Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Héros n'ont pas froid aux oreilles

L'histoire

Jean-Bernard (Daniel Auteuil) et Pierre (Gérard Jugnot) sont deux cousins célibataires vivant sous le même toit dans un appartement parisien, travaillant comme guichetiers dans la même banque. Ils partagent les mêmes angoisses d’insécurité, les mêmes mesquineries et maniaqueries ainsi que le même ennui. Les sentant à cran par le fait de déclencher l’alarme de la banque plus que de coutume, leur boss les contraint à partir décompresser pour le week-end. Avec une Citroën Ami8 de location, voici nos deux loosers partis sur les routes de Picardie en direction de la Belgique. Leur périple à peine entamé, ils croisent le chemin de Karine (Anne Jousset), une jolie auto-stoppeuse qui leur tape dans l’œil mais qui se rend à Paris. Pas de soucis, plutôt que de poursuivre leur virée pour une visite de Bruges qui ne les motive pas plus que ça, ils préfèrent retourner à la capitale en proposant à la charmante demoiselle de l’héberger quelques temps…

Analyse et critique


Compagnon de route de longue date de la troupe du Splendid, Charles Nemes réalise parmi les premiers courts-métrages de ces futures stars que deviendront le regretté Michel Blanc disparu ce mois-ci, mais aussi Thierry Lhermitte, Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel, Gérard Jugnot et les autres. Les Héros n'ont pas froid aux oreilles, écrit en collaboration avec Gérard Jugnot, sortira à peine trois mois après Les Bronzés. Il narre le quotidien de deux hommes sans envergure dont la routine va être un temps bousculée par la rencontre avec une charmante auto-stoppeuse, le comique de situation étant avant tout basé sur la médiocrité des deux anti-héros de cette tranche de vie. Sans rivaliser avec son prédécesseur, ce premier long métrage de Nemes obtiendra néanmoins un succès estimable malgré une presse souvent négative, comme d’ailleurs à propos de quasiment n’importe quelles comédies françaises de l’époque, le recul du temps ayant permis de faire le tri entre certes beaucoup de déchets mais également pas mal de franches et belles réussites comme le film qui nous concerne ici. En effet, quel vent de fraicheur dans ce domaine que cette comédie aussi expressément modeste à tous niveaux, à l’opposé - à mon humble avis - de ces grosses productions, machines à gags souvent mécaniques et par là même parfois indigestes tels certains films de Gérard Oury ou Claude Zidi pour ne citer que ceux qui cassèrent le plus la baraque financièrement parlant durant les années 70.


On ne peut en effet faire plus antinomiques que les comédies à grand spectacle très écrites qui faisaient alors recette et qui comblaient le public et ce film au scénario ténu tourné avec des bouts de ficelles, Gérard Jugnot et Charles Nemes s’étant lancé comme défi d’écrire le film le moins cher possible ; ils n’avaient d’ailleurs pas les moyens de faire autrement et, budget oblige, feront intervenir et participer sans grands cachets une majorité de copains ainsi que leurs potes du Splendid ! Ils dépeignent à cette occasion le portrait de deux loosers assez minables qui n’ont pas grand-chose pour eux car pas spécialement beaux gosses ni très intelligents, râleurs et angoissés, égoïstes et plutôt misanthropes, deux simples guichetiers dont les rêves demeurent étriqués et qui se complaisent dans une vie terne et ennuyeuse. C’est une preuve de la réussite du film de nous rendre ces pauvres types néanmoins attendrissants si ce n’est attachants ; et ce sera le cas de la plupart des films avec la troupe du Splendid comme Les Bronzés et sa suite, Le Père Noël est une ordure, etc., panel de français pitoyables et pas très aimables mais avec qui nous n'avons parfois pas trop de mal à nous identifier. Les deux cousins de la comédie de Nemes vivent dans le même appartement, ont les mêmes habitudes et maniaqueries, partagent tout y compris une boite de cassoulet froide ou les pages d’un quotidien, travaillent au sein de la même banque jusqu’à se tenir debout derrière le même guichet. Se méfiant de tout et de tout le monde, ils prendront même le nouveau vigile de leur établissement (Gérard Lanvin) pour un malfrat, juste à cause de sa tenue vestimentaire et de ses cheveux longs. Le premier tiers du film décrit ainsi avec force détails cocasses la vie quotidienne morose de ces deux pathétiques protagonistes.


