L'histoire
Précisément inscrit dans la chronologie de la guerre du Viêt Nam, Les boys de la compagnie C débute en août 1967. Soit au moment où les États-Unis – soutenant depuis le début des années 1960 la pro-occidentale République du Viêt Nam (RVN) dans sa lutte contre la communiste République démocratique du Viêt Nam (RDVN) – portent à son maximum leur engagement armé. Stationnent en effet à cette date sur le sol vietnamien plus d’un demi-million de militaires étasunien.ne.s, combattant aux côtés de l’armée de la RVN celle de la RDVN au sein du Viêt-cong. Parmi ces centaines de milliers de soldats dépêchés par Washington dans la péninsule indochinoise, l’on compte Les boys de la compagnie C. Le film s’attache plus particulièrement aux destins de cinq des membres de cette compagnie de Marines spécialement formée pour combler quelques-unes des nombreuses pertes de l’Oncle Sam face à l’oncle Hô.
Ayant tout juste rejoint les rangs du corps d’élite de l’US Army, Tyrone Washington (Stan Shaw), Billy Ray Pike (Andrew Stevens), Alvin Foster (James Canning), Vinnie Fazio (Michael Lembeck) et Dave Bisbee (Craig Wasson) passent l’été 67 à apprendre le métier de Marines sous la férule du sergent Loyce (R. Lee Ermy). Se détachant du lot, l’afro-américain Tyrone prend au sein de la compagnie la tête de leur groupe de combat. Finalement envoyé au Viêt Nam en octobre 1967, Tyrone et ses hommes y sont placés sous les ordres du capitaine Collins (Scott Hylands) et du lieutenant Archer (James Whitmore Jr.). Se déroulant jusqu’en janvier 1968, le film retrace dès lors le premier « tour of duty » de ces cinq Marines au Nam (comme l’on désignait dans l’argot militaire étasunien les deux États indochinois) … qui pour certains d’entre eux sera aussi le dernier…
Analyse et critique
C’est à une découverte a priori fort intrigante qu’invite cette française et numérique édition des Boys de la compagnie C, parue au printemps 2024 chez Rimini. Pour autant que l’on sache, ce film réalisé par le canadien Sidney J. Furie en 1978 était jusqu’alors demeuré inédit en DVD/Blu-ray dans l’Hexagone, amateurs et amatrices de home-cinéma devant précédemment aller se procurer le film sous la forme d’imports made in UK ou Germany, ou bien (pour les accros de la VF) se contenter d’une VHS parue chez René Château Vidéo en 1983… Comblant certainement un manque éditorial, cette édition des Boys de la compagnie C vient encore enrichir l’histoire (francophone) de la représentation cinématographique de la guerre du Viêt Nam d’une page (quasi) inédite. D’un âge pourtant suffisamment avancé pour avoir déjà pu croiser la route de ce film, par ailleurs intéressé de longue date par les évocations filmiques de l’engagement américain au Viêt Nam, l’auteur de la présente critique confessera avoir découvert à l’occasion de celle-ci l’existence de ces Boys (1) ! Ces derniers piquent d’autant plus la curiosité que, sorti sur les écrans étasuniens au début de l’année 1978, le film constitue l’un des tout premiers réalisés à l’issue du conflit (2). Peut-être même le premier (du moins aux États-Unis (3)) puisqu’il est distribué outre-Atlantique à partir du 2 février 1978, précédant de quelques mois Le Merdier de Ted Post sorti le 14 juin suivant et Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, présenté à Hollywood à la fin de cette même année 78. Devançant encore de plus d’une année la sortie américaine d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola à l’été 1979, Les boys de la compagnie C affiche dès lors des allures de film fondateur de ce sous-genre majeur du film de guerre qu’est celui consacré au conflit vietnamien. Et ce d’autant plus que le film entre en troublante résonance avec certains fleurons à venir du (sous) genre…
Ainsi, l’acte premier des Boys de la compagnie C annonce irrésistiblement Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick (comme le proclame par ailleurs promotionnellement la jaquette de l’édition proposée par Rimini). À l’instar des protagonistes de la future déclinaison kubrickienne du Vietnam War movie, le film de Sydney J. Furie a pour héros une poignée de jeunes hommes constituant une sorte d’échantillon de la société étasunienne. De manière toujours semblable dans les deux films, ces représentants de diverses classes sociales et/ou communautés culturelles sont de toutes fraîches recrues de l’US Marine Corps, devant d’abord être formées au métier des armes avant que d’aller le pratiquer. Annonçant là encore la composition dramaturgique de Full Metal Jacket, Les boys de la compagnie C s’attache ainsi à dépeindre les classes auxquelles sont soumis ces aspirants-Marines. Riches en exercices déjà éprouvants, celles-ci le sont d’autant plus qu’elles sont placées sous l’autorité du sergent-instructeur Loyce, campé dans le film de Sydney J. Furie par R. Lee Ermey.
