L'histoire
Médecin à San Francisco, Archie Bolen est en instance de divorce. Lors d'un gala de charité, il rencontre Petulia Danner, jeune et charmante jeune femme qui lui annonce qu'elle désire l'épouser.
Analyse et critique
Américain d'origine, Richard Lester s'était pourtant fait connaître par ses films pop délirant qui des œuvres pour les Beatles (A Hard Day's Night, Help...) en passant par Le Knack...Et comment l'avoir (1965) étaient des photographies du Swinging London exubérant des sixties. Petulia est le film du grand retour au pays et Lester va y déployer toutes les expérimentations des films précédents dans un but moins futile et hédoniste avec ce mélodrame puissant. Tout commence par une rencontre en apparence anodine lors d'une soirée mondaine entre la pétillante et fraîchement mariée Petulia Danner (Julie Christie) et le médecin Archie Bolen (George C. Scott). Tombée sous son charme dans des circonstances douloureuses qu'il ignore, Petulia va dès lors s'immiscer dans le quotidien de Bolen qui succombe peu à peu à cette femme perturbée. Petulia cache un lourd secret qui va progressivement se révéler dans une déroutante narration en kaléidoscope. Des inserts en flashback et flashforward apparaissent ainsi de manière toujours inattendue dans le récit au présent formant un puzzle dont l'émotion va croissante lorsque les évènements se révèlent. Richard Lester fait preuve d'une inventivité constante pour illustrer le chassé-croisé de son couple.
La brutale et oppressante réalité alterne avec les atmosphères les plus oniriques et psychédéliques, portées par une photographie inventive de Nicolas Roeg. Le montage de Anthony Gibbs, habitué à ce type de narration alambiquées dans Tom Jones de Tony Richardson (1963) ou Le Knack déjà pour Lester, accentue l'étrangeté du propos par ses transitions quasi expérimentales, où le sens se devine plus par le ressenti, l'association d'idées, que le vrai lien des séquences entre elles. La description de ce San Francisco en pleine vague acid rock (le film s'ouvre d'ailleurs sur un concert de Big Brother and The Holding Company dont la chanteuse n'est autre que Janis Joplin encore inconnue) évoque bien sûr le traitement que Lester infligea à Londres mais ce n'est qu'un emballage superficiel pour une description de la ville pliée à la psychologie de Julie Christie. En plus de sa cohérence avec le style de Lester, ce traitement anticipe grandement l'esthétique à venir de Nicolas Roeg. On peut s'interroger sur le rôle de ce dernier tant le style habituellement foutraque de Richard Lester semble plus tenu ici, d'autant que deux ans plus tôt le Fahrenheit 451 de François Truffaut (1966) semblait déjà vampirisé par la touche à venir - et en tout cas éloigné du filmage des films précédents et à suivre de Truffaut - de Nicolas Roeg pourtant uniquement directeur photo une nouvelle fois.
Les séquences intimistes se trouvent transcendées par cette approche hors-normes. L'entrevue de Scott avec son ex-femme (très beau second rôle de Shirley Knight) et les échanges amers qui en résultent offre un beau moment tout comme les échanges entre Julie Christie et Richard Chamberlain (loin des rôles de bellâtre à venir il est aussi doux que menaçant en mari abusif) chargés de tension. Alors que le début laisse à supposer à un personnage futile dans la lignée de celui qu'elle incarnait dans Darling de John Schlesinger (1965), Julie Christie se mue en grande figure tragique et résignée, pour un de ses rôles les plus poignants.
Lester et Roeg (qui passé à la réalisation retrouvera Julie Christie sur Ne vous ne retournez pas (1973)) semblent vraiment envoûtés par elle tant l'objectif semble magnétisé par son regard mutin et mélancolique. On n'attendait pas non plus le rugueux George C. Scott en héros romantique, et sa prestation tout en sobriété intense est surprenante. L'alchimie entre eux est palpable et fait magnifiquement décoller certaines séquences où tout passe dans leur jeu de regard, comme lorsque Scott est contraint la mort dans l'âme à la laisser aux mains de son mari et surtout cette entrevue muette lors d'un spectacle de pingouins. La musique de John Barry, superbe, accompagne le tout par un thème entêtant et poignant. Le cachet sixties offre au film un charme rétro certain dans son cadre et son esthétique, mais c'est la force des grands mélodrames universels qui le guide.