Se voyant offrir un long week-end par leur patron qui les sent à bout de nerfs, voilà partis nos minables employés de banque sur les routes du Nord à bord d’une Ami8 de location. Mini-voyage qui constituera la deuxième partie du film et qui nous permettra de nous aérer avec les cousins, Nemes en profitant pour nous coller un improbable ‘clip’ aux effets totalement gratuits, caricaturant peut-être un peu le cinéma de Lelouch pour nous montrer que contrairement à un film que l’on aurait pu de prime abord critiquer pour sa mise en scène assez terne, il y avait quelqu’un derrière la caméra et au montage. A l’instar des fausses pubs du Splendid, il s’agit plus probablement d’un gag parmi d’autres. D’ailleurs, à propos de forme assez pauvre, Charles Nemes disait lui-même qu’il avait voulu que son film ressemble à la vie assez moche et étriquée de ses personnages y compris dans sa photographie. Bref, le périple s’arrête à mi-parcours, les deux cousins n’ayant plus qu’une idée en tête depuis qu’ils ont croisé Karine, une charmante auto-stoppeuse qu’ils ont laissé passer pour n’avoir pas réagi assez vite : suivre la voiture dans laquelle elle est montée en espérant que lorsque le conducteur l’aura déposé à tel endroit, ils pourront prendre le relais pour la conduire à destination. Celle-ci étant la capitale, Pierre et Jean-Bernard reviendront chez eux en à peine une journée. Ce qui débutera le troisième et dernier tiers, celui de l’hébergement de la jeune femme peu farouche par nos deux zigotos qui ne seront pas avares de coup bas entre eux pour pouvoir amener chacun Karine dans son lit. A l’image des nouvelles comédies plus amères que douces de cette fin des années 70, dont celles initiées par la troupe du Splendid, le final sera d'une irrésistible cruauté, un lave-vaisselle étant préféré à une compagne, la société de consommation étant l’une des cibles favorites de ces nouveaux comiques. La fantaisie représentée par le personnage de Karine (mineure et fugueuse) sera bien vite évacuée au profit d’un confort petit-bourgeois sans risques !


A l'image du thème musical léger et entêtant de Jacques Delaporte, à celle d'un générique ayant probablement voulu rendre hommage à ceux de Sacha Guitry, pour des répliques délectables, un attachement aux détails du quotidien, le charme irrésistible de tous les interprètes et au fait de voyager en Ami8 durant une bonne demi-heure, la participation parfois juste en caméo de toute une tripotée de seconds rôles inénarrables (y compris hors du Splendid comme Henry Guibet Jacques Legras ou Roland Giraud), une comédie de mœurs certes pas forcément mémorable mais assez délectable, à la fois douce et méchante, mélancolique et mordante, une chronique de la lâcheté ordinaire très drôle, irrésistiblement cocasse et au final bougrement sympathique. Une comédie sans prétention au sein de laquelle certains gags devraient vous rester en tête quelques temps comme celui de Thierry Lhermitte piquant les pneus de la voiture de Gérard Jugnot alors que ce dernier se trouve à ses côtés, celui de Marie-Anne Chazel et Christian Clavier abandonnant leur grand-mère au bord de la route, ou encore celui de Michel Blanc tentant tant bien que mal d’indiquer la route pour arriver à telle destination. Le duo Auteuil-Jugnot se reformera à nouveau quatre ans après sous la direction de Edouard Molinaro avec Pour cent briques t’as plus rien, moins réussie, plus convenue après son premier tiers. Quant au film suivant de Charles Nemes, La Fiancée qui venait du froid avec Thierry Lhermitte en tête d’affiche, il possèdera encore pas mal de qualité et mériterait lui aussi d’atterrir au sein de la collection de Jérôme Wybon sur les années 80 du cinéma français.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 25 novembre 2024