L'histoire
Sur les berges de la Seine, le banquier René Duchesne (Jean Gabin), que la mort de sa femme a laissé inconsolable, est sur le point de se suicider après avoir laissé une lettre pour expliquer son geste. Au moment où il se prépare à sauter à l’eau, Suzanne (Mireille Darc), une prostituée qui l’a reconnu pour avoir été l’année précédente sa femme de chambre, l’en empêche et lui apprend que l’épouse pleurée l’avait fait cocu à maintes reprises. Duchesne décide alors de laisser croire à son suicide et de disparaître en changeant d'identité dans l’idée de repartir de zéro. Pour commencer sa nouvelle vie, il sort Suzanne des griffes du milieu de la prostitution en se faisant passer pour un truand international, 'Monsieur', proposant en contrepartie aux souteneurs de la demoiselle de partager le butin d’un futur casse… celui de son propre coffre-fort…
Analyse et critique
…Et ce n’est que le début d’une histoire très cocasse au cours de laquelle le banquier va se faire engager en tant que maître d’hôtel de la famille très aisée d’un riche industriel ; ceci afin d’être ‘dans la place’ pour un futur cambriolage planifié par le même gang de bras cassés qui l’avait précédemment aidé à se voler lui-même lors d’une séquence assez inénarrable durant laquelle nos truands ne font pas preuve d’une grande discrétion ! Et il faut immédiatement parler du gros défaut du film, un trou béant dans le scénario puisque la cause de la situation qui voit l’homme d’affaires se transformer en maitre d’hôtel sera purement et simplement oubliée par la suite, les truands ne faisant plus jamais leurs apparitions au cours du reste du récit. La raison est probablement autre que celle d’une omission mais le spectateur attend néanmoins tout du long que l’histoire se rattache à nouveau à ce larcin programmé sans jamais que ça n’arrive, pas même à la fin très (trop) vite expédiée. Hormis ces menus récriminations, Monsieur, l’un des films les moins connus avec Jean Gabin, s’avère pourtant être une bien plaisante réussite.
Jean-Paul Le Chanois est connu pour son appartenance politique au sein du Parti Communiste, son engagement syndicaliste dans le milieu de cinéma et son passé d’activiste au sein de la Résistance sous l'Occupation allemande. Il débuta sa carrière dans le 7ème art en tant qu’assistant non moins que de Julien Duvivier, Alexander Korda, Maurice Tourneur ou Jean Renoir avant d'exercer le métier de monteur et de réalisateur à partir de 1938. Sans laisser d'adresse obtiendra l’Ours d'or au Festival de Berlin en 1951 mais après cette consécration, il se tournera vers un cinéma plus populaire dans une veine souvent comique qui lui permettra d’obtenir quelques succès considérables notamment avec Papa, Maman, la Bonne et moi ou Le Cas du docteur Laurent, sa première collaboration avec Jean Gabin qui se poursuivra avec sa version des Misérables en 1958, une des productions les plus coûteuses du cinéma français. En 1964 et 1966 il réalise encore deux films avec le grand acteur, Monsieur ainsi que Le Jardinier d'Argenteuil, avant de mettre un terme à sa carrière cinématographique. Des quatre films qu’il tourna avec Gabin, Monsieur est celui qui à mon humble avis a le mieux vieilli. Tout comme Gilles Grangier, Jean Delannoy, Denys de la Patellière ou Henri Verneuil, Jean-Paul Le Chanois fut donc l’un des réalisateurs de prédilection de Jean Gabin à cette même période.
Son film se divise en gros en deux parties, la seconde débutant alors que Jean Gabin et Mireille Darc qu’il fait passer pour sa fille, se rendent dans la riche propriété d’une famille bourgeoise afin d’y travailler en tant que valet et femme de chambre. Après une première demi-heure de comédie parisienne assez traditionnelle ayant pour point d’orgue le casse très amusant déjà évoqué plus haut, le film bascule vers une comédie de boulevard vaudevillesque se déroulant dans une très belle villa de la vallée de Chevreuse, dans la plus pure tradition de ‘Au théâtre ce soir’, émission qui allait connaitre un succès considérable sur l’ORTF à peine deux années plus tard. Le scénario est d’ailleurs adapté d’une pièce de Claude Gevel, le dialoguiste Pascal Jardin (qui allait devenir le dialoguiste attitré du comédien après la brouille de ce dernier avec Michel Audiard) ayant probablement donné encore plus de verve et de truculence à cette histoire enlevée et très drôle. Jean Gabin qui aimait beaucoup ce film qu’il tourna à 60 ans, s’était fait octroyer un rôle sur-mesure lui permettant de mettre en avant un registre étendu, aussi à l’aise en banquier qu’en souteneur ou en maître d’hôtel très stylé. Il était de plus parfaitement secondé par un casting en or pour interpréter une galerie de personnages fantasques et hauts en couleur, à commencer par un tout jeune Philippe Noiret dans la peau du riche industriel débonnaire ayant épousé une hôtesse de l’air délurée le trompant sans vergogne et sous son nez, formidablement interprétée par une pétulante Liselotte Pulver. On n’oubliera pas non plus Gaby Morlay dans son dernier rôle, celui d’une mère acariâtre cherchant à tout prix à prendre en faute ses employés afin d'avoir le plaisir de pouvoir les chasser ; pas plus que le duo Gabrielle Dorziat/Henri Crémieux en beaux-parents de Jean Gabin, des rapaces ayant pour intention première de faire main basse sur son héritage. Sans oublier ni Mireille Darc, alors jeune comédienne montante et qui grâce à sa fraicheur s’en sort plutôt pas mal, ni Jean-Paul Moulinot dans la peau du notaire aussi ‘gredin’ que son client.
Cette comédie malicieuse et dynamique, sans autre prétention que de divertir, pleine de quiproquos et de rebondissements, pourrait parfois faire penser à du Philippe de Broca, celui des Caprices de Marie ou du Diable par la queue, avec notamment cette famille bourgeoise assez fantaisiste ; mais du De Broca plus sobre et moins exubérant, plus traditionnel mais peut-être – me concernant - moins fatigant ; témoins ces quelques séquences d’ébriété qui parviennent à ne jamais devenir pénible ni à sombrer dans la grosse farce grâce au bon tempo et au bon ton adoptés. En tant que militant communiste chevronné, le réalisateur en profite pour égratigner gentiment la bourgeoisie et ses travers (voire les savoureuses séquences de diners mondains), aborder les conflits de classe, semblant savourer la situation mise en place, celle d’un riche homme d’affaires ‘goutant’ le dur labeur qu’il faisait ‘subir’ à ceux qu’il employait quelques semaines avant et avouant in fine que si le métier de banquier est compliqué, il est mille fois moins éreintant que celui de maître d’hôtel. Une comédie désuète assez réjouissante, digne du meilleur théâtre de boulevard, évoluant entre comédie de mœurs, comédie sociale et vaudeville, le tout aussi bien troussé qu’efficace avec une joyeuse bande de comédiens s’en donnant à cœur joie sur fond musical de George Van Parys offrant des variations souriantes autour de la comptine ‘Ah mon beau château’. Un titre assez oublié parmi la filmographie pléthorique de Jean Gabin et qui gagnerait à être redécouvert.