L'histoire
1945 au Texas. Ella Connors (Jane Fonda) possède un modeste ranch qu’elle fait tourner tant bien que mal avec son homme de main, le vieux Dodger (Richard Farnsworth). Endettée, elle vient de vendre une parcelle de ses terres à Frank (James Caan), un jeune soldat démobilisé tout juste revenu du front. Jacob Ewing (Jason Robards), son plus proche voisin, convoite les terres d’Ella qui recèleraient du pétrole mais celle-ci refuse de les céder et repousse même ses avances. Il faut dire qu’elle le cerne très bien pour avoir été sa maitresse un peu contrainte. Elle connaît également son manque de scrupules pour arriver à ses fins. Il vient d’ailleurs de payer un tueur pour se débarrasser de Frank qui, grièvement blessé, vient trouver refuge chez Ella le temps d’être de nouveau sur pied. Une fois guéri, il accepte de devenir l’associé d’Ella le temps qu’ils remontent tous deux la pente. Mais Ewing continue à leur mettre des bâtons dans les roues...
Analyse et critique
En 1978, alors qu’il tourne son sixième long métrage, Comes a Horseman, Alan Pakula est déjà un réalisateur très coté. Avec seulement trois films, il est devenu l’un des chouchous de la critique ; trois thrillers à consonance politique devenus de grands classiques du cinéma américain des années 70 : Klute avec Donald Sutherland et déjà Jane Fonda, A cause d’un assassinat (The Parallax View) avec Warren Beatty, et surtout son film probablement le plus connu du grand public, Les Hommes du président (All the President’s Men) qui narrait l’affaire du Watergate avec Dustin Hoffman et Robert Redford dans la peau des deux journalistes d’investigation Bernstein et Woodward. Trois grandes réussites qui ne laissaient pas présager le tournant qu’allait prendre Pakula en réalisant ce western moderne, qui a laissé de marbre aussi bien les journalistes que les spectateurs, une majorité de ses adorateurs ayant eu du mal à reconnaitre la patte du cinéaste. Et pourtant, en le redécouvrant aujourd’hui, nous aurions tort de faire la fine bouche devant un film aussi maitrisé, tout du moins dans sa mise en scène. Quant au collaborateur habituel de Pakula à la photographie, le chef-opérateur des Parrain de Coppola ainsi que celui attitré de Woody Allen durant de nombreuses années, le grand Gordon Willis, il nous délivre un travail absolument remarquable qui devrait au moins ravir les yeux de ceux qui émettraient des doutes quant aux qualités du film.
Que ce soit Pakula ou Willis, peut-être jusqu’ici peu habitués des grands espaces, ils semblent avoir pris un immense plaisir à filmer les infinies et splendides étendues de l’Arizona et du Colorado même si l’action est censée se dérouler au Texas. L’histoire est un classique du western alors même que le film se déroule au milieu du 20ème siècle : il s’agit en premier lieu du conflit entre deux ranchers pour le sol, l’un des deux souhaitant acquérir les terrains de l’autre d’autant plus qu’il a appris qu’elles devaient être riches en pétrole. D’un côté, une femme de 40 ans qui vit seule, très attachée à sa terre et seulement aidée par un vieil old timer ; de l’autre, un homme sans scrupules qui a autrefois été son amant au grand désespoir du père de la jeune fille qui ne s’est jamais remis de la "trahison" de sa progéniture qui s’était donnée à un voisin qu’il n’appréciait guère. L’honnête femme courageuse contre l’homme prêt à toutes les compromissions pour y arriver ; rien de bien neuf mais le scénario est assez solide pour ne pas donner l'impression de déjà-vu. Rien que la première confrontation entre les deux antagonistes nous fait oublier la situation de départ, usée jusqu'à la corde : une discussion entre les deux au début du film qui fait immédiatement penser à un duel sans merci de par la tension qui y règne ainsi que par l’attitude et le positionnement des deux personnages dans le champ de la caméra, Jane Fonda jambes écartées, les bras le long du corps, la main prête à dégainer. Une superbe séquence qui fait immédiatement comprendre les enjeux de ce conflit et du récit à venir.
