L'histoire
Dorothy Gale est une petite fille vivant dans une ferme du Kansas, avec son oncle et sa tante. Un jour que l'acariâtre voisine Mrs Gulch menace de lui enlever son chien, Dorothy fugue. Elle fait la rencontre d'un diseur de bonne aventure, qui la convainc de retourner chez elle. Mais au moment où elle rentre, Dorothy est prise dans un ouragan qui arrache sa maison du sol. Elle perd connaissance. À son réveil, les choses ont bien changé...
Analyse et critique
Il n’existe pas de mesure absolue de la notoriété d’un film, mais certains indicateurs ne trompent pas, et quand le site de la Bibliothèque du Congrès américain fait référence au Magicien d’Oz comme l’un des films « les plus vus de tous les temps », ou quand les colossaux travaux des chercheurs Livio Bioglio et Ruggero G. Pensa, à l’Université de Turin, aboutissent en 2018 à la conclusion qu’il s’agit du film « le plus influent de l’histoire du cinéma » (devant Star Wars et Psychose, excusez du peu), le chroniqueur mesure l’impossible gageure : que dire de pertinent sur un film que tout le monde connaît, et – encore pire – que tout le monde a(urait) déjà vu ?
Dans un premier temps, on peut donc approcher le film en assumant un point de vue subjectif – et en espérant qu’il se trouvera des lecteurs pour en partager tout ou partie. Comme manifestement beaucoup de spectateurs, donc, j’ai donc découvert le film jeune, très jeune (autour de mes 5 ans), en version doublée et sur une VHS que la multiplicité des visionnages (jusqu’à quatre fois par jour, paraît-il) a fini par épuiser. J’utilisais des craies jaunes pour dessiner sur le carrelage du salon familial un semblant de chemin vers Oz, sur laquelle je gambadais allègrement en faisant une voix de munchkin, et en général, arrivé à la scène du champ de coquelicots, j’activais la marche arrière en retour rapide. Tout ça pour dire que, quelles que soient les circonstances, les conditions de rencontre avec Le Magicien d’Oz importent au moins autant que le film, et que c’est un film qu’il est recommandé de ne pas rencontrer trop tard : par expérience parmi mes connaissances, beaucoup de ceux qui finissent par découvrir le film à l’âge adulte s’en trouvent déçus, le percevant comme passablement daté (« kitsch » est un terme qui revient souvent…) et un peu anecdotique. C’est compréhensible, probablement légitime, et on y reviendra un peu plus tard.
Dans un deuxième temps, il faut s’interroger : qu’est-ce qui fait (ou qui a fait) qu’un film auquel il faut manifestement reconnaître, sinon des défauts, au moins un ensemble de qualités qui ne se démarquent que peu des films auxquels on pourrait le comparer (1), ait à ce point marqué l’histoire du septième art ? Et là, le chroniqueur se dit qu’il a un copieux travail devant lui. On se retrousse les manches, et on se lance donc sur la route de briques jaunes.
Au départ, donc, il y a un roman pour enfants, The Wonderful Wizard of Oz, publié en 1900 par un représentant de commerce itinérant en porcelaine nommé Lyman Frank Baum. Celui-ci, au gré de ses déplacements, imagine une histoire à destination de ses enfants. Nourrie de tout une tradition du conte européen, des frères Grimm à Charles Perrault en passant par Carlo Goldoni (2), son intrigue initiatique obéit à un schéma traditionnel qui rencontre un immédiat succès, et Lyman Frank Baum abandonne alors son activité professionnelle pour se consacrer à plein temps à l’imaginaire du pays d’Oz, avec plusieurs suites littéraires, une adaptation scénique à Broadway dès 1902 et la création en 1914 d’un studio de cinéma, The Oz Film Manufacturing Company, destinée à produire des petits films pour enfants qui ne rencontreront pas spécialement de succès. Quelques années après la mort de Baum, en 1925, une adaptation cinématographique muette par Larry Semon (avec Oliver Hardy dans le rôle de l’homme de fer blanc) fut produite par une petite société de production (Chadwick Pictures) sans retentissement particulier.
