Critique de film
Le film
Affiche du film

Quartier violent

(Bôryoku gai)

L'histoire

Egawa, un Yakuza retiré des affaires, gère un petit bar dans le quartier de Ginza. Il lui a été offert par le clan Togiku pour bons et loyaux service et après 8 ans passés derrière les barreaux. Mais, sur fond de conflit à l’échelle nationale entre gangs, la relation entre Egawa et le clan Togiku se dégrade, on lui demande même de rendre son bar, devenu une monnaie d’échange dans le conflit. Lorsque des proches d’Egawa se trouvent impliqués dans le rapt et le meurtre d’une star de la télévision protégée par la Togiku, Egawa se trouve irrémédiablement plongé dans la guerre des gangs.

Analyse et critique

En 1974 alors qu’il tourne Quartier Violent, Hideo Gosha est au creux de sa carrière. Après des années 60 placées sous le signe du film de sabre et couronnées de succès critique et populaire, le cinéaste a rencontré l’échec en se tournant vers le ninkyo eiga – le film de yakuza chevaleresque -avec Les Loups (1971), pourtant une formidable réussite formelle, dans la lignée de Goyôkin et Hitokiri. Il quitte alors la société Tōhō pour retourner travailler à la télévision qui l’a formé. Alors qu’il entame une traversée du désert, il est recruté par le Toei Tokyo pendant que Kinji Fukasaku, le spécialiste maison du cinéma d’action urbaine, est occupé à tourner la série des Combats sans code d’honneur. C’est ainsi qu’il se trouve à la tête de Quartier Violent, un jitsuroku eiga, le pendant réaliste, urbain, et souvent violent du film de Yakuza. Il va proposer une vision hybride du genre, un récit classique, parfois traversé des fulgurances visuelles typiques du cinéaste mais plutôt inhabituelles dans le registre.


Quartier Violent développe un sujet classique, celui d’un Yakuza qui s’est rangé des affaires criminelles après un séjour en prison et se trouve ramené, contre sa volonté, au cœur de conflits entre gangs qui n’ont plus le fonctionnement et les valeurs qu’il a connues. Ce personnage, Egawa, se croit sorti du système. Mais il est tributaire de sont ancien clan, les Togiku, qui lui ont offert un bar dont ils ont gardé la propriété et reste sous la menace d’un coup de folie des membres de son entourage, qui ne supporte plus l’inaction. A l’écran, cette intrigue se traduit par une succession de séquences d’action violentes, que Gosha met en scène avec efficacité et une véritable inspiration esthétique, entrecoupées par des moments plus intimes exprimant une autre forme de violence, plus psychologique, dans les rapports humains et notamment les rapports hommes-femmes. Un sujet habituel de l’univers du cinéaste, qu’il développera plus nettement dans les années 80, avec son cycle féminin. Si l’ambition esthétique et la virtuosité technique qui font la signature du cinéaste sont bien présentes à l’écran et font l’une des qualités du film, Gosha est moins à l’aise avec l’aspect narratif. Ces histoires de Yakuza sont souvent complexes, multipliant les personnages, les entités et les relations. L’exemple parfait se trouve dans la plupart des films du genre signés Kinji Fukasaku, aux intrigues particulièrement touffues que le réalisateur parvient toutefois à transmettre de manière claire au spectateur, qui ne se sent jamais perdu. Gosha maitrise clairement moins l’exercice et Quartier Violent, pourtant plutôt simple pour le genre, paraît parfois confus, certaines séquences manquant de logique.


Gosha semble tout simplement plus intéressé par la forme que par le scénario, un constat valable pour la plupart de ses films, mais qui apparait plus comme une faiblesse dans le registre Quartier Violent que pour la plupart de ses autres réalisations, sublimées par son style. Cela ne l’empêche toutefois pas de donner du fond à son récit, qui traite du sujet traditionnel de l’évolution du monde Yakuza vers le crime en col blanc, comme l’illustre l’une des dernières scènes du film, alors que les deux chefs de clan qui se sont opposés durant le récit contemple Tokyo depuis leur hélicoptère, observant le terrain de leurs futurs bénéfices. Plus original, Quartier Violent explore également les liens entre les clans Yakuzas et le monde du divertissement avec l’intrigue de la starlette de la télévision, enlevée puis assassinée. Une collusion qui se traduit encore de nos jours par des scandales réguliers dans l’actualité japonaise et qui est l’une des originalités du film de Gosha.


Quartier Violent brille enfin et surtout par sa distribution, en partie reprise de celle des Loups et qui nous offres un beau défilé de quelques-unes des plus belles gueules du film de Yakuza. Il faut en retenir en premier lieu Noboru Andō, l’interprète d’Egawa, ancien Yakuza qui connut une prolifique carrière cinématographique, notamment dans le film de Yakuza. Il offre au personnage d’Egawa un charisme puissant, crédible dans la sagesse qui le voit refuser de replonger dans le milieu en début de film comme dans la violence qu’il exprime dans sa conclusion. Son visage marqué et son regard puissant sont ceux du héros parfait d’un film de gangster. Le duo qu’il forme, dans la dernière partie du récit, avec Bunta Sugawara est l’un des sommets du film. Le héros des Combats sans code d’honneur apporte sa folie et sa nonchalance à l’une des meilleures séquences d’action de Quartier Violent dans un contraste savoureux avec le sérieux et l’intensité du personnage d’Egawa. C’est pour ces personnages et pour ses quelques fulgurances esthétiques que Quartier Violent reste un film plus que plaisant. Loin d’être le plus abouti de son auteur, il offre tout de même, par instant, aux spectateurs ce qu’ils viennent chercher dans le cinéma d’Hideo Gosha : le plaisir des yeux.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Violent Streets
Blu-Ray

sortie le 26 février 2025
éditions Roboto

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Par Philippe Paul - le 26 mars 2025