Critique de film
Le film
Affiche du film

Tir groupé

L'histoire

Antoine (Gérard Lanvin), fripier aux puces de Clignancourt, rencontre sur son lieu de travail Carine (Véronique Jannot), vendeuse dans une parfumerie de luxe, venue lui acheter un blouson. Très vite ils vivent une relation amoureuse passionnée. Un soir, alors qu’Antoine doit laisser Carine rentrer par le train de banlieue chez ses parents à Enghien, il lui offre un camée en gage d’amour. Au cours de son voyage, devant des témoins médusés mais incapables de réagir, Carine est sauvagement agressée par trois loubards fous furieux ; elle ne réchappera pas à cette extrême brutalité et son père la retrouve morte à l’arrivée. Les trois voyous parviennent à s’enfuir. Antoine est anéanti par cette perte ! L’inspecteur Gagnon (Michel Constantin) mène l’enquête mais pas assez vite de l’avis d’Antoine qui n’a plus qu’une seule idée en tête : la vengeance !

Analyse et critique


Stagiaire au théâtre puis journaliste et attaché de presse très apprécié, Jean-Claude Missiaen, qui nous a quitté en 2024, était également un grand cinéphile qui avait baigné dans le cinéma américain des années 40 et 50, notamment le western et le film noir, genres qu’il connaissait par cœur et auxquels il parsème son film d’hommages, notamment l’affiche de Vera Cruz qui trône dans le logement d’Antoine. Pas étonnant qu’en passant derrière la caméra il ait voulu témoigné son admiration pour ces films qui avaient illuminé sa jeunesse ainsi que pour les films policiers français puisque son premier long métrage est dédié à Jean Gabin. On a souvent à l’époque voulu associer Tir Groupé à cette vague de 'Revenge Movie' qui avait trouvé son apogée aux USA avec la franchise des Death Wish (Un Justicier dans la ville) initiée par Michael Winner avec Charles Bronson dans le rôle de celui qui, devant l'impuissance des institutions avait décidé d'être lui-même juge, jury et bourreau. Or c’est plutôt à Anthony Mann (Les Affameurs) et Fritz Lang (The Big Heat ; Rancho Notorious) à qui Missiaen se référait en écrivant cette histoire de vengeance tirée de faits réels, celle d’un homme aveuglé par la haine qui décide de faire justice lui-même en tuant les voyous ayant assassiné sa compagne. Un thème récurrent du cinéma hollywoodien de l’âge d’or sans que ça ne fasse nécessairement des nombreux films l’ayant abordé des œuvres manichéennes ou réactionnaires.


Il en va de même pour l’essai réussi de Missiaen, assez nuancé même si beaucoup de critiques de l’époque ont voulu mettre en avant le contraire. Missiaen essaie de nous immerger dans la peau d’un homme complètement anéanti par la perte d’un être cher sans qui il s’imagine mal continuer à vivre heureux, et de nous faire comprendre ses réactions que par ailleurs il n’excuse pas. Comme il le dit lui-même lors d’un entretien que l’on retrouve sur le Blu-ray de la collection Nos années 80 édité par Studiocanal, il s’interdit toute glorification de l'auto justice, cherchant juste à comprendre les motivations d'Antoine, le désir viscéral de se faire justice et le point de non-retour dans lequel il s’engouffre, son geste final n’ayant rien de chevaleresque ou d'héroïque, au contraire constituant un amer point d’orgue à une odyssée désolante où seule la violence aura eu droit de cité. Dommage que les producteurs n’aient pas voulu conserver la fin souhaitée par Missiaen qui était beaucoup plus limpide à ce propos ; final que l’on peut en revanche découvrir en bonus au sein du même Blu-ray. Dans le rôle d’Antoine, à la fois fort et vulnérable, un Gérard Lanvin à qui le film permettra de prendre son envol en tant que tête d’affiche même s’il s’était déjà fait remarquer à quelques reprises, outre son fameux chevalier blanc dans Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine de Coluche, déjà mémorable dans Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier ou Une Étrange affaire de Pierre Granier-Deferre, des rôles alors assez introvertis. Avec Tir Groupé, on en fera désormais une valeur sure, voire même le nouveau Belmondo ; les réalisateurs l’embaucheront alors souvent pour des personnages charismatiques de policiers ou d’aventuriers, notamment aux côtés de Bernard Giraudeau (au départ pressenti pour le personnage d’Antoine) dans Les Spécialistes de Patrice Leconte, sympathique et trop rare réussite du film d’aventure à la française.


