Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Péril jeune

L'histoire

Alain (Vincent Elbaz), Bruno (Julien Lambroschini), Léon (Joachim Lombard) et Momo (Nicolas Koretzky), qui s’étaient perdus de vue depuis les années lycée, se retrouvent dans la salle d'attente d’une maternité. S'ils sont là, c'est parce que Sophie (Élodie Bouchez), ex-camarade de classe, s'apprête à accoucher, et que le géniteur n'est autre que Tomasi (Romain Duris), le cinquième larron de la bande qu'ils formaient au lycée Montesquieu à Paris. Sophie avait su que son compagnon tenait à ce que ces quatre amis soient présents le jour où il deviendrait père. Pour honorer sa mémoire puisqu’il vient de mourir d’une overdose, les quatre potes ont donc fait le déplacement jusqu'à l'hôpital. En attendant que l'enfant naisse, ils se remémorent cette année 1975 alors qu'ils étaient en terminale avec Tomasi comme pilier de leur petit groupe…

Analyse et critique

Je profite de l’occasion qu’il m’est donné d’écrire sur un film de Cedric Klapisch pour exprimer toute l’admiration que je porte au réalisateur. Rarement ses films m'auront déçu, que ce soient ceux de ces débuts généralement très appréciés aussi par la presse, mais également ceux qui suivirent l’immense succès public que fût Un air de famille, déjà moins soutenus par la critique pour une raison qui m’échappe, considérant d’ailleurs ses trois plus récents opus - dont le dernier en date, le magnifique En Corps - comme faisant partie de ses plus belles réussites. Je ne sais pas si cette comparaison l’aurait contenté car leurs styles et leurs tons respectifs n’ont pas grand-chose en commun, mais Klapisch est un cinéaste auquel je trouve de très nombreuses similitudes dans son parcours, sa réception critique et sa ‘philosophie cinématographique’ avec un autre grand nom du cinéma populaire (dans le sens noble du terme), lui aussi bien trop souvent regardé avec un certain mépris durant des décennies, comme une sorte un retour de bâton après avoir été porté une dizaine d’années au pinacle : Claude Lelouch.

Quoique l’on pense de leur cinéma à tous deux, il me parait néanmoins impossible de ne pas leur reconnaître un réjouissant culot, une grande sincérité, beaucoup d’inventivité et de virtuosité, une immense générosité et surtout un amour immodéré du cinéma qui sourd au travers chaque seconde de leurs œuvres respectives. Pour Claude Lelouch, malgré un public fidèle qui heureusement lui suffira à poursuivre sa carrière la tête haute, la débandade et la moquerie critique débutèrent dès le tout début des années 80, alors que l’on peut encore trouver de pures merveilles durant les décennies qui suivirent ; pour Klapisch on peut dire qu’à partir de Peut-être (certes inégal mais aussi très attachant) on fut également moins prévenant à son égard. Les gros succès public de Un Air de famille et de L’Auberge espagnole firent peut-être des jaloux ?! Mais comme pour Lelouch, le public lui resta loyal et on peut dire qu’il fût toutes ses années durant, plus de 30 millésimes, l’une des valeurs les plus sures de notre cinéma. Après sa période faste avec son comédien fétiche Romain Duris - notamment L’auberge espagnole et ses suites -, il ne se démonta pas et à mon humble avis ses films suivants ne déméritèrent absolument pas. Du délicieux Riens du tout au superbe En corps, Klapisch nous aura décliné 14 fois son talent et prouvé à chaque nouveau film son efficacité à nous octroyer de l’excellent cinéma populaire, tour à tour ou à la fois amusant, attachant, frais, grave ou 'jouissivement' frivole.

