L'histoire
L’agent français Josselin Beaumont a été envoyé au Malagawi pour y exécuter le président Njala. Mais quelques jours plus tard, la situation politique et les intérêts de la France sont transformés : Njala ne doit surtout pas être assassiné. Plutôt que de rappeler Beaumont, le Service préfère le dénoncer au président. Après un lavage de cerveau, Beaumont est jugé et condamné à mort, une peine commuée par le président en une période de "rééducation". Beaumont fini par s’évader et, deux ans après son départ, il rejoint la France alors que le président Njala est en visite diplomatique. Il envoie un message pour informer le Service qu’il va exécuter sa mission dans les trois jours. Une chasse à l’homme s’enclenche, laissant Beaumont seul face à ses anciens collègues et à l’impitoyable commissaire Rosen de la Brigade d’intervention.
Analyse et critique
Entre la fin des années 70 et le début des années 80, dans une période où il est à l’apogée commerciale de sa carrière, Jean-Paul Belmondo tient un rythme de métronome. Une fois par an ou presque, il est la tête d’affiche d’une grosse production oscillant entre les registres du film policier, du film d’aventures et de la comédie. Le "cru" Belmondo de l’année 1981 est Le Professionnel, troisième collaboration consécutive de l’acteur avec Georges Lautner. Ce sera leur plus beau succès public ensemble, et l'une des meilleures réussites au box-office français de Jean-Paul Belmondo, uniquement dépassé par L’As des as l’année suivante - et par Le Cerveau pour lequel il partageait l’affiche avec Bourvil. La reconnaissance en salle n’est évidemment pas le gage d’une reconnaissance critique. Rapidement les limites du Professionnel sont soulignées, au point de le voir aujourd’hui considéré comme un film faible, voire mauvais. Scénario gâché, caractérisation des personnages discutable, les griefs qui lui sont portés sont souvent sensés et difficilement réfutables. Pourtant il est possible de beaucoup aimer ce film, l’auteur de ces lignes en est la preuve vivante. Malgré des défauts objectifs, il y a de quoi prendre un plaisir sincère à la vision du Professionnel.
Débutant comme un film qui va plonger dans les eaux troubles de la Françafrique, Le Professionnel s’éloigne petit à petit du débat politique pour se transformer en un film beaucoup plus classique mettant en scène la traque de Josselin Beaumont par les services secrets français et la Brigade d’intervention mené par l’impitoyable Rosen. Cette simplification du propos peut être perçue à juste titre comme l’une des grandes faiblesses du film. Il manque au cinéma français un grand film sur cet aspect de la diplomatie de notre pays et les premières minutes, sérieuses et réalistes, laissent espérer que ce soit celui-ci. Ce revirement net dans la tonalité du film est le reflet d’une écriture chaotique. C’est Michel Audiard qui se penche le premier sur le scénario du Professionnel, mais le célèbre dialoguiste est accaparé par l’écriture de Garde à vue et son travail ne satisfait absolument pas la production et Jean-Paul Belmondo. Seraient alors intervenus dans la correction du scénario Jacques Audiard, le fils de Michel, et Francis Veber, connu pour ses capacités de script doctor. Le rôle de l’un et de l’autre est difficile à définir, mais il est évident que ces complications ont eu un rôle majeur dans le résultat discutable que l’on connait. Toutefois il ne faut pas non plus oublier ce que doit être, à cette époque, un film mettant en scène Jean-Paul Belmondo. Son triomphe public est associé à une certaine typologie de films et de personnages qui sont difficilement compatibles avec une production d’une grande profondeur politique. Comme l’affirmera Jacques Deray lors de la campagne promotionnelle du Marginal deux ans plus tard : « Quand le public va voir Belmondo, il veut voir Belmondo. » Autrement dit il veut voir des bagarres, des cascades, de l’humour et de la séduction et un personnage capable par la seule force de ses bras et sa malice de triompher de la plupart des adversités. Dès le retour de Beaumont à Paris, après un gros quart d’heure de film, le personnage revient rapidement dans la veine de ceux régulièrement interprétés par l’acteur, comme en témoigne la scène grand-guignolesque où, déguisé en clochard, il se joue de la vigilance des hommes de Rosen.
Une fois la chasse à l’homme ouverte, nous sommes dans un pur film de héros, typique des films tournés à cette époque par Belmondo qui ponctue l’action de coups de poings et de punchlines de qualité variable, parfois drôles et parfois plus lourdes, comme la fameuse réplique du « couscous poulet ». Le personnage de Beaumont est dans une démarche purement personnelle. Il n’a pas pour ambition de renverser le gouvernement français ou de dénoncer des dérives politiques et diplomatiques. Il veut simplement se venger, sans réelle conscience politique, comme le confirmera son discours final au président Njala. Et si l’on veut bien accepter que Le Professionnel ne soit pas le film qu’il aurait pu être, mais un simple polar d’action, force est de constater qu'il fonctionne bien mieux qu’on en le pense. Beaumont est un héros solitaire et particulièrement attachant dont le destin se déroule avec rythme et efficacité à l’écran. Son aventure est bien évidemment émaillée de quelques extravagances, comme sa spectaculaire sortie de l’appartement de Valeras, mais ce type de scène qui jurerait dans un film unilatéralement sérieux et réaliste est tout à fait acceptable dans la direction que prend Le Professionnel. Il faut bien le reconnaître, ce sont même ces scènes qui font toute la jubilation du spectateur attaché à voir Belmondo triompher de tous ses ennemis en dépit de leur supériorité matérielle, même en faisant parfois fi de la vraisemblance.
