L'histoire
L'apprentissage amoureux, et de la perte, d'une fille de quatorze ans, Sandi (Reese Witherspoon), durant l'été 1957 aux alentours d'une ferme de la Louisiane rurale, entourée de ses proches, avec leurs propres drames de diverses gravités.
Analyse et critique
Un été en Louisiane (le titre original, The man in the moon, fait allusion à un standard d’Elvis et non pas à l’alunissage qui aura lieu douze ans après l’intrigue) s’inscrit dans le répertoire le plus fameux de la filmographie de Robert Mulligan : des récits d’apprentissage d’enfants et d’adolescents découvrant la cruauté du monde des adultes, la complexité mais aussi l'injustice de la vie, tous situés dans le passé (1). Du silence et des ombres, adaptation de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee, confrontait dans les années 30 un frère et une sœur au racisme (ici, en 1957 dans le Sud, c’est la décennie d’avant la lutte pour les droits civiques qui est abordée et la présence noire dans la région n’est rendue tangible qu’avec l’apparition de fossoyeurs en fin de récit). Situé durant la même décennie, L’Autre abordait, pendant la Dépression, dans un registre quasi-horrifique le basculement dans la psychose d’un garçon incapable de faire le deuil de son jumeau homozygote et qui, lui, restera dans un déni paralysant. Un Été 42, sorte de pendant yankee à l’Été violent de Valerio Zurlini, décrivait l’éveil sentimental, mais surtout sexuel, d’un adolescent au moment de l’implication américaine dans la Seconde Guerre. Un été en Louisiane, tourné vingt ans plus tard, inverse le schéma en présentant l’éveil sexuel, mais surtout sentimental, d’une adolescente. Bien que situé en temps de paix, la présence de la mort ne plane pas moins dans le film.
(La suite du texte révèle des éléments importants de l'intrigue.)
Ce coming of age est le premier rôle à l’écran de Reese Witherspoon, à quatorze ans au moment du tournage, déambulant, voire batifolant, dans la moiteur estivale dans un corps entre celui de l’enfant et de la jeune femme. (Film de bien des premières fois, alors que la dernière de son cinéaste, c'est aussi le premier script, très bien construit, de Jenny Wingfield, qui fera peu carrière par la suite.) Les vacances d’été viennent de commencer à la ferme familiale des Trant, tenue par un père gentiment bougon (Sam Waterston), pater familias commençant à surveiller les fréquentations de ses filles, et une mère (Tess Harper) enceinte d’un troisième enfant beaucoup plus jeune que ses deux sœurs. Car Sandi en a une plus grande, Maureen (Emily Warfield), plus en âge d’être courtisée, ce qui lui arrive lors d’un rencard passablement désastreux avec un camarade, trop empressé d’en arriver à son corps pour lui accorder une vraie considération. Une ironie de la suite de l’histoire, dans le triangle amoureux qu’il construit, est que ce qui motive le désir de Maureen est de nature foncièrement romantique, quand sa sœur à peine pubère est animée par un éveil sensuel autrement plus primaire. Car c’est alors l’arrivée dans la ferme voisine d’une veuve, Marie Foster (Gail Strickland), amie de leur mère (leur conversation sur la manière dont la première, plus âgée, a « laissé » le père Trant à la seconde il y a des années est un miroir inversé de la dynamique que connaîtront Sandi et Maureen) ainsi que de ses enfants : deux jumeaux (retour du motif de la gémellité) et surtout un grand adolescent, Cort (Jason London). Sandi fait réellement sa connaissance chamailleuse quand il la rencontre, nue, à l’étang où elle a coutume de se rafraîchir. Commence bientôt un début d’idylle maladroit, où celle-ci doit prétendre, de façon pas très convaincante, avoir déjà embrassé d’autres garçons pour qu’il l’introduise à cette pratique (sa sœur lui aura, au préalable, donnée à s’exercer sur sa propre paume). Le désir de Sandi, la plus active pour que quelque chose se passe entre eux, est de nature initiatique. Il est toutefois plus profond que celui du garçon, au fond un peu pris de court, et qui n’y pense plus beaucoup une fois l’union, de nature chaste, établie.
