Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Prix du danger

L'histoire

Dans un futur indéterminé, un jeu de télévision connait un succès considérable. Le Prix du danger, présenté par l’animateur star Frédéric Mallaire, met en scène un candidat poursuivi par des chasseurs, qui doivent l’abattre avant qu’il n’atteigne la ligne d’arrivée. Personne n’a jamais gagné. François Jacquemard, un chômeur, accepte le défi. Mais lorsqu’il se rend compte que le jeu est truqué, il décide de jouer selon ses propres règles.

Analyse et critique

En 1983, Yves Boisset tourne avec Le Prix du danger ce qui est déjà, malheureusement, l’un de ses derniers films pour le cinéma. Il ne lui reste plus que cinq années, et trois films, à travailler pour le grand écran, avant, ironie du sort lorsque l’on voit le film, de se voir réduit à des productions télévisuelles. Boisset et son producteur Norbert Saada s’emparent d’une nouvelle de l’auteur de science-fiction Robert Sheckley qu’ils vont garder de nombreuses années dans les tiroirs avant de pouvoir en tirer un film. Le résultat se positionne, au moment de sa sortie, du côté du récit d’anticipation, pour lequel Boisset choisit de ne pas créer une imagerie futuriste mais aborde un thème qui parait forcément farfelu au moment de sa production, en plaçant au cœur de son film une émission de télévision qui met en scène la mort de ses candidats, selon un principe voyeuriste atroce. Un prétexte qui évoque un rapprochement entre La Dixième victime d’Elio Petri, qui utilisait déjà le principe de la chasse dans une représentation plus grotesque, et La Mort en direct de Bertrand Tavernier, qui explorait le voyeurisme télévisé. Le Prix du danger en est une belle synthèse.


Boisset dira plus tard en interview : « Il n’y a pas de règlement ou de loi qui permette de limiter la bêtise à la télévision ». On peut penser que le réalisateur avait déjà cette idée en tête en tournant Le Prix du danger tant il pousse alors tous les curseurs. L’émission au cœur du film est particulièrement extrême, faisant de son candidat une cible humaine pour les chasseurs, et l’objet de l’obsession morbide des spectateurs. On voit dans les rues l’agitation sauvage du public et sur le plateau l’excitation de Mallaire, présentateur mielleux et cynique, maître d’une cérémonie morbide. Dans le rôle, Piccoli fait beaucoup pour rendre l’ensemble effrayant, par ses gestes, son excitation et ses mots. Toujours vêtu de costumes blanc immaculé, qui contrastent avec la télévision poubelle qu’il conduit, le personnage est un des éléments forts du film, qui rendra d’ailleurs plusieurs véritables présentateurs furieux, de Léon Zitrone qui, selon Boisset, avait inspiré le personnage pour son côté pédant, à Jacques Martin, en passant même par Michel Drucker. Ces incarnations de la télévision française se sentait-t-elle personnellement incarné, ou voyaient-elles la critique profonde et visionnaire du film ? Car Mallaire n’est pas le seul à être la cible de Boisset. Derrière lui, il y a notamment le froid Antoine Chirex, le patron de la chaine impeccablement interprété par Bruno Cremer. Ses propos sont glaçants, décrivant son émission qui, selon lui, fait baisser la délinquance comme « une entreprise de salubrité public ». Un homme pour qui la mort ne compte pas, et qui déclare, quand un des poursuivants meurt électrocuté : « on fera jouer les assurances ».


Boisset n’épargne personne. Ni l’incarnation publique de la télévision, ni se hommes de l’ombre, et pas non plus le public, qui se masse sur les routes pendant la chasse, pour jouir du massacre à venir. Sans public assoiffé de sang, pas d’émission sordide, Boisset est lucide dans son constat sur la chaîne des responsabilités, et sur ce qui va amener la télévision à ne jamais limiter sa bêtise. Même les candidats, qui se dirigent vers la mort, ne sont pas épargnés. Filmés comme des zombies, ils sont les victimes consentantes d’un système qu’ils entretiennent. Tous sauf Jacquemard, seul personnage positif du film. Il est un héros devant la caméra de Boisset car, comme dans d’autres films, il est celui qui refuse le mensonge. Déjà réticent à participer à l’émission lors du casting, son statut devient clair lorsqu’il découvre que le jeu est truqué. Avant tout rêve de richesse, il veut désormais exposer la vérité, et va tenter de gripper une machine bien huiler. Le premier acteur pressenti pour le rôle fût Patrick Dewaere, dont l’état psychologique inquiétait toutefois Boisset et le producteur Norbert Saada. Finalement, Dewaere refuse pour jouer Cerdan chez Lelouch, avant de se donner la mort. La production se tourne alors vers Gérard Lanvin, qui n’est pas encore une star mais devient populaire. Il y trouve le plus beau rôle d’une carrière qui sur la longueur, ne sera pas à la hauteur des promesses entrevues au cœur des années 80. Son énergie, sa force et sa posture rende crédible le personnage, et sa pureté dans un monde corrompu, et son activité permettent d’intenses séquences d’action. Le jeune Lanvin vient compléter un casting impressionnant, et se met au niveau de ses brillants ainés Cremer et Piccoli pour permettre l’équilibre du propos du Prix du danger.


Mais la plus grande force du film, c’est bien sur son aspect visionnaire. Ce qui était un récit d’anticipation à sa sortie en 1983 est presque devenu, quelques années plus tard, un documentaire sur la télévision. Les dérives de la production télévisuelle, avec l’avènement de la télé-réalité, ont donné a posteriori raison à Boisset. Il n’y a certes pas (encore) de chasses à l’homme en direct, mais les limites de la bêtise ont effectivement largement été repoussées et rendent encore, de nos jours, terriblement pertinent le propos du Prix du danger. Le film n’a pas vieilli, bien au contraire, d’autant que les choix artistiques servent le film. Le choix volontaire de décors impersonnels, dans les faubourgs néo-staliniens de Belgrade, rendent impossible à identifier le lieu de l’action. Son époque, hormis quelques écrans cathodiques et les modèles d’automobiles, n’est pas marquée non plus. Et Boisset a fait le choix salvateur de ne pas chercher à inventer les objets hypothétiques du futur, évitant le ridicule dans lequel sombrent de nombreux films d’anticipation quelques décennies après leur sortie. Le Prix du danger est une réussite complète. Un film intense, puissant, qui sait délivrer intelligemment son message. Une œuvre typique du cinéma de Boisset, qui a multiplié durant une quinzaine d’année les réussites majeurs et s’aventure ici avec succès dans un genre inhabituel pour lui comme pour le cinéma français, en délivrant une vision glaçante de l’humanité dans un écho lointain aux Chasses du comte Zaroff. Le film, qui bénéficiera évidemment de peu de promotion télévisuelle, est sa dernière grande réussite. Il n’en est pas moins une œuvre indispensable, encore plus de nos jours.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 9 mai 2024