Centré sur son héros, Le Professionnel laisse bien peu de place à ses autres personnages. Seul Rosen se démarque, en méchant marquant interprété par un Robert Hossein particulièrement à l’aise dans ce type d’emploi dont il est un habitué. On reproche régulièrement au film la caractérisation de ses personnages. Souvent la bêtise des antagonistes de Beaumont, incapables malgré leurs moyens de mettre la main sur un homme seul, est mise en avant comme l’une des grandes faiblesses du Professionnel. Pourtant nous l’avons vu, si nous acceptons le parti pris léger du film, il nous semble que ces personnages ne sont pas choquants. Régulièrement, les détracteurs évoquent aussi la place de la femme dans le film et certains rôles archi-caricaturaux comme celui de la policière lesbienne ; et il faut bien admettre ici que les personnages féminins ne constituent pas le point fort du Professionnel, souvent desservis, en plus de leur écriture, par une interprétation oubliable, voire médiocre lorsqu’il s’agit d’Elisabeth Margoni dans le rôle de la femme de Beaumont. Une chose est sûre : un acteur domine de la tête et des épaules le casting, c’est Jean-Paul Belmondo, star absolue d’un film qui est comme tous ceux qu’il tourne à cette période un véhicule à sa gloire. Parfait dans les démonstrations de force et de charisme, il confère au personnage de Beaumont une véritable épaisseur et il nous semble bien difficile de ne pas aimer et comprendre cet homme en quête de vengeance.
Pour les films qu’il tourne pour et avec Jean-Paul Belmondo, Georges Lautner ne fait pas preuve des ambitions visuelles qui étaient les siennes lors de la premières partie de sa carrière. Il ne faut toutefois pas imaginer que sa mise en scène est paresseuse. Brillant technicien, il met en valeur les prouesses physiques de l’acteur lors des cascades et des scènes de bagarre et donne au Professionnel une efficacité et un rythme appréciables. Il nous offre également quelques très belles séquences, parmi lesquelles nous retiendrons toutes les premières scènes en Afrique, où il multiplie les belles idées, notamment ce plan où la caméra remonte lentement le mur sur lequel Beaumont compte ses jours de captivité. Et puis nous devons aussi citer la mémorable scène finale où Lautner utilise avec brio le décor du château de Maintenon pour nous offrir un grand moment d’émotion. Notons aussi un moment plus anecdotique, celui où Beaumont assène au dénommé Volfoni une superbe droite sur le seuil de sa porte, écho évident à la scène des Tontons flingueurs. Au-delà du clin d’œil, cet élément ressemble aussi à un moyen pour Lautner de situer Le Professionnel dans la filiation d’un film comique, affichant ainsi clairement son intention de tourner un film léger. Enfin, il est difficile d’évoquer Le Professionnel sans parler de sa musique. Pour le meilleur et pour le pire, et même s’il fut initialement composé par Ennio Morricone dix ans plus tôt pour le film Maddalena, le thème Chi Maï est indissociable du film. S’il est légitime de considérer qu’il est utilisé à l’excès, habillant de nombreuses scènes, et si malheureusement sa puissance a été usée à force de détournements publicitaires et parodiques, il reste malgré tout l'un des thèmes les plus emblématiques de son auteur et l'une des ritournelles les plus émouvantes de l’histoire du cinéma. Dans son ensemble, la bande originale composée par le maestro italien est d’ailleurs brillante et contribue énormément à la dimension émotionnelle du film.
Une fois n’est pas coutume, je conclurai ce texte à la première personne du singulier. Devant les défauts objectifs du film, il m’était évidemment impossible de le défendre autrement que d’un point de vue subjectif. Le Professionnel n’est pas un chef-d’œuvre, et la déception qu’il suscite après le premier quart d’heure est compréhensible. Je ne veux pas le juger comme un film politique avorté, mais pour ce qu’il me semble être : un film typique de l’âge d’or de Jean-Paul Belmondo, l’un des meilleurs, capable de me procurer des frissons à chaque vision et de m’émouvoir systématiquement lors de son final, quand l’ordre est donné d’en finir et que les notes d’Ennio Morricone nous emportent vers son implacable conclusion. Le Professionnel est critiquable, et peut légitimement être considéré comme un film raté. Je crois qu'il peut aussi être aimé comme un divertissement simple, efficace et bien mené, dont les scènes les plus emblématiques sont de nature à rester longtemps dans la tête du spectateur.