Mais trêve de louanges sur le cinéaste pour nous concentrer sur son deuxième long métrage devenu en une trentaine d’années une sorte de film culte : Le Péril jeune. C’est à l'origine un téléfilm pour Arte - anciennement La Sept - dans le cadre d'une commande pour la collection Les Années Lycée, pour faire suite à une précédente qui avait rencontré un vif succès au début des 90’s, Tous les garçons et les filles de leur âge. Cette dernière était constituée de neuf téléfilms sur le thème de l'adolescence avec déjà de futures grandes signatures comme Olivier Assayas, Cedric Kahn ou au contraire des réalisateurs déjà chevronnés, certains nous ayant offerts pour l’occasion parmi leurs œuvres leurs plus attachantes tel André Téchiné avec Les Roseaux sauvages. Parmi les 4 téléfilms des années lycée abordant 4 années différentes se déroulant tous dans le lycée Montesquieu (imaginaire), seul celui de Cedric Klapisch se fera remarquer contrairement à ceux de Eric Barbier, Romain Goupil ou Manuel Poirier. Cédric Klapisch qui vient de réaliser son premier long-métrage, avec Fabrice Luchini en tête d’affiche, Riens du tout, rejoint le projet pour diriger l’opus dédié à l'année 1975. Il en écrit le scénario en à peine deux mois avec deux amis lycéens : "en 1993, on était tous les trois jeunes trentenaires et on avait envie de parler de nos 17 ans dans les années 1970. Dans le film, de nombreux éléments font écho à notre amitié. Pour dessiner les personnages, on s'est aussi inspirés d'élèves qu'on avait réellement côtoyés. Tomasi, par exemple, est la synthèse de trois personnes qu'on avait connues" disait-il dans un entretien donné l’an dernier au site internet du journal Le Point. Il est diffusé le 21 mai 1994, son audience reste relativement discrète mais il connaît cependant plusieurs sélections en festivals, notamment au Festival du film d'humour de Chamrousse où il remporte le Grand Prix et le Prix de la Critique.

Une sélection et des récompenses dans les festivals de comédies qui surprennent le cinéaste et ses deux acolytes : "Avec Le Péril jeune, on n'avait pas du tout eu l'intention de faire rire. Pour nous, on y racontait avant tout le destin tragique d'un personnage mort d'une overdose." Au Festival de Chamrousse, Gaumont remarque le téléfilm et décide de le distribuer en salle le 11 janvier 1995. Et contre toute attente il réussit à attirer pas moins 655000 spectateurs ! Toutefois, c'est la VHS qui va véritablement le lancer et en faire un film culte : "Dans les cinq années qui ont suivi sa sortie en salle, Le Péril jeune est devenu un phénomène grâce à la VHS. Dans la rue, les gens me disent alors qu'ils l'ont vu vingt fois avec leurs amis. C'est là que je me rends compte de l'impact du film ; Il y avait un processus d'identification fort. Le public se reconnaissait dans ces personnages banals, qui ne sont pas extraordinaires." Le tournage en à peine trois semaines fut une riche expérience pour tous les jeunes participants : "Romain, Vincent, Julien, Nicolas et Joachim se sont rencontrés deux mois avant le tournage. Tout de suite, ils sont sortis ensemble tous les soirs, et, une semaine après, c'étaient de vrais potes. De mon côté, j'ai beaucoup répété avec eux. Tout cela a contribué à nourrir leur complicité devant la caméra et a rendu le tournage assez fluide. Durant ces 24 jours, l'équipe partageait une belle énergie, un bel enthousiasme". D’où aussi un étonnant naturel qui ressort à la vision du film, l’alchimie entre les comédiens faisant merveille, leur amitié ne paraissant jamais feinte.

