L'histoire
Sept amis de fac se retrouvent à l’occasion des funérailles d’un de leurs anciens camarades. Dépressif, l’homme s’est suicidé dans la maison de vacances d’Harold et Sarah, où se tient la réception funéraire. Tous affectés par le décès de leur ami, incapables de comprendre son geste et rongés par la culpabilité, le groupe d’amis décide sur un coup de tête de passer le week-end ensemble dans la maison. Ils ont l’espoir de répondre aux questions qu’ils se posent sur leur ami décédé et sur eux-mêmes.
Analyse et critique
En 1982 Lawrence Kasdan est avant tout le brillant co-scénariste des Aventuriers de l’arche Perdue, de l’Empire Contre-Attaque, ainsi que du Retour du Jedi, alors en tournage. Il a également vendu le script de The Bodyguard à la Warner, mais ce dernier traînera dans leurs tiroirs jusqu’en 1991. Son premier film, Body Heat, thriller néo-noir sensuel, fut un modeste succès commercial mais il lui valut surtout une grande reconnaissance auprès de ses pairs. Malgré son statut de jeune auteur star Kasdan peine à convaincre les producteurs avec son nouveau scénario, co-écrit avec Barbara Benedek. Ceux qui le lisent restent perplexes face à la structure multi-protagoniste de ce film de groupe, genre peu commun à Hollywood (sauf lorsqu’il s’agit de groupe de cowboys ou de marines). C’est finalement une indépendante, Marcia Nasatir, qui, via une société principalement consacrée à la télévision, Carson productions, va s’engager sur le projet et convaincre la Columbia de le financer. Le tournage a lieu à la fin de l’année 1982 et sort aux USA à l’automne 1983. Il y rencontre un succès notable au vu de son budget et deviendra avec le temps le film culte d’une génération. En France il passera inaperçu.
Pourtant les distributeurs qui se voient chargés de sortir le film dans l’hexagone tentèrent d’appâter le chaland le sortant sous le titre « Les Copains d’abord », une référence au film d’Yves Robert Les Copains (et plus encore à la chanson de Georges Brassens, composée pour le film). Pourtant nous sommes loin de l’esprit potache, absurde et désinvolte bien franchouillard qui animait le film de 1965. Ce que signifie « The Big Chill », le titre original, c’est littéralement « le grand frisson », ce qu’a ressenti Kasdan lorsqu’il a réalisé pour la première fois, en présence d’amis et collègues de sa génération, qu’en vieillissant ils s’étaient tous drastiquement éloignés de leurs rêves et ambitions de jeunesse. Cette génération en proie à la désillusion c’est celle de Kasdan lui-même, né en 1949, étudiant à la fin des années 60, et donc jeune quarantenaire au début des années 80. Les années 60 et le début des années 70 étaient pour eux l’époque de tous les possibles, le cœur des trente glorieuses, la libération des mœurs et le courant hippie, le mouvement des droits civiques, etc. « Ces dernières années, explique Kasdan, j'ai souvent rencontré des gens avec lesquels il me semblait être sur la même longueur d'ondes et qui, soudain, proféraient des paroles tellement cyniques que j'en avais froid dans le dos. Il se renouvelle à chaque génération, lorsque l'idéalisme et l'altruisme de la jeunesse se muent en narcissisme, lorsque s'installe un égoïsme qui privilégie l'intérêt personnel au détriment de l'intérêt général.» (1)
C’est bien cette confrontation des égoïsmes et des désillusions au sein d’un groupe d’amis que raconte le film. Nous verrons les huit personnages se disputer autour de la mémoire de celui d’entre eux qui, en se suicidant, a admis ne pas supporter la réalité du monde dans lequel il vivait. Harold et Sarah (Kevin Kline et Glenn Close) incarnent le couple a priori parfait, mère au foyer, père chef d’une entreprise qu’il a créé, des enfants qu’ils ont fait tôt. C’est dans la dépendance de leur maison de vacances que s’est tué leur ami Alex, et c’est dans cette maison que vont se réunir leurs autres membres de leur ancienne bande. Sam (Tom Berenger) incarne un acteur à succès, premier