Un première date importante, dans l’explication du succès du Magicien d’Oz, est la sortie, au début de l’hiver 1937, du premier long-métrage d’animation des studios Disney, Blanche-Neige et les sept nains. Le film est un triomphe et constitue une sorte de révolution dans le monde des majors, en révélant non seulement qu’il existe un public colossal (jusqu’alors sous-estimé) dans le registre du film « pour enfants », fantastique et musical, mais aussi en assurant l’avènement du Technicolor (trichrome), qui n’en était jusqu’alors qu’à d’imparfaits balbutiements.
Arthur Freed, jusqu’alors simple parolier pour la MGM (et futur producteur majeur de comédies musicales), convainc alors Louis B. Mayer d’acquérir les droits des histoires de Lyman Frank Baum. Si la production, supervisée par Mervyn LeRoy, démarre avec une ambition manifeste (on parle de 65 décors, 136 jours de tournage, plusieurs milliers de costumes…), l’écriture du scénario épuise une quinzaine d’auteurs, la plupart non crédités au générique. Norman Taurog, réputé pour être à l’aise avec les enfants, est un temps pressenti pour réaliser, et Shirley Temple (alors âgée de 10 ans) pour incarner le rôle principal de Dorothy, mais Arthur Freed parvient, contre l’avis de plusieurs exécutifs, à imposer Judy Garland – qui elle a déjà 16 ans. C’est finalement Richard Thorpe qui débute le tournage comme réalisateur, mais il est remplacé au bout de deux semaines par George Cukor, et aucun des plans tournés par Thorpe (avec une Dorothy beaucoup plus maquillée et affublée d’une perruque blonde) n’est conservé.
Cukor définit, à son tour, une grande partie de la direction artistique du pays d’Oz, avant d’être à son tour remplacé, pour aller travailler sur Autant en emporte le vent, par Victor Fleming, dont le nom sera celui auquel la réalisation sera finalement créditée au générique (quand bien même, à son tour, il ira sur le tournage d’Autant en emporte le vent, là encore pour remplacer Cukor). Ajoutons la venue de King Vidor, durant les dernières semaines de tournage, pour assurer les prises de vue liées au prologue et à l’épilogue réaliste, dans la ferme au Kansas, et on comprend assez bien pourquoi Le Magicien d’Oz est un film qui résiste mal à une grille d’analyse obéissant, de près ou de loin, à la « politique des auteurs ». Si le film porte une patte, c’est bien celle de sa production, et il semble bien plus pertinent de parler d’un film « de la MGM » que d’un film « de Victor Fleming » (ou un autre).
À cet égard, si le film peut souffrir, on l’a déjà dit, d’une patine visuelle qui est parfois (avec une sévérité un rien définitive) jugée ringarde, il est difficile de nier la cohérence et la majesté de sa direction artistique, en particulier au pays d’Oz. De nombreux arbitrages esthétiques (pour citer un exemple parmi d’autres, le remplacement des souliers argentés du roman par des souliers de rubis au rouge éclatant) ont contribué à définir un rendu qui, par bien des aspects, à servi pour des décennies de mètre-étalon du « merveilleux » à l’écran. Mentionner ici le pouvoir d’imprégnation dans l’imaginaire collectif du Magicien d’Oz sans évoquer ses trucages (décors peints, peintures sur cache, effets optiques, trappes...) tiendrait de la faute analytique. Le plan de la découverte du Pays d’Oz, depuis le sépia de la maison vers le foisonnement des couleurs, n’est pas seulement d’une ingéniosité dingue (le plan est, depuis le départ, en couleurs : mais les murs de la maison et le costume de la doublure de Judy Garland qui ouvre la porte étant en niveaux de gris, l’effet d’irruption du costume bleuté et de la couleur depuis l’extérieur n’en est que plus sidérant), il acte le passage symbolique vers un Ailleurs, pour Dorothy comme, bien plus globalement, pour le septième art : symboliquement, ce plan acte l’idée fondamentale que le monde de l’imaginaire (donc le cinéma) (3) transcende la réalité, qu’il contribue à en fournir une version exaltée, plus colorée, plus savoureuse, plus trépidante…
On en arrive ainsi inévitablement à ce que Le Magicien d’Oz raconte, et – comme on pouvait s’y attendre – les choses sont là aussi plus compliqué que ce qu’elles paraissent. En toute première lecture, le message du film semble un brin moralisateur : la jeune fugueuse prend peur dès le début de ses aventures, et la formule magique qui permettra de la ramener chez elle assure que « rien ne vaut son foyer », et qu’en somme, elle aurait mieux fait d’être plus obéissante. De façon générale, les contes pour enfants traditionnels dispensent parfois des morales qui peuvent aujourd’hui sembler un peu désuètes (pour ne pas dire rétrogrades), mais il est toujours intéressant d’aller au-delà, de comprendre ce qu’ils racontent d’autre (parfois même malgré eux) et – surtout – ce que l’inconscient collectif en retient.
