Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Prince et le Pauvre

(The Prince and the Pauper)

L'histoire

Tom Canty, gamin des rues du Londres miséreux du milieu du XVIème siècle, cherchant à échapper à des croquants dont il a subtilisé la bourse, se retrouve malgré lui face à face avec le Prince Edouard, héritier du trône du roi Henry VIII.
Puisqu'un bal costumé doit se tenir, le Prince, constatant leurs troublantes ressemblances, ordonne à Tom s'échanger leurs tenues. Les voilà alors embarqués dans un quiproquo qu'ils ne vont très vite plus maîtriser, Tom se retrouvant à la Cour, et Edouard devant partager la compagnie d'un mercenaire nommé Miles Hendon... 


Analyse et critique

Le Prince et le pauvre fut écrit par Mark Twain en 1882, entre Les Aventures de Tom Sawyer (1876) et celles de Huckleberry Finn (1884), deux titres parmi les plus célèbres de son œuvre qui laissent parfois penser que l’oeuvre de Mark Twain se réduit aux rives du Mississippi… Avec son intrigue située à Londres durant le XVIème siècle, qui fait interagir des figures historiques et des personnages de fiction, Le Prince et le pauvre donne à apprécier une autre facette de l’auteur, également perceptible par exemple dans Un yankee à la cour du Roi Arthur (1889) : une approche distanciée de l’Histoire, dont Twain semble observer avec amusement les soubresauts, et qui lui donne l’occasion d’un commentaire de moraliste, en écho avec les préoccupations de son temps. Il y a, sans aucun doute, un fil conducteur dans l’oeuvre de Mark Twain autour de la dualité, sinon de la gémellité, dont Le Prince et le pauvre, dès son postulat, représente l’une des concrétisations les plus explicites.

Le roman, devenu un petit classique, avait déjà été adapté au cinéma (en 1937, avec Erroll Flynn et les jumeaux Billy et Bobby Mauch dans les rôles-titres) ou à la télévision (en 1962, dans un téléfilm Disney réalisé par Don Chaffey), mais la relance d’un nouveau projet d’adaptation, au mitan des années 70, correspond à la volonté des producteurs Pierre Spengler et Alexander Salkind de saisir une opportunité commerciale : les succès importants des adaptations d’Alexandre Dumas par Richard Lester, Les Trois mousquetaires (1973) puis On l’appelait Milady (1974), ont témoigné du regain d’intérêt du public pour les intrigues historiques mêlant complots et combats à l’épée. Un premier scénario est donc écrit, à la hâte, par Spengler et l’épouse de Salkind, Berta Rodriguez D., et George Cukor – alors en fin de carrière – est contacté pour en assurer la réalisation. Celui-ci, dans un premier temps intéressé, quitte finalement le projet, guère convaincu par le choix scénaristique de vieillir les deux protagonistes principaux (dans la réalité, Edward avait 9 ans en janvier 1547 ; chez Mark Twain, les deux héros ont une douzaine d’années ; dans le script de Rodriguez et Spengler, ils s’approchent des 17-18 ans). Après une réécriture du script par George McDonald Fraser, les producteurs contactent alors celui vers lequel, depuis quelques décennies, de nombreux studios avaient pris l’habitude de se tourner pour sauver des projets mal embarqués : Richard Fleischer.

Il y a, dans les années 70 de Richard Fleischer, une sorte de paradoxe tragique : d’un côté, ses réalisation témoignent, depuis une dizaine d’années, d’une maturité certaine, et le cinéaste semble alors en pleine maîtrise de ses moyens, esthétiques comme techniques. Tout bien pesé, peu de réalisateurs, dans l’histoire du cinéma mondial, peuvent se vanter d’avoir connu dans leur carrière une telle densité qualitative que Fleischer entre 1968 et 1975, lui qui vient d’enchaîner L'Étrangleur de Boston, L'Étrangleur de Rillington Place, Les Complices de la dernière chance, Les Flics ne dorment pas la nuit, Soleil Vert ou Mandingo (et on en oublie). Malheureusement, la mauvaise réception (principalement critique) de ce dernier titre, un film complexe dans lequel il avait beaucoup investi mais qui fut mal compris, l’a d’une certaine manière découragé, et il va alors – avec lucidité, voire même une forme de fierté, comme il en témoignera dans ses derniers entretiens – jeter son dévolu sur des projets plus impersonnels, que ses compétences indéniables permettront de sauver du naufrage.

Le Prince et le pauvre n’est pas le plus inintéressant de ces films de fin de carrière, loin s’en faut. C’est même un film doté d’un charme certain, avec une qualité de production ou de direction artistique plutôt inespérée (Fleischer avait su négocier une hausse du budget, une partie du tournage se tenant en Hongrie, près de Budapest). Le savoir-faire du réalisateur est manifeste, dans la captation du quotidien des quartiers pauvres comme dans la reconstitution du faste de la cour, et il parvient même à susciter ponctuellement une forme de stupéfaction face à l’habileté de sa mise en images, par exemple lors de la découverte du repaire des brigands dirigés par Ruffler (George C. Scott) ou dans la rugosité de certains combats, filmés avec une modernité nerveuse. Nul doute que ce passionné de technique (des trucages de Vingt mille lieues sous les mers aux split-screens de L'Étrangleur de Boston) ait trouvé une motivation particulière, dans son acceptation du projet, dans le défi représenté par les apparitions simultanées d’Edward et de Tom à l’écran.