rôle d’une série policière « à la Magnum », à la fois fier de sa réussite et conscient de l’inconséquence du personnage qu’il incarne. Nick (William Hurt) est un psychologue raté, un temps animateur radio, sans emploi depuis qu’il a été envoyé au Vietnam et qui compense son mal-être avec de la cocaïne. Michael (Jeff Goldblum) se rêvait prof de lettre dans les ghettos, écrit désormais pour des tabloïds et envisage d’ouvrir une boite de nuit. Meg (Mary Kay Place) a commencé avocate commise d’office et travaille désormais dans une grande firme aux clients richissimes. Karen (Jobeth Williams), mère au foyer, s’ennuie dans son mariage avec un publicitaire pantouflard. Enfin il y a l’ex d’Alex le défunt, Chloé (Meg Tilly), qui est restée dans la dépendance, ne sachant pas où aller. Plus jeune que les autres, elle reste discrète et mystérieuse. (2)
Michael espère convaincre ses amis plus à l’aise financièrement d’investir dans son projet, Harold est sur le point de vendre sa société contre une somme faramineuse mais n’ose pas en parler à tout le monde, Karen tente de séduire Sam qui était amoureux d’elle à la fac, Meg envisage de faire un enfant tout en restant célibataire et de demander à l’un de ses amis d’être le fournisseur de semence… De nombreuses situations dramatiques et/ou romantiques vont donc émerger au cours du week-end.
Au moment de sa sortie certains critiques firent vite la comparaison avec un autre film de retrouvaille sorti quelques années plus tôt, Return of the Seacaucus Seven de John Sayles (1979) (3). Il s’agissait d’un groupe d’amis d’un genre un peu similaire à celui inventé par Kasdan, se retrouvant pour des vacances et constatant eux aussi l’écart entre leurs idéaux du passé et leurs préoccupations actuelles. Pour autant le film de Sayles proposait un registre beaucoup plus « moderne », hérité du style des années 70, dans la continuité d’un Husbands de John Cassavates (1970) ou d’Un Mariage de Robert Altman (1978). Un récit presque anti-dramatique, où tout se jouait dans des non-dits, dans des silences ou des conversations pleines de sous-entendus. Un film lent, d’ambiance, loin du rythme soutenu du récit très structuré de Kasdan et Benedek. Kasdan se défend d’ailleurs de l’avoir vu, mais quoi qu’il en soit il a imprimé sa marque très vite en décidant d’ouvrir son film sur la tonalité tragique de l’enterrement et en donnant un ton tout à fait personnel au récit, qui s’efforce de garder l’équilibre entre drame appuyé et comédie décomplexée.
Son dispositif est plutôt théâtral, avec ces personnages aux traits bien définis, parfois à la limite du stéréotype, qui refont le monde et leur vie en huis-clos. Kasdan et sa co-scénariste ont monté un scénario efficace, bien ficelé, où chaque personnage à ses contentieux à régler, ses qualités ses faiblesses, ses manques à combler. Ils concluent en respectant les codes hollywoodiens du feel good movie, chaque personnage trouvera une forme d'apaisement ou de satisfaction à l'issue de son séjour, mais non sans avoir admis que la vie n'allait pas sans frustrations et désillusions. Heureusement la qualité de l'écriture des dialogues et de l'interprétation, la justesse de la mise en scène, permet de faire oublier les grosses ficelles et ne plus voir que la sincérité des émotions, la pertinence des contradictions individuelles.
La réalisation des premiers films de Kasdan s'inscrit dans l'héritage du cinéma spielbergien (4) avec lequel le réalisateur a fait ses classes, ludique, mobile, jouant sur les métonymies visuelles et les effets de surprise. Mais cela est surtout vrai pour la scène d'ouverture, le reste du temps, film de troupe riche en dialogue oblige, le découpage est plutôt sage, la lumière de John Bailey n'esthétise pas outre mesure et cherche plutôt la douceur. Après l'expressionnisme marqué de son film précédent, Body Heat, et avant l'énergie débordante du western qui suivra, Silverado, Kasdan choisit une forme plus sobre, adaptée à son sujet.