C’est-à-dire cet ex-Marine, lui-même passé par le Viêt Nam et ayant réellement occupé la charge de « gunnery sergeant » (ou, en français, sergent instructeur) avant de devenir acteur une fois retourné à la vie civile. Le nom d’Ermey apparaîtra ensuite au générique d’Apocalypse Now comme conseiller technique (et fugace interprète d’un des pilotes de la charge fameuse d’hélicoptères), puis en tant que comédien à celui de Au cœur de l’enfer (1984), deuxième film consacré par Sidney J. Furie à la guerre du Viêt Nam. Enfin, Kubrick lui confiera à nouveau un rôle de sergent-formateur dans Full Metal Jacket. Comme le rapporte notamment ce récent et anglophone article, Ermey ne fut pourtant pas le premier choix de Kubrick pour incarner le monstrueux sergent Hartman. Ledit article précise notamment qu’ayant préalablement vu Ermey dans Les boys de la compagnie C, Kubrick l’y avait en quelque sorte trouvé trop doux, lui préférant d’abord un autre interprète (4)… Si le comédien parvint in fine à persuader le cinéaste de sa capacité à camper la cauchemardesque figure de Hartman, le refus premier de Kubrick éclaire la différence foncière du point de vue adopté par Full Metal Jacket par rapport à celui des Boys de la compagnie C.
Certainement irrigué par ce dernier, Full Metal Jacket n’en est pas pour autant un remake officieux, encore moins un confus plagiat, mais en réalité une relecture contradictoire car éminemment kubrickienne. Le réalisateur envisage en effet (selon une problématique de l’aliénation parcourant tout son cinéma) le drill auquel sont soumis les Marines néophytes de Full Metal Jacket comme une entreprise d’absolue déshumanisation, allant tutoyer celle inhérente à l’univers concentrationnaire. Quant à Sidney J. Furie, il fait de l’entraînement de ses Boys de la compagnie C, aussi peu amène en soit de prime abord la peinture, un épisode somme toute positivement formateur. Et ce par la vertu du dur mais juste « gunnery sergeant » Loyce, dont la militaire pédagogie parvient à faire de ce panel disparate d’Étasuniens un groupe de combat aussi affûté que solidaire. Pas si mauvais bougre qu’il en a l’air, et même à sa manière promoteur d’une manière d’antiracisme, le vociférant Loyce s’inscrit dans la paternaliste et rugueuse lignée de Sergent la terreur (1953) de Richard Brooks et préfigure plutôt l’instructeur eastwoodien du Maître de guerre (1986) – lui-même ancien du Viêt Nam – que le psychopathe nihiliste de Full Metal Jacket.
