invitant avec beaucoup d’égards et de respect le gitan à passer la nuit chez lui.
Je ne pense pas qu'à l'époque ce soit une demande expresse d'Alain Delon à ses réalisateurs de débuter le générique des films dans lesquels il jouait par des longs panoramiques aériens survolant les lieux de l’action mais, comme pour La Veuve Couderc quelques années auparavant, le film de Giovanni commence lui aussi par un très long survol de la région. La caméra prend son envol au-dessus de la mer, ses plages et ses baigneurs pour s’éloigner du littoral et, après avoir plané au-dessus de ‘la banlieue’ riche puis des lotissements plus modestes, finit sa course devant un camp de gitans dans lequel vient de pénétrer une imposante patrouille de police. Très beau et virtuose mouvement d’appareil qui rappelle beaucoup le précédent de Pierre Granier-Deferre. A l’instar de ce prologue, le film de Giovanni aurait pu être du niveau de sa précédente collaboration avec Delon si l’écriture du scénario avait été plus acérée, moins brouillonne parfois, le spectateur ne parvenant pas toujours à comprendre tous les enjeux de l'intrigue ni toutes les réactions de ses protagonistes. Giovanni ne peut non plus s'empêcher parfois de manquer de discernement (Yan qui place les méthodes certes parfois peu orthodoxes de la police sur le même plan que les crimes de la pègre et qui appelle au terrorisme contre les forces de l’ordre) ni d’introduire quelques bons sentiments dont l’utilisation d’un, voire deux, enfants pour attendrir son récit sans que cependant son film verse dans la mièvrerie, Delon parvenant à faire passer la pilule par sa grande aptitude à savoir nous émouvoir.
Au final, une bonne surprise que ce rare film à aborder - certes un peu à la marge de l'histoire principale - l'univers des gitans, et ceci avec une grande bienveillance, prenant fait et cause pour cette communauté de marginaux ! Un solide polar qui eut du succès mais qui fut ensuite un peu oublié faute à de trop rares diffusions à la télévision. Un film nerveux, efficace et sans temps morts, à la mise en scène carrée, au casting 4 étoiles, mettant en avant les valeurs de l'amitié et de la loyauté, assez hostile à toutes formes de hiérarchie et au cours duquel la police en prend pour son grade sans jamais pour autant être méprisée par son auteur, le commissaire incarné par Marcel Bozzuffi ayant beaucoup de prestance et s’avérant très intelligent. Pas forcément de manichéisme car s’il est évident que Giovanni (ex-taulard, rappelons-le) semble avoir toujours une extrême indulgence pour les truands, ceux-ci ne sont pas tous sympathiques, loin de là, témoin l’obsédé sexuel que campe Maurice Barrier. Au contraire, parmi les ‘gadjos’, des hommes d’une profonde générosité, témoin ce vétérinaire qui soigne le gitan contre une poignée de mains alors que le blessé était prêt à lui octroyer un beau pactole.
Aidé par une panoplie vestimentaire - peut-être un peu fantaisiste - qui rehausse son aura, Alain Delon se révèle une nouvelle fois fortement charismatique et - ce qui n'était en revanche pas gagné d'avance - très convaincant dans le rôle d'un gitan. Ses différents partenaires l'entourent à merveille, que ce soit Maurice Biraud, Paul Meurisse, une touchante Annie Girardot, Renato Salvatori (déjà à l’affiche aux côtés de Delon la même année dans le superbe Flic Story de Jacques Deray), Maurice Barrier, Marcel Bozzuffi (aussi bien en flic que plus souvent en truands) ou encore un tout jeune Bernard Giraudeau. A cela on ajoute, toujours pour le pur plaisir, de bonnes cascades effectuées par Remy Julienne, une sympathique musique manouche signée par Claude Bolling et Django Reinhardt ainsi que l'utilisation d'innombrables lieux de tournage du Nord au Sud de la France... Une histoire policière assez classique mais fort bien menée et sans temps morts ; un bon cru Giovanni qui prône – parfois maladroitement - la liberté et la tolérance. Quant à l’immersion au sein de la communauté gitane, même si restreinte sur la durée, elle n’en est pas moins très intéressante d’un point de vue documentaire. Auteur complet de son film, de l’écriture à la mise en scène, José Giovanni nous offre là un parfait exemple des polars efficaces des années 70 teintés de critique sociale. Avec Deux hommes dans la ville et Comme un boomerang, le corpus/trio Giovanni/Delon s'avère tout à fait estimable.
En savoir plus
LE GITAN
Blu-Ray
sortie le 4 septembre 2024
éditions Studiocanal / Collection nos années 70