Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Fougères Bleues

L'histoire

Jérôme (Gilles Ségal) et son épouse Monika (Françoise Fabian), un couple de bourgeois parisien, partent pour un court séjour dans un luxueux chalet de montagne, accompagnés par Stanislas (Jean-Marc Bory), le meilleur ami de Jérôme, qui amène avec lui Betty (Caroline Cellier), une Escort Girl. Stanislas espère bien durant ce week-end faire tomber Monika dans son lit pendant que Jérôme ira faire ses parties de chasse au chamois. Au cours du trajet en voiture, Jérôme surprend sa femme et Stanislas main dans la main. Betty quant à elle, se sentant humiliée et méprisée par Stanislas, se console dans les bras d’Antoine (Francis Perrin), le gardien du chalet un peu simple d’esprit…

Analyse et critique

La relecture en à peine une année de l'intégrale de ses vingt et un romans a confirmé Sagan comme étant l'écrivain qui me comble le plus ; je tenais donc à lui rendre un bref hommage par la même occasion que la remise en avant de son unique film en tant que réalisatrice, œuvre maudite totalement délaissée depuis des décennies. Pour en revenir à l'auteure, la fluidité de son écriture, la beauté de ses phrases, sa pertinence, sa lucidité et sa justesse dans la description des sentiments, son intelligence et sa sensualité ont permis dès ses 19 ans d’écrire cette éblouissante réussite qu’est Bonjour tristesse. Hormis une tentative assez ratée de copier les romans du 18ème avec l'ennuyeux Un Orage Immobile ainsi qu'une fin de carrière très décevante (Le Miroir égaré est même d'une lourdeur indigne de Sagan), le reste de son œuvre m'a enchanté y compris son hommage très réussi à Simenon à travers Le Chien couchant ainsi que ses deux très bons romans se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale (De Guerre lasse et Un Sang d'aquarelle). Pour le reste, à mon humble avis, une succession de délectables chefs d'œuvre : Un certain sourire ; Dans un mois, dans un an ; Aimez-vous Brahms ? ; Les Merveilleux nuages ; La Chamade ; Le Garde du cœur ; Un peu de soleil dans l'eau froide ; Des bleus à l'âme ; Un profil perdu ; Le Lit défait. Mais si je devais n'en garder qu'un, ce serait son seul pavé, le sublime La Femme fardée contenant en son sein parmi les plus belles pages d'amour de la littérature française.

Son univers fut source d’inspiration puisqu’une majorité de ses romans et de ses pièces furent adaptés aussi bien à la télévision qu’au cinéma ; et pas par n’importe qui, de Otto Preminger à Alain Cavalier en passant par Jacques Deray, Anatole Litvak ou Alexandre Astruc. Pourtant, comme l’écrivait Télérama, "pas facile de traduire en images cet univers trompeur, apparemment futile. Et ce style épuré et nonchalant où un mot, soudain – un adjectif inattendu, un adverbe cocasse – suggère une douleur insoupçonnée." Sagan pensait-elle en être capable lorsqu’elle décida de passer derrière la caméra (car elle avait déjà eu affaire au cinéma en signant par exemple le scénario et les dialogues du Landru de Chabrol) et d’adapter une de ses propres nouvelles, Les Yeux de soie ? Ou eut-elle tout simplement envie d’essayer par pur jeu, totalement consciente de son inexpérience et de sa complète incompétence en matière de technique ? Ce fut tout d’abord par un court-métrage Encore un hiver primé aux USA puis par un unique long métrage, celui qui nous concerne ici et qui fut un bide retentissant au point d’être ensuite pendant presque 50 ans tombé aux oubliettes. D’ailleurs, en 2008, la réalisatrice Diane Kurys qui consacra à Françoise Sagan un téléfilm assez réussi avec Sylvie Testud (la version cinéma étant en revanche montée n’importe comment), n’aborda jamais ses tentatives cinématographiques. A l’époque de la sortie du film, les critiques furent assassines : Télérama parla de désastre, Libération de vrai beau navet et Télé Loisirs résuma assez bien ce que la plupart en avait pensé : "un film qui ne parvient jamais à éveiller l'intérêt ni à capter l'attention, tout paraissant terriblement maladroit et faux."

 

Même si l’ensemble demeure assez anodin et n’est pas sans imperfections, sans que ce soit avec aveuglement de ma part au vu de ma passion pour l’écrivain, cette volée de bois vert me semble à mon avis totalement imméritée. Certes Sagan n’a pas la dent aussi dure que pouvait l'avoir Chabrol à l’égard de la bourgeoisie mais le jeu de massacre était-il le but recherché par Sagan alors même qu’elle n’est pas spécialement tendre à l’égard de ses personnages masculins ? Sagan fait surtout du Sagan, remettant en cause le couple et décrivant l’incommunicabilité qui règne souvent après plusieurs années de vie commune ! Un quasi huis-clos où elle enferme cinq personnages sous tension : Stanislas, vil séducteur, fat, égoïste et méprisant qui n’a qu’une seule idée en tête, attirer la femme de son meilleur ami dans son lit ; cette dernière, Monika, qui même si elle se sent délaissée par son mari trop occupé par ses affaires, a décidé d’essayer de ne pas craquer et de repousser ses avances ; Jérôme, l’époux, qui comprend qu’ils ont tous deux autrefois eu une liaison et qui désespère de voir celle-ci reprendre après dix ans de mariage, tenté quelques secondes de tirer sur son ami ; et enfin Betty et Antoine, qui représentent une classe sociale bien moins aisée et un peu dédaignée, qui vont au final se sortir la tête haute de ce week-end un peu malsain en se laissant aller dans les bras l’un de l’autre sans aucune arrière-pensée, juste pour se faire plaisir. Betty qui d’ailleurs en tant qu’Escort était destinée à tenir le rôle de blonde aussi belle qu’imbécile (‘sois belle et tais-toi’) mais qui finira par tenir tête à son ‘employeur’ qu’elle méprise avec raison.

Pour camper ce quintet, un casting de premier choix composé de cinq très bons comédiens, à commencer par les deux femmes, Caroline Cellier excellente dans la peau de cette potiche qui n’est pas dupe du rôle qu’on veut lui faire jouer et surtout une Françoise Fabian aussi belle que talentueuse. Les moins célèbres Gilles Ségal et Jean-Marc Bory s’en sortent également très bien, tout comme Francis Perrin à l’orée de sa carrière. Et puis même si le film ne brille pas par sa mise en scène, les comédiens font très correctement leur travail et Sagan nous fait part d’un certain lyrisme en se payant le culot d’insérer parmi ses images quelques clichés kitchs très romantiques mais qui passent plutôt bien, tout en parvenant à bien utiliser ses superbes décors naturels près de Megève ainsi que la musique qu’elle aime, en l’occurrence la symphonie N°3 de Saint-Saëns, le concerto pour piano de Brahms ou La Traviata de Verdi sans oublier en sortant de la musique classique la Javanaise de Serge Gainsbourg. On a trouvé plus mauvais choix ! Certes pas inoubliable, cette parenthèse cinématographique d’une immense écrivaine reste digne d’intérêt, a le mérite de refléter le style et les thématiques de cette dernière et de ne jamais ennuyer, tout du moins en ce qui me concerne. Très bien entourée, elle avait vécu cette nouvelle expérience avec grand plaisir ; dommage que personne n’ait suivi ; il est donc temps de découvrir cette curiosité loin d’être aussi mauvaise que le laissait penser sa réputation.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 janvier 2025