Mais le western de Pakula est heureusement moins simpliste qu’il en a l’air, les auteurs préférant à ce pitch aux situations assez prévisibles (un petit rancher qui tente de survivre face à un gros propriétaire) s’attarder d’une manière parfois presque documentaire sur le travail des cowboys et des ranchers ; d’où souvent des reproches à son encontre de lenteurs et de longueurs. Il est vrai que Pakula se paie parfois le culot d’étirer la durée de certains plans fixes mais ceux-ci sont tellement envoûtants, les visages tellement évocateurs qu’ils ne sont pas gênants. Je me suis même fait la réflexion concernant le dernier plan du film en très haute plongée et filmé de très loin si Abbas Kiarostami n’y aurait pas pensé en mettant en scène les siens, sublimes, qui concluent certains de ses chefs-d’œuvre. A l’instar de la musique de Michael Small, entre classicisme lyrique et dissonante modernité, le film épouse un rythme assez original, presque inharmonieux, faisant se succéder moments contemplatifs et montage cut (les séquences de regroupement du bétail), sèches ellipses, longs plans fixes et amples mouvements de caméra. Pakula prend avec subtilité son temps pour s'appliquer à montrer le quotidien des cowboys, pour valoriser ses paysages, pour réfléchir sur les temps qui changent et les apports le plus souvent menaçants de la modernité (en l’occurrence, ici, les magnats du pétrole) dans une société encore assez archaïque au sein de laquelle la loi du plus fort est toujours en vigueur, et surtout pour décrire l’évolution des relations entre les quatre personnages principaux, filmant avec talent de nombreux très beaux moments d’intimité sans en oublier un certain humour, témoin cette séquence assez cocasse du premier repas que prennent ensemble Ella et Frank, livres à la main.
Ella est une femme courageuse qui travaille d’arrache-pied pour survivre grâce à ses quelques chevaux et vaches : elle doit faire face à ses dettes, à son manque de personnel pour l’aider, à l’avidité des magnats du pétrole et aux pressions d’un voisin odieux qui n’a qu’une idée en tête : accaparer ses terres par tous les moyens légaux ou non, quitte à la mettre dans son lit pour y parvenir. Jane Fonda est parfaite dans le rôle assez ingrat de cette femme taiseuse, revêche, extrêmement farouche et méfiante de par son vécu qui n’a jamais vraiment été tout rose. Elle parviendra à se dérider dès que l’amour parviendra à s’immiscer au sein de sa carapace en la personne de l’intègre Frank interprété avec force conviction par James Caan, toujours très crédible dans les rôles de cowboy de par son expérience du rodéo et son don de cavalier. Après le mésestimé Un autre homme, une autre chance de Claude Lelouch, voilà deux superbes personnages d’homme de l’Ouest coup sur coup pour le comédien. Nous n’oublierons pas non plus la composition puissante de Jason Robards dans la peau du salopard de service, ni celle de Richard Farnsworth (le vieillard qui traverse les USA en tracteur dans Une histoire vraie de David Lynch) toujours à l’aise dans les rôles qu’affectionnaient Arthur Hunnicut et Walter Brennan dans les années 40 et 50, ceux de vieux bougons malicieux et attachants, des râleurs au cœur d’or, ici en admiration devant sa patronne, prêt à tout pour l’aider même au péril de sa vie.
Une écriture parfois hachée, quelques sensations de confusion qui font penser à des trous dans le scénario ou à des coupures demandées par le producteur, sans néanmoins que ce ne soit fréquent ni rédhibitoire. Un réalisme de bon aloi sans misérabilisme, une vision sans concession de ces fermiers et éleveurs qui vivent encore comme au siècle précédent au sein d’un récit qui se déroule assez tranquillement mais sans ennuyer, les amateurs d’action n’étant pas oubliés ne serait-ce que lors de la fusillade finale très efficace mais un peu en rupture avec tout ce qui a précédé. Une très belle mise en scène, de superbes idées de montage (notamment l’élégant fondu enchainé elliptique lors de la mort pudique du old timer), des dialogues sobres et justes, un casting hors pair, une photographie constamment remarquable et une admirable utilisation du format large finissent de faire de ce western contemporain un film âpre et mélancolique très attachant à défaut d’être mémorable.