L'histoire
L'Italie, au XIIe siècle. La peste fait rage. Prospero, un prince adorateur de Satan, a étendu son pouvoir sur toute une province, asservissant les paysans. Un jour, en l'honneur de nobles voisins, il organise un somptueux banquet. Il y convie également les habitants du village, à qui il ne laisse pourtant que les reliefs du festin. Certains profitent de l'occasion pour se révolter, poussés par la prédiction d'une vieille femme qui leur a annoncé la fin du règne du tyran. Celui-ci les fait arrêter. Lors d'une nouvelle fête, il se cloître avec ses invités et ses serviteurs dans son château. Un mystérieux étranger, tout de rouge vêtu, se glisse parmi les convives...
Analyse et critique
Le Masque de la Mort Rouge est la septième et sans doute la plus réussie de la série des huit adaptations d'Edgar Allan Poe par Roger Corman entre 1961 et 1965 (La Chute de la maison Usher, La Chambre des tortures, L'Enterré vivant, L'Empire de la terreur, Le Corbeau, La Malédiction d'Arkham et La Tombe de Ligeia). Le Masque de la Mort Rouge était, avec La Chute de la maison Usher, la nouvelle favorite de Corman mais craignant les similitudes avec Le Septième Sceau (1957), il optera pour la seconde pour réaliser sa première adaptation. Le film connaît un immense succès qui appelle à d'autres transpositions, Corman repoussant constamment, faute de script satisfaisant et sans doute un peu intimidé, Le Masque de la Mort Rouge. Une patience finalement bien récompensée puisque ses producteurs Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson vont parvenir à un accord de co-production avec la société anglaise Anglo-Amalgamated Productions. En échange d'un tournage en Angleterre, le film bénéficie ainsi de l'aide d'Etat nommée Eady Levy, Roger Corman, se voyant doté d'un budget et d'une durée de tournage plus importants (cinq semaines contre les trois habituelles des autres films de la série) et ce même s'il pestera contre la lenteur des techniciens anglais, très syndicalistes et à cheval sur les horaires (la fameuse pause thé qui rendra fou plus d'un réalisateur étranger). De plus, Corman a la chance de pouvoir recycler les décors d'une précédente production adaptée de Beckett, ce qui contribuera à donner un de ses films les plus formellement réussis.
Le scénario est très fidèle à la courte nouvelle, qu'il rallonge en la mélangeant notamment à un autre récit de Poe, Hope Frog - de même qu'il emprunte quelques éléments à la nouvelle La Torture par l’espérance d'Auguste Villiers de l'Isle-Adam. Vincent Price, dans le rôle du Prince Prospero, assure la continuité avec les autres films de la série et oriente certains choix du film. L'acteur est parfait en noble arrogant et cruel comme le montre une superbe entrée en matière où il malmène les villageois. A cette lutte des classes se conjugue un combat bien plus ancestral entre le Bien et le Mal. Le Prince Prospero est ici un suppôt de Satan adepte des forces occultes ; cette noblesse démoniaque s'oppose à la pureté et à l'innocence des démunis représentées par la malheureuse Francesca (Jane Asher) dont Prospero rêve de corrompre l'âme autant que la chair. Roger Corman orchestre ainsi la dépravation des nantis à deux niveaux, celui de leur décadence à travers les scènes où ils s'avilissent dans les beuveries, orgies et jeux grotesques puis celui de la damnation de leur âme avec les scènes de magie noire.
Le grand-guignol dérangeant domine dans la mise en scène chaotique des fêtes, tandis que le réalisateur déploie une tonalité oppressante et onirique quand se manifeste le surnaturel avec une photographie - signée d'un certain Nicolas Roeg - gorgée de philtres de couleurs, une musique planante et une frayeur jouant plus sur l'atmosphère que les effets chocs faciles à une scène près. Cela fonctionne par le jeu sur le décor, la salle de bal filmée en plongée nous offrant un monde de chaos et de luxure tandis que les pièces de couleurs témoignent du seul esprit torturé et maléfique de Prospero. A cette surcharge visuelle s'oppose la sobriété des apparitions de la Mort Rouge, l'austérité voire l'abstraction des décors de studio ténébreux renforçant sa présence inquiétante et hiératique, ainsi que le rouge écarlate de sa tunique - sans oublier le phrasé glaçant de John Westbrook. D'ailleurs, Corman ne s'y trompe pas et rend les apparitions de la Mort Rouge fugace au milieu des convives tandis qu'il écrase Prospero de sa puissance lorsqu’ils se trouvent isolés dans les pièces de couleurs.
La Mort Rouge punit un monde mais plus particulièrement le plus vil des hommes. D'ailleurs, même sur ce point le film ne cède pas à un total manichéisme. Vincent Price privilégie la subtilité au grand-guignol et confère d'étonnantes nuances à son personnage de méchant, impitoyable mais soudainement capable d'épargner un enfant ou de demander grâce à la Mort Rouge pour Francesca dont il est sincèrement amoureux - les adieux réciproquement émus laissent supposer que l'inverse est vrai aussi. Le finale est absolument flamboyant, Roger Corman propageant la mort par une photo écarlate qui sature l'image et la peau des protagonistes. Les débordements d'hémoglobine en deviennent presque abstraits avant un épilogue poétique et existentiel, dans lequel effectivement Le Septième Sceau n'est pas loin. Le réalisateur, tout en reprenant certaines idées formelles de la Hammer, apporte sa patte par son sens de l'excès et des allusions sexuelles osées pour l'époque. On peut sans doute y deviner certains germes du Suspiria (1977) de Dario Argento qui n'a sans doute pas manqué de voir ce classique de l'épouvante gothique.
En savoir plus
On peut trouver ce film en Blu-ray chez Sidonis au sein de ce coffret consacré à Roger Corman.