En premier lieu, on peut remarquer que si le film de la MGM adapte la première partie des écrits de Lyman Frank Baum, dans ceux-ci, Dorothy avait vocation non seulement à revenir à Oz, mais même à venir s’y installer avec sa famille : « there’s no place like home », mais home could be another place…
Deuxièmement, si Baum a souvent affirmé qu’il voulait imaginer un récit s’adressant à l’imaginaire des enfants, sans autre intention symbolique ou allégorique, la manière dont il se démarque de ses inspirations est déjà révélatrice : contrairement à beaucoup de contes traditionnels européens, y compris sis dans des contrées imaginaires, Le Magicien d’Oz n’identifie pas de cadre social hiérarchisé (rois, reines, princes et consorts), et le « Magicien », qui semble dans un premier temps régner sur la Cité d’Émeraude, est en réalité un imposteur sans légitimité. De plus, les protagonistes principaux ne possèdent ni n’acquièrent de compétences ou de pouvoirs particuliers, ils apprennent à reconnaître des qualités qu’ils possèdent déjà mais qu’ils ignorent (l’esprit de l’Épouvantail quand il provoque les pommiers magiques ; le cœur de l’Homme de fer blanc quand il témoigne de l’empathie pour Dorothy ; ou le courage du Lion quand il s’en prend aux gardes de la Sorcière de l’Ouest sont tous trois, très tôt, absolument manifestes). En ce sens, Le Magicien d’Oz s’affirme très tôt comme une fable très spécifiquement américaine, où la liberté de s’accomplir individuellement prévaut, avant toute autre considération. Le fait que Dorothy soit originaire du Kansas, état parfaitement central tout à fait emblématique d’une Amérique « profonde », renforce cet aspect « ancré », d’un récit qui ne dirait pas tout à fait la même chose, ni n’aurait la même portée, s’il venait d’un autre pays.
Il faut donc, ici, resituer Le Magicien d’Oz dans son contexte de création – ou plutôt dans ses contextes, celui des écritures du roman (à la toute fin du XIXème siècle) comme du scénario (entre les deux guerres mondiales).
Le roman de Lyman Frank Baum n’était, en effet, pas qu’une variante américaine des contes européens traditionnels. Le dernier quart du XIXème siècle, aux Etats-Unis, avait été le cadre d’une dépression qui avait notamment fragilisé les fermiers du centre du pays, abusés entre autres par les grandes compagnies de chemin de fer et les banques. Une des conséquences fut la naissance, en 1891, du Parti Populiste américain, dont les activités politiques furent assez brèves (elles cessèrent en 1908) mais dont les idées infusèrent largement : une défiance vis-à-vis des puissants et des abus du système capitaliste, un resserrement autour de valeurs morales traditionnelles et une foi inébranlable en quelque chose qui tiendrait du « bon sens commun », modeste et digne, propre à fédérer les cœurs et les esprits même les plus antagonistes (4). L’adjectif « populiste » a depuis conquis un autre sens, plus spécifiquement politique et tout à fait péjoratif, auquel on le réduit trop systématiquement, mais le « populisme américain » a soutenu quelques unes des plus belles figures du cinéma local, de Mr Smith à Rocky Balboa. Il faut sans aucun doute y inscrire Le Magicien d’Oz du « there’s no place like home » (ou de la tirade de Tante Em contre Mrs Gulch) .