Si le schéma du film s’avère simple (parfois simpliste) et linéaire (ponctué cependant de flashbacks romantiques), si les personnages sont dessinés à grands traits, Tir Groupé s'est toujours voulu avant tout un exercice de style respectant des codes bien identifiables et au sein duquel sont invoqués nombre de films avec quelques références et clins d’œil qui parfois n’aboutissent qu’à des séquences graphiques moyennement convaincantes et notamment celles rappelant Orange mécanique avec ombres chinoises un peu grossières lors de scènes de violence, que ce soit le coupage d’un doigt dans les couloirs du métro ou la casse de voitures vers le canal St Martin. Hormis ces quelques fautes de goûts, la mise en scène de Missiaen s’avère très efficace que ce soit dans les moments bruts ou au contraire romantiques. Son ami Michel Constantin dans la peau d’un commissaire désabusé, plus très en phase avec son époque, permet de rendre hommage au polar français. Quant à Véronique Jannot qui cartonnait alors à la télévision dans la peau de Joëlle Mazart, elle s’avère assez convaincante, les affectueuses relations qu’elle eut avec son partenaire sur le tournage se ressentant à l’écran. Le cinéaste les ayant ainsi laisser improviser une bonne partie de leurs scènes, ces dernières se révèlent d’une grande justesse d’autant plus aussi qu'avant de devenir comédien, Gérard Lanvin, comme Antoine, fut vraiment fripier aux puces de Clignancourt, et ayant toujours dit que ce personnage lui ressemblait beaucoup. Nous n'omettrons pas de dire un mot sur un Mario David très touchant à total contre-emploi, celui de l’ami d’Antoine qui tente tant bien que mal de le réconforter ; sans oublier l’effrayant trio de Bad Guys campés avec la gueule de l'emploi par Roland Blanche, Dominique Pinon et Jean-Roger Milo, trois sales types que nous n’aimerions guère croiser au coin d’une rue et qui font vraiment froid dans le dos.


Remarquablement aidé par une superbe photographie de Pierre-William Glenn, celui-là même qui a encouragé Missiaen à passer derrière la caméra, par une excellente utilisation des décors urbains, que ce soit ceux du Paris pittoresque ou moderne voire de la périphérie (la tuerie finale de Saint Denis par exemple), ainsi que par une très belle bande originale jazzy de Hubert Rostaing (qui prend même des accents à la John Barry lors du générique de début), Tir Groupé est un polar aussi brutal que romantique (la superbe ballade nocturne à Beaubourg), carré et sans fioritures, qui s’avère également à postériori un intéressant document sur une époque au cours de laquelle l’insécurité croissante dans les grandes villes commençait déjà à s’inviter dans le débat, en même temps qu'une peinture du Paris by Night des 80's gangrenée par une montée de la violence et l’apparition d’une nouvelle criminalité que l’inspecteur a encore du mal à cerner. Malgré très peu de moyens techniques et financiers, en à peine 30 jours de tournage, le réalisateur nous délivre une série B efficace et dégraissée qui ne s’embarrasse pas de psychologie, un solide et âpre western urbain assez stylisé qui obtint trois nominations aux Césars et qui fit un carton au box-office. Tir Groupé ne doit pas être réduit à sa célèbre séquence d’agression dans le train véritablement impressionnante et sordide ; il mérite d’être redécouvert en oubliant les polémiques qui ont entouré sa sortie et qui n’étaient peut-être pas légitimes. Missiaen et Lanvin se retrouveront deux ans plus tard pour Ronde de nuit dans lequel le comédien formera un duo de flics avec Eddy Mitchell.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Tir Groupé
Blu-Ray
 

Sortie le 04 décembre 2024
éditions Studiocanal / collection Nos Années 80

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Par Erick Maurel - le 29 décembre 2024