Le foyer Foster, avec son père disparu et sa veuve discrètement alcoolique, juxtaposé à celui des Trant, indique que sa propre unité n’a rien d’acquise. La présence de son fils aîné va, malgré lui, déstabiliser celle-ci en deux temps. D’abord quand, Sandi étant restée tard à l’extérieur et qu’une tempête se prépare, sa mère inquiète sort à sa recherche et s’encouble, son hospitalisation laissant planer sur son chemin le spectre d’une fausse couche. Bouleversé, son père ceinture au retour Sandi dans un accès de brutalité (le balancier entre violence et tendresse est fréquent chez Mulligan, on peut penser au coup porté à une compagne dans The Nickel Ride ou à la gifle d'Une certaine rencontre). La résolution de cette crise se fera dans ce qui pourrait être le moment le plus étonnant du film, sur le fil d’un sentimentalisme avec lequel flirtent également des ralentis appuyés, quand alors qu’il s’explique avec Sandi dans l’habitacle de son pick-up, et qu’elle s’excuse auprès de lui, il sort et claque soudainement la portière, dans ce qui paraît un geste de rejet, pour venir ouvrir la sienne et la prendre avec vivacité dans ses bras. Ensuite quand, Cort faisant plus ample connaissance avec Maureen, il tombe amoureux d’elle et ignore instantanément sa cadette. La trahison que constitue leur romance quasi-immédiate révélée à Sandi, vient le temps d’un drame d’une autre ampleur : la mort soudaine de Cort, dans un accident de tracteur. La fin du film traite du cheminement complexe permettant à Sandi de cesser d’entretenir de la rancune, voire de la haine, pour une grande-sœur elle-même en deuil de son premier amour. Il se conclut à l’inverse de comment il s’ouvrait : dans un passage nocturne, sur une véranda dans la chaleur de l’été. Maureen, qui s’occupait en premier lieu de sa propre chevelure tandis que Sandi languissait sur le Loving You de Presley en vinyle, coiffe à présent la sienne. Ce dont elles discutent est ce sujet que lègue l’adolescence à un âge adulte qui fait généralement tout pour l’occulter : celui du sens de la vie, de son absence, aussi. Quelque chose s’est brisé pour elles et, pourtant, leur lien ne s’est pas rompu. Il s’est, d’une certaine façon, au contraire renforcé de par le partage d’un apprentissage attristant.
La mélancolie d’Un été en Louisiane, un certain penchant nostalgique pour une Amérique rurale du mitan du XXème siècle, aussi, s’apparente par plusieurs aspects à la plongée dans les années 60 que Clint Eastwood fera lui-même au cours des années 90 (si Freddie Francis signe la photographie de ce film, notons que Mulligan a souvent collaboré avec Robert Surtees, père d’un chef-opérateur régulier d’Eastwood). De l’assez surprenante partition à cordes de James Newton Howard à ce travail sur la photographie, le film dégage une grâce particulière, entre fin de l’enfance et éveil de la sensualité, ainsi que de sentiments douloureux, peut-être inextinguibles, et pourtant si ordinaires, communs. Il parachève avec une singulière aura la part la plus personnelle de l’œuvre de ce cinéaste sinon protéiforme, rompu par un apprentissage à la télévision à l’interchangeabilité des styles, alors que c’est bien un style cotonneux, une approche très sensible et personnelle de la lumière, souvent celle de la partie sud des États-Unis, qui contribue au charme très spécifique de celle-ci. Récit d’un désenchantement, il suggère une manière de dompter l’amertume, qui passe par la réceptivité aux éléments, un goût de la texture, bref une ouverture au monde et même à ce qui hors de lui nous échappe (en 57, la Lune, sa face visible ou cachée, nous les humains n’y étions pas). En dépit de la modestie du trait, ce qui transparaît est la proportion cosmique que peut prendre le ressenti à certains âges de la vie. La méditation sur l’enfance et l’adolescence contraint à s’extirper d’une sensibilité blasée, pour se rappeler à quel point cela, les affaires du cœur et le cours des évènements, nous dépasse et que c’est bel et bien, au moins un peu, mystérieux. Si le cinéma de Mulligan sur ce versant-là scelle une perte, ce n’est pas celle de la capacité à éprouver.
(1) Daisy Clover , situé dans les années 30, est à la limite de cette catégorie avec sa protagoniste rencontrée à quinze ans, quittée à dix-sept, mais qui s'avère déjà désenchantée avant son « rise and fall » dans le monde de la comédie musicale. Le jeune athlète mis sous pression et poussé à bout par son père dans Fear strikes out a, lui, déjà bientôt vingt-cinq ans bien qu'il en paraisse moins de par son caractère soumis et dépendant. Ils sont des personnages qui n'ont, eux, même pas connu d'état d'innocence.