L’adaptation cinématographique de la MGM arrive tandis que court une autre dépression – celle qualifiée par les historiens de Grande. Au moment où sort Le Magicien d’Oz, en 1939, est publié le roman emblématique de cette période (suivi l’année suivante par sa magistrale adaptation filmique signée John Ford) : Les Raisins de la colère de John Steinbeck (Tom Joad étant, à sa manière, aussi une figure majeure du populisme américain), auquel il est aujourd’hui difficile de ne pas penser en voyant les scènes « réalistes », celles en sépia tournées par King Vidor, du Magicien d’Oz.
Mais la politique extérieure des Etats-Unis dans les années 30 est aussi marquée par une forme délibérée de « non-interventionnisme » face à la montée des tensions en Europe comme en Asie : une lecture opportune des appellations des deux « méchantes » sorcières (The Wicked Witch of the East and the Wicked Witch of the West) permet d’exacerber l’isolationnisme contextuel des Etats-Unis. Cause there’s no place like home, really…
On pourrait donc dire qu’une des premières vertus du Magicien d’Oz est de révéler quelque chose de ce qu’étaient les Etats-Unis d’Amérique de la première moitié du vingtième siècle – mais ce ne serait pas suffisant. Dans un document d’accompagnement du film, Carole Desbarats énonce les choses ainsi : « Le Magicien d’Oz a participé du mythe que se sont construits les Etats-Unis (…) et pour que ce film ait autant marqué le pays, et par l’intermédiaire de son cinéma exporté, le monde occidental, il faut bien qu’il ait touché juste, et que la vision du monde proposée puisse susciter l’identification de millions de spectateurs » (5). Selon elle, « ce qui a pu souder ces millions de spectateurs, à travers les pays et les décennies, est peut-être plus la perte des illusions d’un enfant par la découverte de l’universelle faillibilité des adultes que celle d’un autre monde ». Après avoir côtoyé des amis fragiles et imparfaits, après avoir confronté le Magicien à sa propre supercherie, Dorothy retourne au Kansas nourrie d’une dignité morale, où l’affirmation de soi ne passe pas par une volonté d’échapper au réel mais par la capacité à l’accepter, à être acteur de sa propre histoire. There’s no place like home, finalement, cela veut aussi dire que la véritable liberté consiste à s’accomplir en tant que soi. À vivre le rêve américain, en quelque sorte.
Le Magicien d’Oz est donc, indéniablement, une fable initiatique qui voit une jeune fille aller « de l’autre côté de l’arc-en-ciel », c’est à dire métaphoriquement devenir adulte (il a été écrit que Le Magicien d’Oz était l’histoire d’une fillette à souliers plats qui découvrait le pouvoir des chaussures à talons). Mais cette fable prend, comme cela a déjà été analysé (6), la forme du genre le plus américain qui soit, celui du road movie (en l’occurrence du « yellow brick road movie »), genre qui possède fondamentalement deux dimensions intrinsèques (aux mouvements faussement antagonistes) : d’une part l’exploration d’un territoire nouveau et d’autre part l’introspection, la découverte d’un autre soi-même. Sur les deux aspects (l’usage du Technicolor + le parcours de Dorothy), Le Magicien d’Oz représente un jalon majeur, à l’influence durable, dans l’histoire du cinéma américain.