La vérité du film ainsi que la capacité du spectateur à s'attacher aux personnages doit également beaucoup au casting et au processus de préparation. Aucun des interprètes n'était alors une réelle star (le budget modeste du film ne permettait de toute façon pas d'en embaucher). Le film peut ainsi donner à chacun une part égale sans avoir à servir la soupe à celui ou celle qui justifierai l'engagement des financiers. Ils répétèrent un mois tous ensemble avant de démarrer le tournage. Si le scénario était très précis il fut ainsi possible d'intégrer certaines improvisations. Et l'on sent bien qu'autour des lignes de dialogue les plus importantes de nombreuses réactions sont spontanées, contribuant à donner un sentiment plus naturel à l'ensemble. Même si l'on est loin de l’effet de réel et de la liberté de création qu’un Robert Altman pouvait accorder à ses comédiens dans ses propres films choraux au cours de la décennie précédente.
Le succès commercial du disque de la bande originale témoigne également de la justesse des choix opérés par l'équipe (en l'occurrence surtout la femme de Kasdan, Meg, créditée comme consultante musicale). Composée exclusivement de titres des années 60, dont plusieurs tubes, elle s'inscrit parfaitement dans la vie quotidienne de ces personnages nostalgiques de leur passé en même temps qu'elle dynamise et colore les séquences qu'elle accompagne. Mais parfois jusqu'à l'excès tant ces chansons sont présentes du début à la fin du métrage.
Si le film ne trouva pas son public en France cela peut s’expliquer par le fossé culturel qu’implique ce genre de projet reposant beaucoup l’inconscient collectif américain, sur les souvenirs partagés d’une époque alors révolue. Également aucun de ses acteurs n’était connu outre-Atlantique, ce qui rend d’autant plus appréciable de découvrir aujourd’hui les visages poupons des futures célébrités que sont notamment Glenn Close, Kevin Kline, William Hurt ou Jeff Goldblum. Et même s’il pourra sembler artificiel aux nostalgiques du cinéma des années 70 cela reste un film savoureux que ces Copains d’abord. Justement parce que le co-scénariste des premiers succès de Spielberg et Lucas n’hésite pas à déployer ses artifices pour rendre attractif son film de copains, loin des modèles Cassavettes, Altman ou Sayles. Rien n'empêche donc le spectateur contemporain curieux de s'éprendre pour cette troupe sympathique et d'apprécier le travail admirable de l'artisan Kasdan, au top de sa forme à l'orée des années 80.
(1) Interview de Kasdan citée par Marc Toullec dans le livret accompagnant l’édition BHQL du film.
(2) Anecdote notable, on devait voir le personnage d’Alex, l’ami qui s’est suicidé, dans une longue séquence flashback sensée conclure le film en nous présentant ce qu’était le groupe du temps de l’université. Ceux qu’ils ne sont plus. Mais à la suite des premières projections-test Kasdan réalisa que le public n’avait pas envie de voir ça, que la réalité était décevante par rapport à ce qu’on pouvait imaginer de leur vie d’avant, et il coupa la séquence. Cela valait également pour le personnage d’Alex qu’il fit le choix de ne pas montrer du tout. Et pourtant il était incarné par celui qui deviendrait plus tard la plus grosse star de l’ensemble, à savoir Kevin Costner. On ne peut l’apercevoir que par fragment, dans le cercueil au tout début du film.
(3) Ce n’était par ailleurs pas le seul film de « retrouvailles » de la période. On peut également penser à Diner (1982), premier film de Barry Levinson, et à l’influence d’American Graffiti et de sa suite More American Graffiti (1973 et 1979).
(4) Kasdan a d’ailleurs également scénarisé Continental Divide (1981) de Michael Apted, qui sera la première production de Spielberg, sous la bannière Amblin.
SOURCES :
Livret d’accompagnement de l’édition BHQL, par Marc Toullec
Documentaire “The Big Chill, A Reunion”, de Laurent Bouzereau (1999)
Backstory 4 : Interviews with Scriptwriters of the 1970s and 1980s, de Patrick McGilligan, University of California Press (2006)