L'histoire
Parce qu'elle trouve les hommes ennuyeux, Colette Marly, star du cinéma français en visite en Grande-Bretagne, déclare vouloir désormais vivre seule. Convaincu qu'elle ne cherche qu'à se faire de la publicité, lord Terence Datchett, aristocrate misogyne, décide de l'inviter dans sa vaste propriété campagnarde pour mettre son soudain besoin de solitude à l'épreuve...
Analyse et critique
Woman Hater est une délicieuse screwball comedy à l'anglaise qui fut une tentative (ratée au niveau du box-office et de la critique anglaise) pour Stewart Granger de montrer ses aptitudes dans une pure comédie, après avoir fait ses preuves en jeune premier bondissant sur les productions Gainsborough. Le reste de la distribution est tout aussi étonnant avec une Edwige Feuillère dans son premier rôle anglophone tandis qu'on s'étonne de trouver Terence Young, futur réalisateur de solides films d'actions et d'aventures (dont les premiers James Bond) dans une comédie enlevée – même si son passif de directeur artistique et des réalisations comme Les Aventures Amoureuses de Moll Flanders ou Mayerling montreront ses aptitudes dans un registre plus raffiné. Tout ce beau monde est réuni autour d'un pitch astucieux et habilement exploité. Lord Terence Hatchet (Stewart Granger) est un misogyne et goujat de la pire espèce, défini dès la géniale ouverture où il convainc un ami de fuir son mariage, au grand désespoir de la mariée devant l'autel. Il va trouver une nouvelle source à son agacement de la gent féminine avec le passage en Grande-Bretagne de la star de cinéma français Colette Marty (Edwige Feuillère).
Celle-ci ne cesse de vanter sa lassitude des hommes et de la vie de star, revendiquant son souhait de vivre seule. Datchett n'y voit qu'une vaine hypocrisie et se vante de pouvoir séduire la vedette. Pour ce faire il va lui permettre de séjourner dans une de ses propriétés campagnardes où il se fera passer pour Dodds, son régisseur. Il ne doute pas qu'ainsi esseulée, Colette tombera dans les bras du premier homme venu, lui en l'occurrence. Le film est servi par un exceptionnel duo d'acteur s'en donnant à cœur joie dans un script évitant le surlignage féministe comme le piège de la misogynie, dans une guerre des sexes où hommes et femmes sont brillamment renvoyés dos à dos. Les situations vont ainsi brillamment du cliché à la sincérité, les personnages étant dépassés progressivement par leurs séductions simulées où ils sont maîtres du jeu chacun à leur tour. C'est tout d'abord Stewart Granger qui va nous faire rire aux éclats avec ses tentatives de séductions plus ratées les unes que les autres. Qu'il tente de faire du cheval avec Colette et elle le surclasse en cavalière hors-pair. Qu'il essaie de la dérider en la faisant boire et c'est lui qu'il s'écroulera le premier.
Plus hilarant encore, lorsqu'il tentera d'instaurer une ambiance romantique en lui jouant du Chopin au piano et ses talents de musiciens tout relatifs éclateront au grand jour. Par ses tentatives, il correspond finalement au cliché du séducteur balourd qui a détourné Colette des hommes. Cette dernière va pourtant aussi sombrer dans la caricature féminine lorsqu'après avoir découvert la supercherie, elle décide à son tour de se jouer de Datchett. Elle va chercher à le séduire en forçant également une certaine frivolité et superficialité, source de la misogynie de Datchett (le script révélant des déconvenues où les femmes ne s'intéressaient qu'à son titre). Terence Young donne un sacré allant à l'ensemble, tout en accélérations, gags, et quiproquos vaudevillesques dans sa première partie avant de se poser pour laisser notre couple exposer ses failles dans le ralentissement de la seconde. Stewart Granger odieux et suave surprend dans la vulnérabilité progressive qu'il exprime et Edwige Feuillère offre un grand numéro comique et sentimental. Accent français charmant, froideur distanciée puis séduction agressive hilarante, elle exprime magnifiquement l'ambiguïté du numéro de séduction où elle est plus sincère et prend plus de plaisir qu'il n'y parait à jouer de ses atouts.
Le film s'avère d'ailleurs étonnamment coquin dans ses situations, comme lorsque Granger est contraint de déshabiller Feuillère, quand celle-ci lui colle la tête contre sa poitrine dans un remerciement forcé ou simule une crise de somnambulisme pour s'introduire dans sa chambre. Tous cela est très bien relancé par les seconds rôles des domestiques, entre Ronald Squire placide majordome anglais bousculé par Jeanne de Casalis irrésistible femme de chambre française à la langue bien pendue. Le décor naturel et la maison cossue sont superbement exploités par Young et on appréciera le retournement, pas si fréquent dans la comédie romantique, obligeant la femme plutôt que l’homme à l'effort et l'aveu amoureux final. On sent globalement la patte du scénariste Alec Coppel qui verse ici dans la comédie pour finalement revenir aux récits de faux-semblants et manipulations qu'il affectionnera par la suite dans le thriller, notamment chez Hitchcock (La Main au collet (1955), Vertigo (1957)), Edward Dmytryk (L'Obsédé (1949)) ou le plus léger et plaisant Captain's Paradise (1953). Un délicieux moment !