Et puisqu’on parle d’influence, il est aussi admirable d’observer de quelles façons Le Magicien d’Oz est entré dans la postérité. Elle a parfois été sinueuse, mais la route de brique jaune est devenue une route de légende.
En premier lieu, Le Magicien d’Oz est un des premiers films à avoir bénéficié, dans un premier temps au Canada puis en Amérique du Nord, de la levée de l’interdiction pour des mineurs de moins de 16 ans d’aller au cinéma non accompagné (Walt Disney avait, sans succès, tenté d’obtenir cette levée pour Blanche-Neige et les 7 nains). Non seulement la MGM sortait un film « familial », mais en plus les enfants avaient la possibilité d’y retourner sans leurs parents ! Le deuxième ricochet de cette levée eut lieu en novembre 1956, au moment où la télévision envahissait les foyers américains : parmi les premiers films autorisés à être diffusés sur un chaîne nationale (en l’occurrence CBS), Le Magicien d’Oz bénéficia qui plus d’un horaire de diffusion inhabituel, vers 18h, réunissant plusieurs dizaines de millions de spectateurs, parmi lesquels ceux-là même qui se souvenaient l’avoir découvert à sa sortie et qui voulurent le faire découvrir à leurs enfants. Devenu un rituel de diffusion pendant les fêtes de fin d’années, Le Magicien d’Oz est ainsi devenu aux Etats-Unis plus qu’un simple film : une tradition.
En allant plus loin sur cette idée de l’impact qu’a pu avoir le film sur les spectateurs qui associent sa découverte à un moment décisif, dans leur rapport au cinéma, on peut sans nul doute considérer que, dans l’inconscient collectif, Le Magicien d’Oz – peut-être encore plus, pour ces raisons, que son contemporain Autant en emporte le vent (7) – représente une pierre blanche, quelque chose comme la concrétisation formelle de ce qui pourrait définir une idée de l’âge d’or des studios américains. Pour le dire simplement, pour des millions de spectateurs, Le Magicien d’Oz aura constitué la matrice de ce cinéma spectaculaire, grandiloquent et roboratif qui se cache communément derrière l’épithète « hollywoodien ».
Et puis on a parlé du Magicien d’Oz. On a écrit, théorisé, rapporté des anecdotes de tournages hallucinantes (8) qui mettaient en perspective le monde merveilleux projeté sur l’écran et tout ce qui avait pu se passer derrière la caméra, contribuant ainsi à entretenir le mythe de l’ « usine à rêves » hollywoodienne. Et Le Magicien d’Oz est entré dans la culture populaire : dans les années qui suivent la sortie du film, l’expression « (to be a) friend of Dorothy » (être un ami de Dorothy) devient populaire, tandis que les actes homosexuels étaient encore illégaux, pour identifier sans la dire l’orientation sexuelle de quelqu’un ; en 1973, sort l’album Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John, tandis que trois ans plus tard est fondé le groupe Toto (en référence au chien de Dorothy) (9) ; en 1997 débute la série carcérale phare d’HBO, Oz ; en 2004, Over the rainbow siège à la première place au classement AFI des 100 plus grandes chansons issues de films, un an après que The Wicked Witch of the West a elle atteint la quatrième au classement AFI des 100 plus grands méchants de l'histoire du septième art ; on a depuis nommé, entre autres, de très populaires mini-donuts ou une race de chat du nom des Munchkins ; et début décembre 2024, les souliers rouges du film (longtemps disparus après un vol) sont vendus aux enchères pour la somme de 28 millions d’euros, devenant l’objet cinématographique le plus cher de l’histoire…
En restant dans le strict domaine du cinéma, on ne compte plus les films (pour l’immense majorité américains, confirmation de la singularité culturelle du phénomène) faisant des références plus ou moins explicites au film, ou les cinéastes se revendiquant de son héritage. Parmi tant d’autres, citons David Lynch qui, interrogé en 2001 sur l’influence du film sur son propre travail, avait répondu « il ne s’est pas passé un jour de ma vie sans que je ne pense au Magicien d’Oz ». Un documentaire spécifique (Lynch/Oz, d’Alexandre Philippe) a d’ailleurs été réalisé en 2022 pour explorer les liens entre le film de 1939 et la filmographie du réalisateur de Sailor & Lula, film à la fin duquel apparaissait d’ailleurs littéralement Glinda, la Bonne Sorcière du Sud, sous les traits de Sheryl Lee.
