L'histoire
Durant la guerre de Sécession, le capitaine confédéré Lynch (Frank Wolff) charge un mercenaire du nom de Clyde McKay (Chuck Connors), après l’avoir extrait des geôles sudistes, de former un commando. À charge pour ce dernier d’infiltrer les lignes ennemies (en l’occurrence, celles se trouvant dans les contrées désertiques du Texas), pour s’y emparer d’un million de dollars en or. Les Sudistes espèrent ainsi renflouer des caisses mises à mal par un conflit tournant de plus en plus en leur défaveur. La mission incombe plus précisément à six hommes, à savoir le susdit McKay ainsi que Hoagy (Franco Citti), Deker (Leo Anchóriz), Blade (Giovanni Cianfriglia), The Kid (Alberto Dell'Acqua) et Bogard (Hércules Cortés). Eux aussi libérés de prison pour l’occasion, les cinq enrôlés se signalent chacun par un talent guerrier aussi particulier qu’utile dans les délicates circonstances les attendant. Entre autres exemples, citons-le nommé Blade (l’on s’en doute avec pareil surnom…) sachant particulièrement bien jouer du couteau. Bien évidemment alléchés par la promesse d’un conséquent enrichissement, les hommes de McKay s’engagent avec enthousiasme dans cette périlleuse aventure. Celle-ci l’étant d’autant plus que McKay a encore reçu l’ordre d’éliminer la totalité de ses comparses, une fois le trésor des Unionistes récupéré…
Analyse et critique
L’on compte (du moins si l’on en croit une certaine encyclopédie en ligne) presqu’un demi-millier de westerns dits spaghettis. Pour être tout à fait précis, et toujours selon la même source, ce furent quatre-cent-cinquante westerns que l’industrie filmique transalpine produisit entre 1963 et 1978, épaulée (ne l’oublions pas) par d’autres cinématographies européennes telle celle de l’Espagne. Abondance (surabondance diraient même d’aucuns …) oblige, l’on ne compte bien évidemment pas que des chefs-d’œuvre au sein d’un genre par ailleurs souvent mercantilement réduit par ses praticiens à une branche du cinéma d’exploitation… et de laquelle relève le titre qui nous intéresse ici, à savoir Tuez-les tous… et revenez seul ! Car, autant le dire d’emblée, celui-ci ne s’érige certainement pas en sommet du western all’italiana, constituant par ailleurs l’un des (très rares) titres dispensables de la collection Make My Day ! dans laquelle il est paru en 2022…
C’est pourtant d’une assez enthousiasmante manière que s’ouvre Tuez-les tous… et revenez seul ! Ses scènes liminaires font en effet montre d’une virtuosité formelle comme d’une acidité critique, laissant ainsi augurer de l’heureuse (re)découverte d’un joyau oublié du western italien… Retraçant la prise de contrôle par une poignée d’infiltrés de l’intégralité d’un camp militaire sudiste abritant (au bas mot) des centaines de militaires, la première séquence du film rappelle en effet les indéniables qualités de réalisateur d’Enzo G. Castellari (du moins quand il décide d’en faire usage…). Un cinéaste occupant certes une place subalterne dans le panthéon du cinema di genere italiano (1) et à qui l’on doit cependant quelques poliziotteschi d’une imparable et anxiogène puissance d’impact (2). Tirant le meilleur parti topographique des coins et recoins de la place forte confédérée, la photographie (3) de Tuez-les tous… et revenez seul ! la mue en un oppressant dédale, préfigurant ainsi l’angoissante relecture labyrinthique de l’espace urbain de Gênes dans Le Témoin à abattre. Doublée d’une attention manifeste aux décors (4) s’organisant autour du motif de la ruine (celle minérale de murs effondrés, ou ligneuse de charpentes carbonisées), la réalisation campe un univers empreint d’une absurde désolation. Ce que souligne encore l’inscription plus large de l’action dans les étendues désertiques d’une Andalousie écrasée par la chaleur, tenant ici efficacement lieu de Texas confédéré.
