L'histoire
A Marseille, en pleine campagne électorale, la famille Orsini, un clan corse qui domine le milieu traditionnel, s’oppose au promoteur Forestier, qui brigue la mairie. Avec l’aide d’hommes du SAC, ce dernier fait exécuter les frères Lucien et Marc Orsini. Craignant la vengeance du troisième frère Orsini, Louis, depuis longtemps exilé en Thaïlande, Forestier envoie un tueur à ses trousses. Dans une méprise, il tue la femme de Louis qui va le prendre en chasse et lui faire avouer le nom de ses commanditaires. Envoyée à Marseille sous la protection de Mason, son ami américain, la fille de Louis est également tuée. Le dernier des Orsini se lance alors dans une vendetta.
Analyse et critique
Après Coplan sauve sa peau et Cran d’arrêt, Yves Boisset connut son premier grand succès en 1970 avec son troisième film, Un Condé, une réussite majeure qui fut aussi une production difficile, se heurtant à la censure qui fit interdire le film avant de lui imposer des coupes. Ce succès ouvre au cinéaste de nouvelles possibilités dans l’industrie, et il ambitionne immédiatement de tourner un film sur l’affaire Ben Barka, qui donnera naissance en 1972 à L’Attentat, son chef d’œuvre. Il s’agit là aussi d’une production complexe, qui nécessite de réunir une distribution importante et qui va certainement éveiller à nouveau l’attention de la censure, le scandale étant récent. Boisset donc le temps de tourner un film de transition. De nombreux sujets, souvent policiers, lui sont proposés, et il va porter son attention sur un roman publié en 1968 par Bernard-Paul Lallier, Le Saut de l’ange, qui a reçu le prix du Quai des Orfèvres.
Le sujet semble parfait pour un film qui se placerait dans l’immédiate continuité d’Un Condé, et les toutes premières images le confirment, avec un générique illustré de plusieurs séquences violentes et sèches, sur fond de campagne électorale. Mais, très rapidement, Le Saut de l’ange va opérer un virage qui s’illustre dès l’arrivée en Thaïlande, où les images exotiques suggèrent immédiatement un récit d’aventure. Et c’est bien la direction que le film va prendre, en utilisant les ressorts et l’imagerie du serial, pour laisser à l’arrière-plan sa potentiel dimension politique qui n’apparait plus que comme un décor. Un choix volontaire de la part de Boisset, qui assumera la dimension presque comique de son film et sa volonté d’éviter toute difficulté avec la censure. Dès l’adaptation, il atténue la portée politique du récit, en délocalisant notamment l’intrigue de Nice vers Marseille, comme pour éviter l’inévitable rapprochement qui pourrait être fait entre le personnage de Forestier et Jacques Médecin. Il reste quelques traces de cette tonalité possible du film, des références au SAC, quelques commentaires sur l’asservissement de la Police, comme la réplique à Mason du commissaire Pedrinelli : "Changez le régime, changez la société, ça changera peut-être les flics ", mais dans l’ensemble, elles restent au niveau du cliché sans la profondeur et l’analyse proposée par Un Condé, ou de nombreux films postérieurs de Boisset. Le Saut de l’ange est un divertissement, une récréation assumée par son auteur, et à ce titre un exercice plutôt réussi.
Nous avons alors affaire à un film aux multiples rebondissements, digne d’une excellente série B, avec son lot de séquences d’action qui font la part belle au spectacle quitte à en oublier la vraisemblance. L’assassinat du tueur Di Fusco avec un serpent, la séquence au drive in, qui diffuse des images de Coplan sauve sa peau, ou l’attaque d’Alvarez, le bras droit de Forestier, qui est encore vivant après avoir été transpercé de nombreuses balles et coups de couteaux, tout respire l’amour d’un cinéma d’action populaire, qui ne se prend pas au sérieux. L’incarnation de ce ton léger, on peut la trouver dans les deux personnages de tueurs asiatiques qui accompagnent Louis Orsini, porteurs des mêmes costumes tels les Dupont et Dupond, et dont le lien avec la bande dessinées est confirmé par leurs lectures dans l’avion qui les amène en Europe. Avec ces éléments, Le Saut de l’ange s’inscrit incontestablement hors du registre sérieux, c’est un polar « pour de rire », qui a pour seul objectif le divertissement et l’hommage au cinéma d’action populaire.
Cet amour du cinéma se concrétise également dans la distribution, avec évidemment le choix de Sterling Hayden, incarnation absolue du cinéma de genre américain (Quand la ville dort, Johnny Guitar) qui s’est mis à l’écart d’Hollywood après la terrible phase du Maccarthysme durant laquelle il dut donner des noms, et qui vient ici promener son immense carcasse dans un rôle difficile à cerner, celui de Morgan, ami d’Orsini mais aussi institutionnel qui aide la Police. Son rôle est peut-être un peu mineur pour son talent, mais sa seule présence apporte au film l’imagerie puissante de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Il accompagne sur l’affiche un Jean Yanne alors au sommet de sa carrière d’acteur, souvent associé au cinéma policier et qui était ravi d’avoir accès au rôle d’un héros de film d’action avec Le Saut de l’ange. Il est comme à son habitude particulièrement convainquant, et domine une distribution qui est l’une des forces du film, un composite de figures habituelles du cinéma français comme Daniel Ivernel et quelques figures internationales, telles Senta Berger ou Gordon Mitchell. Avec cet atout, une mise en scène enlevée et l’excellente musique de François de Roubaix, Boisset réussi son exercice : un film récréation, évidemment mineur au regard des deux titres qui l’entourent, Un Condé et L’Attentat, mais qui réussit l’essentiel, divertir. C’est déjà très bien.
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Espion, lève-toi/Le Saut de l'ange
Combo Blu-Ray/DVD
sortie le 26 juillet 2023
éditions Studio Canal