L'histoire
Henri Charrière, surnommé Papillon à cause du tatouage qu’il porte sur le torse, est condamné aux travaux forcés pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Dès son départ pour la Guyane, il n’a qu’une seule idée en tête : s’évader. Sur le bateau qui emmène les condamnés à Saint-Laurent du Maroni, il rencontre Louis Delga, un faussaire qui n’a pas la force de Papillon, mais qui a les moyens de financer ses plans. Le duo va multiplier sans succès les tentatives d’évasion, jusqu’à ce que le duo se retrouve, après des années de captivité, sur l’île du Diable.
Analyse et critique
En 1969, l’ancien bagnard Henri Charrière connut une notoriété soudaine avec la publication et le succès de Papillon, présenté par son auteur et son éditeur comme un récit autobiographique. Charrière y raconte les évènements dont il fut le protagoniste lorsqu’il était le prisonnier des établissements pénitentiaires français en Guyane, dans les années 30 et 40. La véracité du récit sera très tôt remise en cause, certains faits étant empruntés à la vie d’autres bagnards et d’autres dramatisés par l’auteur, comme son évasion finale qui pourrait n’être en fait qu’une libération pure et simple. Quoiqu’il en soit, le succès critique et public mondial du livre ne pouvait qu’attirer l’industrie cinématographique et notamment le producteur français Robert Dorfmann. Plusieurs noms vont être associé à ce projet, dont les réalisateurs Richard Brooks et Roman Polanski et les acteurs Warren Beatty, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon avant que la production ne se fige autour du duo composé de Steve McQueen et Dustin Hoffman devant la caméra de Franklin J. Schaffner.
Schaffner vient alors de tourner Nicolas et Alexandra, et surtout sort du succès public de La Planète des singes, qui deviendra un phénomène populaire, et du triomphe public et critique de Patton, qui représente le sommet de sa carrière. Avec une filmographie relativement courte, Schaffner est mal identifié aujourd’hui, n’appartenant ni à la génération de l’âge d’or d’Hollywood, ni à celle du nouvel Hollywood, et n’ayant jamais été défendu comme un auteur par la critique. Formé à l’école de la télévision en direct, comme Sidney Lumet ou William Friedkin, Schaffner a pourtant un réel sens de l’efficacité qui, couplé à une mise en scène d’une grande élégance classique qui ne l’empêche pas de créer des images iconiques comme celle de la fin de La Planète des singes, fait de lui un cinéaste capable d’offrir des films très souvent passionnants. C’est le cas de Papillon, qui se présente avant tout comme un formidable film d’aventure, sans temps morts, aux multiples rebondissements et aux nombreux décors dépaysant, adossé à une reconstitution convaincante du système pénitentiaire guyanais, malgré l’impossibilité de tourner sur place, le gouvernement français s’y étant opposé, et la production du film ayant finalement eu lieu en Jamaïque. Papillon est un film haletant, sans temps mort mais sans frénésie excessive, à la mise en scène si évidente qu’elle s’en fait discrète, à l’exception d’un ou deux ralentis, seule concession de Schaffner à des tics de mise en scène à la mode, l’une de ces œuvres épiques dont on ne peut décrocher, et que l’on ne se lasse pas de revoir.
Toutefois derrière ce divertissement, au sens le plus noble du terme, se cache une véritable profondeur, vraisemblablement apportée par Dalton Trumbo, co-scénariste du film avec Lorenzo Semple Jr. Celui qui fut l’un des plus célèbres noms portés sur la liste noire livre ici un manifeste convainquant contre le système pénitentiaire et pour la quête de liberté individuelle. La brutalité de certaines séquences, notamment celles qui montrent Papillon au cachot, est glaçante. Et le film n’a pas besoin de s’appuyer sur l’innocence du personnage, évoquée çà et là mais jamais creusée, pour exprimer son propos. Il condamne le principe pénitentiaire dans l’absolu, pour sa vocation à « casser » les hommes, comme l’explique explicitement le responsable du cachot. Pas de long discours sur le sujet, tout ou presque passe par l’image, pour offrir une des plus impressionnante peinture du sujet qui soit. Mais plus qu’un film politique, Papillon est avant tout un film sur l’individu et sur la soif absolue de liberté de chacun. Henri Charrière veut quitter sa prison, coute que coute, même lorsqu’on lui promet une liberté prochaine, parce que c’est dans sa nature, comme le symbolise le papillon dessiné sur son torse. Jamais, dans le film, il ne cherche à démontrer son innocence, ou à quitter son enfer par les voies légales. Il veut s’évader car il veut agir selon sa guise, et même parce que c’est sa fonction, en tant que prisonnier. Toutes les lignes de dialogues, plutôt rares, données au personnage ne tournent qu’autour de ce rêve. Dès les premières minutes, lorsque les futurs bagnards rejoignent le bateau qui va les conduire en Guyane, ce rêve est pourtant battu en brèche : Papillon ne reviendra pas en métropole, un de ses camarades le lui dit. Et le film suit ce programme, toutes ses tentatives sont des échecs, jusqu’à la dernière, qui ressemble bien plus à un fantasme qu’à une réelle évasion. Papillon raconte, d’une manière formidable, l’instinct de liberté de l’homme, même quand celle-ci est inaccessible. Voilà surement, un des éléments qui rend ce film fascinant et donne envie de le revoir.
Dans le rôle principal, Steve McQueen, l’acteur instinctif par excellence, apparait ainsi comme une évidence. S’il ne fut pas le premier nom pressenti pour le rôle, il en devient indissociable dès la première image. Au sommet de sa carrière, l’acteur livre probablement l’une de ses prestations les plus abouties. En un regard, à chaque image, il transmet toute la souffrance de son personnage, physique lorsqu’il est torturé par les gardes, et psychologique lorsque ses tentatives d’évasion répétées échouent. L’intensité de son jeu impressionne, et le contraste du duo qu’il forme avec Dustin Hoffman est l’un des grands moteurs du film. Dans le rôle de Louis Delga, personnage veule mais touchant, son interprétation typique de la méthode vient en contrepoint de celle de McQueen, pour créer un duo mémorable.
Papillon est une œuvre évidente, un film qui sait marier un récit d’aventure palpitant avec un ton particulièrement sombre, les scénaristes ayant largement assombri le ton du livre de Charrière, pour offrir un résultat exemplaire. Il est à classer avec les plus grandes œuvres épiques du cinéma, comme a su en régulièrement en produire Hollywood. Un de ces films qui accompagne le cinéphile, invitant aux multiples visionnages pour se replonger dans sa quasi-perfection.