Dans ses meilleurs moments, Le Prince et le pauvre parvient à développer sa petite fable politique, établissant un terrain d’entente, d’expression commune, entre Mark Twain et Richard Fleischer, autour de la notion du « double jeu », des manipulations du pouvoir ou du petit théâtre de l’absurde qu’est la « reconnaissance » sociale. Les domestiques du Prince le vantant pour l’ingéniosité de son déguisement ; la cour buvant, de concert avec Tom, dans la coupe prévue pour le lavage des doigts ; le même Tom, qui dans la première scène moquait les puissants, s’empressant d’en adopter les comportements les moins honorables, sous les yeux de sa future Elizabeth I de « sœur » ; le frère de Miles assurant, tout en le reconnaissant, que celui-ci est un imposteur ; les imbéciles revirements finaux, lors du couronnement, des conseillers du Roi… plusieurs éléments alimentent une discrète satire, qui s’épanouit (de façon plus explicite mais trop furtive) dans les toutes dernières secondes du film, où ressort avec malice la duplicité de personnages dont la noblesse tolère volontiers quelques compromissions… Raillant dans le même élan les opportunistes et les idéalistes déçus, le film adopte alors un mélange de lucidité, d’espièglerie et de mise en perspective historique, qui aurait pu infuser plus largement le reste du long-métrage...

Car il difficile, dans le même temps, de ne pas reconnaître que le film est un peu lesté (au risque d’un mauvais jeu de mots sur le patronyme d’un comédien en particulier, on y arrive) par la nature même de sa production : dans la veine des deux adaptations de Dumas, le film est séquencé en vignettes, peinant à établir du lien entre ses deux intrigues parallèles, et le plaisir éprouvé face au numéro parfois outrancier de ses acteurs-vedettes (1) n’annule pas l’impression d’un défilé protocolaire, sans beaucoup de panache et guère plus de conviction. Le cas d’Oliver Reed mérite toutefois une mention spécifique : au gré des adaptations, le personnage de Miles Hendon a régulièrement pris le dessus sur les héros adolescents, et Reed ne manque ici jamais une opportunité pour accaparer l’attention, avec son tempérament roublard et son expressivité colérique (2). Reed était, toutefois, de ces comédiens de tempérament dont la personnalité imprègne les films, et nul doute que Le Prince et le pauvre aurait un caractère différent (pour le pire ou le meilleur, finalement peu importe) sans sa présence.

Un des aspects insatisfaisants du film, sans en exagérer l’importance, réside donc aussi dans l’interprétation de Mark Lester (aucun lien ni avec le cinéaste Richard, ni avec son homonyme réalisateur entre autres de Commando (1985)). Le jeune comédien, révélé en 1968 dans le rôle-titre de l'adaptation de Dickens intitulée Oliver ! et réalisée par Carol Reed (qui lui, de son côté, était l'oncle d'Oliver - Reed, pas Twist) s’avère incapable d’insuffler des personnalités propres et bien distinctes aux deux rôles, et sa silhouette d’échalas dégingandée erre parfois à l’écran à la limite de la perdition… Mark Lester endossera, à l’excès, l’échec du film, et interrompra définitivement sa carrière d’acteur après le film (3).

En tout état de cause, et sans chercher à exempter totalement le jeune comédien de sa responsabilité, le principal tort du Prince et le pauvre n’est probablement pas tant ce qu’il était – une comédie d’aventures plutôt enlevée, face à laquelle il est toujours possible de prendre un certain plaisir – que quand il était. Voilà, pour récapituler, une œuvre anachronique, qui ressemble à un film de studio des années 50 mais qui sort précisément – entre Jaws et Star Wars (pour établir un repère temporel un peu édifiant…) - où le cinéma américain renouvelle complètement son mode de fonctionnement, ses ambitions et ses formes. Un vestige d’un cinéma qui, déjà, n’existe plus.


(1) Pour la plupart en fin de carrière, et familiers de Richard Fleischer : Charlton Heston (Soleil vert), Rex Harrison (L’Extravagant Dr Dolittle) – ces deux-ci se détestant cordialement – , Ernest Borgnine (Les Inconnus dans la ville, Les Vikings, Barabbas), George C. Scott (Les Compagnons de la dernière chance, Les Flics ne dorment pas la nuit) avaient déjà tourné pour le cinéaste. Quant à Raquel Welch, bien plus jeune que les précédents, son premier rôle majeur, une dizaine d’années plus tôt, fut sous la direction de Fleischer dans Le Voyage fantastique
(2) L’alcoolisme de Reed le rendait parfois difficile à gérer sur un plateau, et ses frasques furent en particulier sur ce tournage assez spectaculaires (bagarres, emprisonnements et prostituées inclus)
(3) On a, bien plus tard, retrouvé trace de Mark Lester (devenu entre temps ostéopathe) dans la rubrique mondaine un peu sordide : ami de longue date du chanteur Michael Jackson (lui aussi un ex-enfant star), Mark Lester a prétendu, après la mort de celui-ci, être le père biologique de ses trois enfants...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 27 décembre 2024