Aujourd’hui encore Klapisch éprouve toujours une profonde affection pour son deuxième ‘bébé’ : "J'ai pour lui beaucoup de tendresse. Il y a une innocence qui le traverse, du fait que nous démarrions tous ; cela se ressent quand on le voit. Et ses thèmes sont toujours percutants, même si la société a changé." Très lucide sur ses qualités et défauts, le réalisateur n’hésite pas à dire que son film est loin d’être parfait et effectivement il fera mieux par la suite. Ceci étant dit, même si la mise en scène et le scénario n’ont rien d’exceptionnels, le récit s’avérant une suite de saynètes assez inégales, l’ensemble reste toujours extrêmement plaisant et attachant, la banalité et la simplicité des situations étant le reflet de ces années lycée que tout le monde a vécu à peu près pareillement, chacun allant certainement se retrouver dans telles ou telles situations, dans tels ou tels personnages auxquels on pourra très facilement s’identifier. L’amitié, les premiers flirts, les blagues potaches, le rock, l’ennui des cours, le stress des examens, la pression des parents, l'agacement par la fratrie n'ayant pas les mêmes goûts musicaux, la venue d’une certaine conscience politique, le militantisme sincère, dilettante ou profiteur, l’incertitude face à l’avenir et au chômage, la drogue, le sexe, etc., Le Péril jeune est un film d’observateur plus que de moralisateur et c’est tant mieux ! Ses protagonistes ne sont pas forcément glorieux, même parfois un peu nigauds voire très crétins, mélange de fragilité, de timidité et de trop grande assurance comme certainement beaucoup d'entre nous à la même époque et au même âge.

Malgré une humeur assez joyeuse, foutraque et enthousiaste, sourd assez régulièrement de l’ensemble une mélancolie qui en fait tout le prix et tout le charme. Cette ambiance de l’époque retranscrite à merveille, ces souvenirs savamment croqués sont évoqués lors de retrouvailles dix années plus tard par quatre amis hantés par la mort d’une overdose de l’un des membres de leur petit groupe et qui ruminent le fait d’avoir tous plus ou moins tournés le dos à leurs aspirations d’adolescence, tous désormais embourgeoisés et rangés. Une chronique savoureuse et très juste de la jeunesse du milieu des années 70, parfaitement interprétée par Romain Duris et Vincent Elbaz mais aussi par tous leurs autres partenaires, rythmée par un Soundtrack mélangeant allègrement Sheila, les Pink Floyd, Stone et Charden, Janis Joplin, Barbara (magnifique séquence romantique vers la fin du film sur la chanson Les Voyages) et Jimi Hendrix, la musique étant à l’origine de la scène la plus désopilante du film, celle qui prend son temps et au cours de laquelle Bruno se sent tout d’un coup complètement abattu et blasé en ayant pensé pouvoir suivre à la guitare Alvin Lee des Ten Years After et se rendant compte du gouffre qui existe. On sourira aussi devant le prof de maths adepte d’expression corporelle, la prise de crack tournant au Bad Trip surréaliste, Tomasi refaisant pendant la récréation la scène emblématique du Amarcord de Fellini, le conseil de classe ‘grotesque mais vrai’, la méthode de révision assez sportive de Chabert et on s’esclaffera de rire lorsque ce dernier fera l’idiot en classe en prenant pour tête de turc son pote qu’il sait avoir couché avec la jeune prof d’anglais.

Nous aurions bien suivi encore ces joyeux lurons dans leurs scènes de chahut et de drague durant quelques heures de plus ; nous aurions accepté encore plus de scènes comme celle très touchante au cours de laquelle Joachim Lombard et Hélène de Fougerolles se retrouvent tous les deux sur une terrasse surplombant Paris sans oser faire quoi que ce soit malgré leurs désirs respectifs ; nous aurions bien voulu soutenir Tomasi plus longtemps dans son attitude politiquement incorrecte concernant le travail. Nous aurions aimé que s'éternise un peu ce film rafraîchissant mais également parfois très émouvant et non dénué de gravité comme lors de ce plan final sur le visage changeant et bouleversant de Romain Duris qui disparaît petit à petit comme les illusions de l’adolescence. Un film assez irrésistible, d’une grande drôlerie mais aussi d’une grande sensibilité surtout lorsqu’il nous fait prendre conscience du temps qui passe et du mal-être que nous connaissions tous plus ou moins à cet âge d’autant que l’identification avec au moins un des protagonistes semble inévitable. Klapisch ne cherche à faire passer aucun message, il a observé et se souvient pour nous livrer un instantané de 1975 expressément banal et par là très juste. Avec son film suivant, Chacun cherche son chat, il accédera à un degré de plus dans la banalité de l’intrigue… pour le plus grand bien-être de ses fidèles admirateurs qui s’en délecteront à nouveau.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 mars 2024