Évoquant (puisque le film fut tourné au pays de Goya) quelque scène des Désastres de la guerre (5), le paysage ravagé des débuts de Tuez-les tous… et revenez seul ! fait encore écho à ceux imaginés par Sergio Leone dans sa Trilogie du dollar, achevée peu avant la réalisation du film de Castellari, avec la sortie en 1966 du Bon, la brute et le truand. Comme lors des épisodes du chef-d’œuvre léonien dévolus à la guerre de Sécession, Tuez-les tous… et revenez seul ! croise à son orée les univers du western et du film de guerre, démythifiant le premier en usant du second d’une manière rien moins qu’épique. C’est en effet une manière d’arte povera de la guerre qu’illustre le moment inaugural de Tuez-les tous… et revenez seul ! D’abord privée qu’elle y est de toute grandeur réflexive : l’ironique représentation de la pensée stratégique consiste en quelques propos à l’emporte-pièce d’officiers aux uniformes raides de crasse, le tout sur fond de cartes d’état-major zébrées d’un maillage de flèches absconses leur donnant des allures d’œuvres d’art brut. Une pareille entreprise de dégradation commande à l’évocation tactique de l’action guerrière. Exempts de toute dimension chevaleresque, qu’elle soit éthique ou technique, les gestes combattants déployés par McKay et ses acolytes oscillent entre rouerie et bouffonnerie, tandis qu’à l’arrière-plan pendent lamentablement, au lieu de fièrement claquer, des étendards confédérés en haillons... Et l’on se prend alors à espérer voir avec Tuez-les tous… et revenez seul ! l’un de ces westerns-spaghetti subversifs, symptômes pop-culturel du malaise taraudant alors une Italie sur le point de basculer dans les années dites de plomb…
… ce qui ne sera in fine nullement le cas ! Une fois passée la vériste (la guerre est avant tout une matérielle histoire d’argent) et cynique (ledit argent peut finir dans la poche des moins scrupuleux) conclusion de l’introduction, le film se mue bien vite en une vaine pochade "cartoonesque". Ou bien encore "fumettienne" puisque nous sommes ici en terres italiennes. Plutôt que de faire un usage à la fois mesuré et iconoclaste de la caricature imprégnant l’assaut contre le bastion sudiste, Castellari l’érige pendant tout le reste du film en unique et pur outil spectaculaire à destination d’un public à l’imaginaire enfantin, pour ne pas dire puéril… En lieu et place des anges de la mort nihilistes initialement ébauchés, le cinéaste manifestement résigné à produire un film d’exploitation de plus (de trop ?) se contente d’exhiber d’ineptes marionnettes, agglomérats paresseux de mythologies contemporaines. Le parangon en cette déplorable matière étant constitué par le personnage du musculeux Bogard, incarné par le catcheur ibérique Hércules Cortés, au spectre de jeu se réduisant au gonflement thoracique avec (ou sans, c’est selon) force rires tonitruants. Définitivement réduits à l’histrionisme par la désertion artistique et réflexive de Castellari, même les plus éprouvés des autres interprètes se métamorphosent en frustes pantins, y compris le pasolinien Franco Citti, à mille lieues de ses troublantes prestations d’Accatone (1962) et autre Œdipe roi (1967)… Et ces comédiens esseulés ne trouveront aucun renfort dans un scénario prenant, pour l’essentiel, la forme d’une litanie de bastons plutôt que de combats, s’apparentant par l’innocuité de leur violence à des jeux de garçonnets…
Ne relevant en réalité nullement de la stimulante veine des westerns apocalyptiques initiée par Leone, préfigurant plutôt les pantalonnades castagneuses à la Bud Spencer, Tuez-les tous… et revenez seul ! constitue tout au plus une pièce documentaire pour celles et ceux qu’intéresse l’histoire du western all’italiana… Quant aux autres, l’on conseillera d’en arrêter le visionnage une fois close son introduction. Car, et ainsi qu’on l’annonçait plus haut, ce n’est pas un major opus du genre que Make My Day ! a ici choisi de remettre en avant…
(1) Sans doute (pour ne s’en tenir ici qu’aux "seconds rôles" dudit cinéma de genre transalpin) les noms de Sergio Corbucci, de Sergio Sollima ou bien encore de Lucio Fulci sonnent-ils de manière plus familière que celui d’un cinéaste avant tout redevable à Quentin Tarantino d’une renommée somme toute tardive. Du moins, parmi celles et ceux sachant que Inglorious Basterds (2009) est une (très) libre relecture par le vibrionnant Californien de The Inglorious Basterds (titre anglophone de Quel maledetto treno blindato, 1978) de Castellari… ce film de guerre étant lui-même une réinterprétation des Douze Salopards (1967) de Robert Aldrich… qui inspira aussi Tuez-les tous… et revenez seul !, transposition westernienne du fameux film de commando…
(2) Parmi eux, citons l’impressionnant Le Témoin à abattre (1973), justement défendu par DVDCLASSIK et tout aussi légitimement inscrit à son catalogue par la collection Make My Day !
(3) L’on retrouve à la caméra l’espagnol Alejandro Ulloa, directeur de la photographie plus que fréquemment employé par le cinéma de genre transalpin. Castellari fera à nouveau appel à lui pour mettre en images Le (susdit) Témoin à abattre.
(4) Castellari peut s’appuyer en cette matière sur des artisans éprouvés du cinéma italien (tel Lorenzo Baraldi ayant aussi bien œuvré pour les auteurs abonnés au cinéma de genre que pour Dino Risi ou Mario Monicelli) ou ibérique (figure au générique de Tuez-les tous… et revenez seul ! Jaime Pérez Cubero, apparaissant par ailleurs dans une vingtaine d’autres westerns italo-espagnols).
(5) À moins que les décombres ici photographiés fassent écho à ceux de la guerre d’Espagne ? Certains des artisans espagnols de Tuez-les tous… et revenez seul ! en furent, sans doute, les exacts contemporains, peut-être même des protagonistes ?
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Tuez-les tous...
et revenez seul !
combo Blu-ray / DVD
collection Make my day !
sortie le 24 mai 2024
éditions Coin de mire cinéma