L'histoire
Les élèves d'un lycée de la banlieue de Tokyo voient leur comportement influencé par l'approche d'un typhon. Le danger naturel leur fait découvrir la "vraie" vie que les adultes oublient si souvent. Peu à peu l'approche du danger va les faire se découvrir, leur masque social va tomber.
Analyse et critique
Shinji Somai est un des cinéastes majeurs du cinéma japonais des années 80/90, terreau riche et encore assez inexploité par la critique française auprès de laquelle seul l’iconoclaste Takeshi Kitano parvint surtout à se faire une place. C’est d’ailleurs ce même Kitano avec l’éblouissant et plus « dépaysant » Sonatine (1993) qui boucha les horizons internationaux de Somai en occident lorsqu’il fut sélectionné au Festival de Cannes en même temps que le magnifique Déménagement, dans la catégorie Un Certain Regard. Son œuvre demeure malheureusement méconnue mais Typhoon Club fait néanmoins figure de petite exception puisqu’il s’agit de la seule œuvre de Shinji Somai à avoir bénéficié d’une sortie salle en France, en 1988. Si l’évènement passa relativement inaperçu, ce fut l’occasion de voir un des plus beaux et emblématiques films du réalisateur, le voyant explorer son thème de prédilection autour de l’enfance et adolescence. La bascule que constitue ce moment de construction intime et juvénile repose souvent sur un évènement extraordinaire pour les personnages de Somai, qu’il peut tourner vers la comédie extravagante dans Sailor Suit and Machine Gun (1981) et son postulat farfelu – une lycéenne héritant des clés du clan yakuza de son père disparu – ou vers le drame feutré et surréaliste de Déménagement où une fillette doit faire face au divorce de ses parents.
On suit ici un groupe d’élèves d’un lycée de la banlieue de Tokyo, durant les quelques jours et heures précédant l’arrivée d’un typhon, puis leur expérience collective et individuelle lors de son passage. La belle scène d’ouverture qui voit les adolescentes s’introduire de nuit dans la piscine du lycée traduit déjà le besoin associé d’évasion et de transgression de leur âge. Les rires et jeux d’eau puérils les placent encore dans l’enfance mais une forme de sensualité ainsi que la manière dangereuse de tester leur limite (sans conséquence dans cette scène) les place déjà face aux maux de l’âge adulte et notamment le questionnement sur la mort qui hante le film. Chacun des personnages permet d’explorer le regard insouciant, anxieux et/ou mature qu’ils ont par rapport à leur quotidien et de quelle manière le passage du typhon va mettre tout cela à mal. Sous la légèreté, le malaise se propage de façon explicite et inattendue (cet élève blessant par possible dépit amoureux une camarade avec un produit chimique) ou alors contenue sous le sérieux à travers le caractère trop réfléchi de Mikami (Yuichi Mikami).
Shinji Somai sait donner un caractère mystérieux à ce mal-être (le long plan fixe sur cet élève entrant et sortant machinalement d’une pièce en tenue de base-ball) dans un rythme flottant où les révélations rompant la norme (l’attirance lesbienne de deux lycéennes) passent comme dans un rêve où seule la curiosité concupiscente des garçons amène un brin de légèreté. Les personnages ne semblent vivre que pour le moment présent mais un possible futur frustrant s’invite par inadvertance dans leur salle de classe (avec la famille de la fiancée de leur professeur) et leur rappelle le peu d’horizon qu’offre leur campagne (le professeur s’amusant à les traiter de paysan et articulant ses problèmes de maths dans ce sens). Cela passe subtilement avec le grand frère étudiant de Mikami et plus violemment avec la réaction de Michiko (Yuka Onishi) demandant des comptes au professeur (Tomokazu Miura) pour l’esclandre. Le naturalisme de la mise en scène de Somai laisse flotter à la fois une angoisse latente mais aussi toute la radieuse innocence de cet âge des premières fois. La première partie sert donc d’observation et d’attente autour d’émotion prête à exploser avec le passage du typhon.
L’espace de l’école à disposition de quelques élèves coincés sert paradoxalement de libération tour à tour inquiétante (une agression sexuelle qui s’interrompt avant le drame, des penchants suicidaires) et euphorisante. La frustration s’exprime par le dialogue à travers l’échange téléphonique laconique entre Mikami et le professeur, les tabous s’estompent par la vivacité, la sensualité puis la nudité des corps (et dans cette dualité la nudité est d’abord forcée avec l’agression avortée) dans un mouvement instinctif où les conventions n’ont plus cours. Shinji Somai l’illustre par une des figures formelles majeures de son cinéma, le plan-séquence. Les deux principaux interviennent justement dans cette émancipation des corps et des êtres dont il scrute la progression, la contagion joyeuse parmi les élèves.
Le réalisateur capture à la fois la candeur et la sensualité de ces silhouettes juvéniles en les filmant à distance dans un pur instantané collectif. Mikami filmé constamment à l'extérieur puis participant à cet élan représente le paradoxe insoluble d'une quête individualiste qui se refuse, et d'une jouissance commune qu'il ne se résout pas à rejoindre pleinement - ce que les cadrages, montage et compositions de plan autour du personnage laissent parfaitement voir dans les choix de Shinji Somai. Parallèlement l’échappée se fait à Tokyo pour Rie (Yuki Kudo) où l’inquiétude, l’excitation et les mystères de la grande ville (magnifique rencontre fantomatique et poétique avec des duettistes joueur de flûte dans une galerie marchande) offrent là aussi toute une gamme d’expériences inattendues. Shinji Somai livre un contraste captivant de ce que peut être ce moment de l’adolescence pour chacun dans un propos universel, et reposant sur la lumière et les ténèbres dans un final où la tragédie se dispute à l’optimisme.