Mentionnons, pour finir, les autres occurrences cinématographiques du pays d’Oz : The Wiz (1978), relecture soul (et politique) de Sidney Lumet, mettant en scène Diana Ross ou Michael Jackson ; Oz, un monde extraordinaire (1985), produite par Disney et réalisée par Walter Murch, qui traumatisa un certain nombre d’enfants par sa noirceur ; l’assez laide préquelle Le Monde fantastique d’Oz (2013) de Sam Raimi, racontant l’arrivée du magicien au pays d’Oz ; ou Wicked (2024), adaptation du musical de Broadway racontant les destins antagonistes des Sorcières du Sud et de l’Ouest… Des résultats inégaux, mais qui témoignent qu’Hollywood n’a décidément pas fini de cheminer, à sa manière, sur la route dorée d’Oz.
(1) Dans son article sur le film, Jacques Lourcelles résume les choses ainsi : « En tant que comédie musicale, ses mélodies et sa chorégraphie (si on peut parler de chorégraphie) ne dépassent pas le niveau d’une honnête revue de music-hall. Et sur le plan plastique, il y a autant de différence entre Le Magicien d’Oz et, par exemple, Brigadoon qu’entre une bonne affiche publicitaire et un tableau de maître. »
(2) On devine, au gré de l’intrigue, des éléments empruntés à Cendrillon, Pinocchio, La Belle au bois dormant, Blanche-Neige ou tant d’autres…
(3) Dans le roman, Oz n’est pas un pays rêvé ; dans le film, Dorothy se réveille clairement après un songe. Initialement, un plan final devait ménager une ambiguïté en montrant que Dorothy avait toujours les souliers de rubis au pied. Il fut abandonné, renforçant la volonté délibérée du film d’associer Oz au domaine de l’imaginaire.
(4) L’historien Henry Littlefield a développé une théorie, dans le courant des années 60, faisant du Magicien d’Oz une parabole économique liée au contexte spécifique de l’élection américaine de 1896, opposant le candidat libéral démocrate William Jennings Bryan au candidat républicain (et futur président) William McKinley. Sa thèse, qui établit des analogies précises, fait encore aujourd’hui l’objet de vives discussions.
(5) Cahier de notes sur… Le Magicien d’Oz, édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma initié
par le Centre national du cinéma et de l’image animée, ministère de la Culture et de la Communication, et la Direction générale de l’enseignement scolaire, le CANOPÉ, ministère de l’Éducation nationale
(6) Par exemple dans Road movie, USA, de Bernard Benoliel et Jean-Baptiste Thoret
(7) David O. Selznick misait davantage sur Autant en emporte le vent que sur Le Magicien d'Oz, qu'il qualifiait en comparaison, dans un mémo devenu célèbre, de "pygmée"
(8) Le Technicolor imposant sur le plateau une température de 40°C ; la troupe des Singer Midgets, engagés pour jouer les Munchkins, aux frasques alcooliques et lubriques ; Margaret Hamilton brûlée au troisième degré ; Bubby Ebsen, au départ prévu pour le rôle de l'homme de fer blanc, tombant malade à cause de la poussière d'aluminium de son maquillage, qui empêchait son sang d'être oxygéné ; Ray Bolger défiguré par son maquillage d'Epouvantail pendant plusieurs mois ; Judy Garland shootée par la productions aux amphétamines et au café...
(9) On ne détaillera pas ici la célèbre théorie dite de "The Dark Side of the Rainbow", qui lie l'album de 1973 des Pink Floyd The Dark Side of the Moon, au film de la MGM