Car Sidney J. Furie ne participe nullement de la complexe et troublante anthropologie kubrickienne. Et Les Boys de la compagnie C ne sont aucunement l’occasion d’une réflexion subversive sur les sombres abymes de l’âme (in)humaine et des structures sociales en résultant, mais plutôt d’un consensuel constat sur les (déplorables) mésusages de l’armée et de la guerre. Ces dernières n’étant pas questionnées en tant que telles dans Les Boys de la compagnie C, dont la dimension polémique se limite (qui plus est à très grands traits) à une critique des errements géopolitiques des États-Unis au Viêt Nam. Les séquences du film consacrées aux combats des Boys au Viêt Nam combinent en effet une canonique dénonciation de l’impéritie des élites gouvernementalo-militaires avec l’évocation empathique des souffrances endurées à ras-de-champ de bataille par des hommes de (plus ou moins (5)) bonne volonté…
L’on retrouvera pareil mixte de schématisme (pour ne pas dire simplisme) stratégique et de pathos tactique dans nombre d’autres films américains dévolus à la guerre du Viêt Nam. Les Boys de la compagnie C préfigurant de la sorte (et pour ne citer qu’un exemple fameux (6)) Platoon (1986) d’Oliver Stone, mettant à son tour en scène de jeunes Américains comme égarés dans un conflit privé de réel arrière-plan politico-militaire. Non exempt d’échos martyrologiques, voire sulpiciens (comme ce sera aussi le cas dans Platoon), cet enfer guerrier est encore souligné dans Les Boys de la compagnie C par le motif de l’addiction aux stupéfiants (que reprendra Platoon), inévitable dégât collatéral d’un conflit présenté comme absurde… Non seulement (contre)matrice de Full Metal Jacket et autre Platoon, soient des traitements cinématographiques de la guerre du Viêt Nam tout en gravité, Les Boys de la compagnie C initie aussi lors de son acte ultime une veine plus légère du genre. Le film se conclut en effet sur un terrain de football, théâtre d’une improbable partie de soccer (comme l’on dit encore outre-Atlantique) entre les Boys et une équipe de soldats de la RVN. A destination propagandiste, l’opération militaro-sportive est traitée sur un mode (pour l’essentiel) bouffon (7), assez semblable à celui que l’on retrouvera dans d’à venir Vietnam War comedies telle (là encore pour n’en citer que la plus fameuse) Good Morning, Vietnam (1987) de Barry Levinson.
En remettant à disposition du public francophone ces Boys de la compagnie C, l’éditeur Rimini lui permet donc d’accéder à ce qui n’est certes pas l’un des chefs-d’œuvre du Vietnam War movie, mais n’en constitue pas moins une étape d’une importance certaine. Sans doute (8) s’agit-il là du premier film étasunien transportant dans le cadre du Viêt Nam des motifs préexistants du film de guerre, jetant ainsi les bases d’un corpus cinématographique appelé à une féconde postérité…
(1) Et sans doute n’est-il pas le seul, si l’on en juge (entre autres références sur la guerre du Viêt Nam au cinéma) d’après le top 100 filmique proposé par le site Internet Sens Critique, puisque Les Boys de la compagnie C n’y apparaît qu’à la 86e place…
(2) Se terminant en 1975 par la victoire totale de la RDVN sur la RVN, la guerre du Viêt Nam avait été marquée dès 1973 par le retrait des troupes étasuniennes à l’occasion des accords de Paris.
(3) … si l’on en croit une fameuse encyclopédie en ligne, qui n’omet pas de rappeler que des films sur la guerre du Viêt Nam furent tout aussi précocement produits par les cinématographies nord-vietnamienne ou même australienne.
(4) Pour les amateurs et amatrices de précision cinéphilique, il s’agissait de Tim Colceri, un vétéran de la guerre du Viêt Nam y ayant combattue dans les rangs de l’USMC comme Ermey. Kubrick le fit tout de même apparaître dans le rôle (très secondaire) de mitrailleur embarqué dans un hélicoptère.
(5) Il arrive, certes, que nos Boys se laissent "un peu" déborder par la furia martiale. Mais jamais jusqu’au point de se livrer à des exactions contraires aux lois de la guerre, dont les seuls coupables sont dans le film des tortionnaires corrompus appartenant aux forces de la RVN et un Américain esseulé, membre d’une indéterminée officine militaro-politique…
(6) On pourrait ajouter à cette veine le moins connu Hamburger Hill (1987) de John Irvin, marqué par un même mélodramatisme guerrier.
(7) Peut-être Sidney J. Furie va alors puiser quelque inspiration dans M.A.S.H. (1970) de Robert Altman. Une comédie qui, rappelons-le, sous couvert d’acide peinture de la guerre de Corée (1950-1953) constituait une charge contre la guerre du Viêt Nam…
(8) L’auteur de cette analyse aura la modestie de rappeler qu’il n’est pas un spécialiste du Vietnam War movie, et donc la prudence de supposer que d’autres films sont susceptibles de (re)découvertes…